Tribunal administratif de Strasbourg

Jugement du 22 juillet 2024 n° 2206679

22/07/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 octobre 2022, M. B A, représenté par Me Deschildre, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 27 juillet 2022 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 30 septembre 2021 par laquelle la ministre des Armées a rejeté pour irrecevabilité sa demande tendant au bénéfice d'une pension de victime civile en raison des dommages physiques causés par la guerre d'Algérie ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision attaquée est dépourvue de base légale en raison de la méconnaissance par le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre du principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est dépourvue de base légale en raison de la méconnaissance par ces dispositions du principe de sécurité juridique garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle est dépourvue de base légale en raison de la méconnaissance par ces dispositions d'un droit au recours effectif devant un juge garanti par les articles 6 et 13 la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2024, le ministre des Armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. A n'est fondé.

Par ordonnance du 13 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 29 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gros,

- les conclusions de Mme Milbach, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, ressortissant algérien né en 1948, a sollicité, le 9 septembre 2021, l'octroi d'une pension de victime civile en raison des dommages physiques causés par la guerre d'Algérie. Par une décision du 30 septembre 2021, la ministre des Armées a rejeté sa demande comme irrecevable. Par décision du 27 juillet 2022, dont il demande l'annulation, la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision de la ministre des Armées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dans sa rédaction issue du I de l'article 49 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense : " Les personnes ayant subi en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 des dommages physiques, du fait d'attentats ou de tout autre acte de violence en relation avec la guerre d'Algérie, bénéficient des pensions de victimes civiles de guerre. / () / Par dérogation à l'article L. 152-1, les demandes tendant à l'attribution d'une pension au titre du présent article ne sont plus recevables à compter de la publication de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. (). ". Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ".

3. En l'espèce, la demande de pension de M. A a été rejetée pour irrecevabilité par la ministre des Armées, puis par la commission de recours de l'invalidité, au motif qu'elle avait été déposée postérieurement à la publication de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 en application des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. M. A soutient que la décision attaquée méconnaît les principes constitutionnels d'égalité et de sécurité juridique. Toutefois, ce moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 49 de la loi du 13 juillet 2018 n'a pas été présenté par un mémoire distinct conformément aux dispositions précitées. Il est par suite irrecevable, et ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ".

5. M. A soutient que le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui a pour objet et pour effet de mettre un terme pour l'avenir, à compter de la publication de la loi du 13 juillet 2018, à l'application du régime d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie, crée une différence de traitement entre les victimes civiles de la guerre d'Algérie et les victimes civiles d'autres conflits qui peuvent continuer à bénéficier du régime d'indemnisation des victimes civiles de guerre postérieurement à la publication de la loi du 13 juillet 2018. Toutefois, les victimes civiles de la guerre d'Algérie ne sont pas placées dans une situation analogue ou comparable à celle des victimes civiles d'autres conflits, eu égard au contexte particulier des circonstances propres à chaque guerre. En outre, si ces dispositions conduisent à traiter différemment des demandes selon la date à laquelle elles ont été présentées, cette différence est inhérente à la succession de régimes juridiques dans le temps et n'est pas, par elle-même, contraire au principe d'égalité devant la loi. Par suite, M. A n'est pas fondé à soutenir que le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre aurait pour effet de méconnaître les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'en conséquence, la décision attaquée, prise sur le fondement de ces dispositions, serait illégale.

6. En dernier lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial (). ". Aux termes de l'article 13 de la même convention: " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. ".

7. M. A soutient qu'il n'a eu connaissance de son dommage physique que le 25 mars 2021, de sorte que le droit effectif au juge a été méconnu en raison de la forclusion prévue par le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui a pour objet et pour effet de mettre un terme pour l'avenir, à compter de la publication de la loi du 13 juillet 2018. Toutefois, ces dispositions n'interdisent pas, par elles-mêmes, l'accès au juge. Au demeurant, la seule production d'une radiographie en date du 25 mars 2021 indiquant la présence de fragments métalliques disséminées au niveau du genou droit, de la cuisse gauche ainsi qu'au niveau des chevilles du requérant, ne permet pas d'établir que son préjudice n'a été révélé qu'à partir de cette date. Par suite, M. A n'est pas fondé à soutenir que le dernier alinéa de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre aurait pour effet de méconnaître les stipulations combinées des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que ce faisant la décision attaquée serait illégale.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de M. A ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au ministre des Armées.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Carrier, président,

M. Gros, premier conseiller,

Mme Klipfel, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juillet 2024.

Le rapporteur,

T. GROS

Le président,

C. CARRIERLe greffier,

P. HAAG

La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

Code publication

C