Conseil d'Etat

Décision du 23 juillet 2024 n° 486763

23/07/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 août 2023 et le 3 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-503 du 23 juin 2023 portant application des articles 13 et 17 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Caisse autonome de retraite des médecins de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 13 de la loi du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 : " Sous réserve que leur revenu professionnel non salarié annuel soit inférieur à un montant fixé par décret, les médecins remplissant les conditions prévues aux quatre derniers alinéas de l'article L. 643-6 du code de la sécurité sociale sont exonérés, au titre de leur activité professionnelle en qualité de médecin, des cotisations d'assurance vieillesse mentionnées aux articles L. 642-1, L. 644-1, L. 645-2 et L. 645-2-1 du même code dues au titre de l'année 2023 ". Le décret du 23 juin 2023, dont la Caisse autonome de retraite des médecins de France demande l'annulation, fixe, dans son article premier, à 80 000 euros le montant prévu par ces dispositions.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. La Caisse autonome de retraite des médecins de France soutient que l'article 13 de la loi du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 méconnaît le droit de propriété, le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et que ces dispositions sont entachées d'incompétence négative, dans des conditions qui portent atteinte au droit de propriété.

4. D'une part, les dispositions législatives critiquées n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier les droits à pension de retraite complémentaire ou à prestations complémentaires de vieillesse des médecins libéraux relevant de la Caisse autonome de retraite des médecins de France. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions porteraient atteinte, pour ce motif, au droit de propriété de ces retraités ou qu'elles seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions portant atteinte à ce droit.

5. D'autre part, en exonérant les médecins retraités reprenant ou poursuivant une activité professionnelle de médecin libéral mentionnés au point 1 des cotisations d'assurance vieillesse dues au titre de cette activité exercée en 2023, sous réserve que leur revenu professionnel non salarié annuel soit inférieur à un montant fixé par décret, le législateur a entendu favoriser le maintien en activité des médecins retraités, afin de pallier le manque de médecins à l'échelle nationale. La différence de traitement entre médecins libéraux actifs et retraités ainsi instaurée, qui est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit et dont ne résulte pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, ne méconnaît ni ce principe, ni le principe d'égalité devant la loi.

6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 13 de la loi du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les autres moyens :

En ce qui concerne la légalité externe :

7. D'une part, la référence faite, dans les visas du décret attaqué, à l'article " L. 624-4-2 " du code de la sécurité sociale en lieu et place de l'article L. 642-4-2 du même code est sans incidence sur sa légalité.

8. D'autre part, il ne résulte d'aucun texte non plus que d'aucun principe que le conseil d'administration de la Caisse autonome de retraite des médecins de France aurait dû être consulté préalablement à l'édiction du décret en litige.

En ce qui concerne la légalité interne :

9. En premier lieu, la Caisse autonome de retraite des médecins de France ne peut utilement soutenir que le dispositif d'exonération instituée serait contraire au principe d'égalité devant les charges publiques au motif que la différence de traitement qu'il opérerait serait sans rapport avec l'objectif poursuivi dès lors qu'elle critique, ce faisant, les critères retenus par l'article 13 de la loi du 23 décembre 2022 lui-même pour en ouvrir le bénéfice, sur lesquels le plafond de 80 000 euros de revenus professionnels fixé par le décret en litige est dépourvu d'incidence.

10. En deuxième lieu, d'une part, la Caisse autonome de retraite des médecins de France, qui avait connaissance, au moins depuis la publication de la loi du 23 décembre 2022, de l'instauration d'une exonération des cotisations d'assurance vieillesse dues au titre de l'année 2023, en deçà d'un certain plafond de revenus professionnels, par les médecins retraités reprenant ou poursuivant leur activité médicale et qui, en tout état de cause, n'allègue pas que ce plafond aurait été fixé par le décret à un niveau autre que celui auquel elle se serait attendue, ne peut être regardée comme ayant été privée par celui-ci d'une espérance légitime constitutive d'un bien protégé par les stipulations du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. D'autre part, la fixation à 80 000 euros du plafond de revenu professionnel non salarié annuel permettant aux médecins en remplissant les autres conditions de bénéficier de cette exonération ne porte, en tout état de cause, pas atteinte au droit des affiliés de cette caisse à recevoir les prestations auxquelles ils ont droit. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, à ce titre également, être écarté.

11. En dernier lieu, le décret en litige, qui se borne à faire application de l'article 13 de la loi du 23 décembre 2022 en fixant à 80 000 euros, soit le montant annuel moyen de revenu professionnel non salarié des médecins libéraux, le plafond du revenu professionnel non salarié annuel ouvrant aux médecins en remplissant les autres conditions le bénéfice de l'exonération de cotisations d'assurance vieillesse prévue par ces dispositions dans le but d'inciter les médecins retraités à poursuivre ou à reprendre leur activité, et qui aurait pour effet, selon la requérante, de la priver de 3 % de ses recettes, n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation et ne méconnaît pas, en tout état de cause, l'objectif constitutionnel d'équilibre financier de la sécurité sociale.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Caisse autonome de retraite des médecins de France doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Caisse autonome de retraite des médecins de France.

Article 2 : La requête de la Caisse autonome de retraite des médecins de France est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Caisse autonome de retraite des médecins de France et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 juin 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 23 juillet 2024.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Luc Matt

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson

Code publication

C