Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 7 mars 2024, M. A B, représenté par la SCP Nataf et Planchat, demande au Tribunal de prononcer la décharge, assortie des intérêts moratoires, de cotisations d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de de contributions sociales auxquels il a été assujetti au titre des années 2012 à 2016, et de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros.
Par deux mémoires distincts, enregistrés les 8 mars 2024 et 25 avril 2024, M. B demande au Tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2°du 7 de l'article 158 du code général des impôts, comme contraires au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789.
Par deux mémoires distincts, enregistrés les 11 mars 2024 et 23 avril 2024, M. B demande au Tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, comme contraires aux principes constitutionnels des droits de la défense garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789.
Par deux mémoires distincts, enregistrés les 16 avril 2024 et 20 mai 2024, M. B demande au Tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1729 et 1741 du code général des impôts, comme contraires au principe constitutionnel d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 avril 2024, 25 avril 2024, 15 mai 2024 et 31 mai 2024, le directeur chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales conclut à ce que le Tribunal ne transmette pas au Conseil d'État les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment le Préambule et l'article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".
2. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. () ".
3. Aux termes de l'article R.* 771-7 du code de justice administrative : " Les () présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".
Sur l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales :
4. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
5. En premier lieu, le requérant fait valoir qu'une discrimination à rebours résulte du fait que ces dispositions, telles qu'interprétées par le juge de l'impôt, prévoient que l'information et la communication doivent concerner les documents qui ont permis de fonder le rehaussement, en excluant les documents obtenus de tiers pouvant être utiles à la défense du contribuable, alors que, dans le cas d'un impôt régi par le droit de l'Union européenne, un contribuable peut, en vertu de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, obtenir, dans un délai suffisant pour lui laisser le temps de préparer sa défense, les documents en possession de l'administration pouvant lui être utile. Toutefois, la circonstance que par un arrêt C-189/18 du 16 octobre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne ait dit pour droit que le principe de protection juridictionnelle effective figurant à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, applicable à la taxe sur la valeur ajoutée, régie par le droit de l'Union européenne " a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative " et que, dans un litige de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée " le respect des droits de la défense n'impose pas à l'administration fiscale une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elle dispose, mais exige que l'assujetti ait la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision, lesquels incluent en principe non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense ", n'est, en tout état de cause, pas de nature à créer une différence de traitement entre contribuables se trouvant, au regard de l'objet de la loi fiscale, dans la même situation.
6. En second lieu, le requérant soutient que les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par le juge de l'impôt, portent atteinte au principe constitutionnel des droits de la défense découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Toutefois, le principe constitutionnel du respect des droits de la défense garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne s'applique pas aux décisions émanant des autorités administratives, sauf lorsqu'elles prononcent une sanction ayant le caractère d'une punition. Par suite, il ne saurait être utilement invoqué à l'encontre des dispositions contestées, en tant qu'elles régissent la procédure administrative d'établissement de l'impôt.
7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales à l'article 13 et à l'article 16 de la Déclaration de 1789 est dépourvue de caractère sérieux.
Sur le 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts :
8. Aux termes du 7 de l'article 158 du code général des impôts : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par un coefficient de 1,25. Ces dispositions s'appliquent : / 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ; () ".
9. Par une décision n° 2019-793 QPC du 28 juin 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution la référence " c " et les mots " et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice " figurant au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts. Si, par son arrêt n° 26604/16 du 7 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l'homme a pu retenir la violation des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans une affaire mettant en cause, non pas la majoration d'assiette en litige dans la présente instance, mais la majoration de 25 % alors prévue au 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts qui s'appliquait aux contribuables titulaires de revenus imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles soumis à un régime réel d'imposition, et qui n'étaient pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréée, cet arrêt ne saurait constituer, eu égard à sa portée, une circonstance nouvelle de nature à justifier que la conformité des dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel.
10. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts aux droits et libertés garantis par la Constitution est dépourvue de caractère nouveau.
Sur les articles 1729 et 1741 du code général des impôts :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration () ". Aux termes de l'article 1741 : " Sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 500 000 € () ".
12. Invoquant un cumul de sanctions résultant de l'application des pénalités fiscales pour manœuvres frauduleuses en application de l'article 1729 du code général des impôts et de l'ensemble des sanctions prononcées par le juge pénal en application de l'article 1741 du même code, le requérant soutient que l'application du principe de l'interdiction de sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits posé à l'article 50 précité de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne au point 50 de l'arrêt C-570/20 du 5 novembre 2022, crée une différence de traitement selon que les impositions objet des sanctions en cause sont constituées par de la taxe sur la valeur ajoutée ou de l'impôt sur le revenu, contraire à l'article 6 précité de la Déclaration de 1789, l'interprétation donnée par le juge administratif de ce principe conduisant à réserver l'application du principe mentionné en cas de cumul de sanctions administratives et pénales de même nature et portant sur les mêmes faits, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, alors que le juge judiciaire, par des arrêts de la Cour de cassation des 22 mars 2023 (n° 19-80.689) et 14 juin 2023 (n° 22-81.020), a retenu l'application de ce principe à l'ensemble des sanctions, administratives et pénales, quelle que soit leur nature, et ce alors que les infractions poursuivies pénalement visent aussi bien la taxe sur la valeur ajoutée que l'impôt sur le revenu. Ainsi, l'interprétation divergente du principe de l'interdiction de sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits en résultant a pour conséquence de créer, au détriment des contribuables objet exclusivement de sanctions afférentes à des infractions à la législation en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, une différence de traitement injustifiée au regard du principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 précité de la Déclaration de 1789.
13. La différence de traitement alléguée ne résulte pas d'une distinction entre l'impôt sur le revenu et la taxe sur la valeur ajoutée, les dispositions de l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, applicables aux pénalités, constituant un élément du droit de l'Union européenne dont peuvent se prévaloir les contribuables soumis à des telles pénalités, que ce soit en matière d'impôt sur le revenu ou de taxe sur la valeur ajoutée. Au demeurant, alors que le principe de l'interdiction de sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts, un cumul des sanctions de nature différente ne méconnaît pas par lui-même la réserve d'interprétation dont le Conseil Constitutionnel a assorti la déclaration de conformité à la Constitution de l'application combinée des articles 1729 et 1741 du code général des impôts dans la décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de la combinaison des articles 1729 et 1741 du code général des impôts à l'article 6 de la Déclaration de 1789 est dépourvue de caractère sérieux.
15. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État les questions prioritaires de constitutionnalité posées par M. B.
O R D O N N E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au directeur chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales.
Fait à Montreuil, le 19 juillet 2024.
Le président de la 10e chambre,
P. Le Garzic
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. QPC