Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 2120255 du 8 juin 2022, la présidente de la 5ème section du tribunal administratif de Paris a transmis la requête présentée par les associations Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose au tribunal administratif de Montreuil.
Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 septembre 2021, 16 mai 2024 et 1er juillet 2024, les associations Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose, représentées par Me Crusoé, demandent au tribunal :
1°) d'annuler la décision par laquelle la direction générale des douanes et des droits indirects a rejeté leur demande de communication de documents administratifs portant sur l'exportation de matériel de guerre et de matériels assimilés vers l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et l'Egypte ;
2°) d'enjoindre au ministre intéressé de leur communiquer, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, la copie, d'une part, des déclarations en douane et de tout document pertinent attestant l'exportation, premièrement, de l'A330 MRTT par la société Airbus à destination de l'Espagne pour la militarisation des avions civils ayant pour destination finale l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis entre mars 2015 et avril 2020, deuxièmement, d'avions Rafale par la société Dassault entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Égypte, ainsi que les documents douaniers attestant l'exportation de pièces détachées pour ces avions et des prestations de service afférentes à leur maintien en condition opérationnelle (maintenance), troisièmement, de pièces détachées pour les avions Mirage 2000-9, par la société Dassault et de prestation de service pour assurer le maintien en condition opérationnelle (maintenance) de ces avions, ainsi que leur modernisation, en exécution d'un contrat conclu avec les Emirats Arabes Unis pour la modernisation des avions Mirage 2000-9, annoncé à la fin de 2017 et conclu en novembre 2019, quatrièmement, de missiles Storm Shadow, également appelés " SCALP ", produits conjointement par MBDA France et MBDA Royaume-Uni à destination du Royaume-Uni pour assemblage et ayant pour destination finale l'Egypte, les Emirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite entre mars 2015 et avril 2020, cinquièmement, de kits de missiles AASM, par la société Safran entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Egypte, les Emirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite, ainsi que les documents douaniers attestant l'exportation de pièces de rechange pour ces missiles et de prestations de service afférentes à leur maintien en condition opérationnelle (maintenance), sixièmement, de pods Damocles par la société Thales entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Arabie Saoudite ou les Emirats Arabes Unis, ainsi que les documents douaniers attestant l'exportation de pièces de rechange pour ces missiles et de prestations de service afférentes à leur maintien en condition opérationnelle (maintenance), septièmement, de pods Talios par la société Thales entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis et de prestations de service afférentes à leur maintien en condition opérationnelle (maintenance) et huitièmement, des canons CAESAR et LG105mm par la société Nexter vers l'Arabie Saoudite entre mars 2015 et avril 2020, ainsi que les documents douaniers attestant l'exportation de pièces de rechange pour ces matériels et de prestations de service afférentes à leur maintien en condition opérationnelle (maintenance), d'autre part, de tous autres documents préparés pour la présentation aux douanes du matériel mentionné ci-dessus et comprenant la date d'expédition, la destination, le type et la quantité du matériel concerné et, en ce qui concerne le matériel exporté avant la publication de l'arrêté du 1er août 2017 portant modification des modalités de preuve d'arrivée dans le pays de destination finale des matériels de guerre et matériels assimilés exportés sous couvert d'une licence individuelle d'exportation, la copie des certificats de vérification de livraison correspondants, en ce qui concerne le matériel exporté après le 1er août 2017, la déclaration d'arrivée dans le pays de destination finale mentionné dans la licence du matériel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des mémoires enregistrés les 16 mai 2024 et 14 juin 2024, les associations Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose, représentées par Me Crusoé, demandent au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de la décision de refus de communication de documents administratifs visée ci-dessus, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, des dispositions du h du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration combinées avec les articles 59 bis du code des douanes et 226-13 du code pénal, d'autre part, des b et c du 2° du même article L. 311-5.
Les associations requérantes soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- en ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité : les dispositions du h du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration combinées avec celles des articles 59 bis du code des douanes et 226-13 du code pénal et les dispositions des b et c du 2° du même article L. 311-5 méconnaissent les articles 15 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- en ce qui concerne la décision attaquée : elle est entachée d'incompétence ; l'article 59 bis du code des douanes, l'article 226-13 du code pénal et l'article 311-5 du code des relations entre le public et l'administration étant entachés d'inconstitutionnalité, leur abrogation la privera de base légale ; l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ; l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration a été méconnu, le secret de la défense nationale, le secret des affaires et la confidentialité des informations relatives à la politique extérieure n'étant pas susceptibles de faire obstacle à la communication sollicitée ; à supposer qu'une occultation soit nécessaire pour assurer la protection du secret protégé par la loi, elle n'écarterait pas le droit d'obtenir la transmission d'informations relatives au pays, au groupe de pays ou territoire auxquels le matériel est destiné ainsi qu'à la date, au type et à la quantité de matériel d'exportation.
Par des mémoires en défense enregistrés les 11 mars 2022, 3 et 25 juin 2024, le ministre chargé des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Paris est territorialement incompétent ;
- en ce qui concerne la recevabilité de la requête : la décision implicite de refus attaquée n'est pas susceptible d'être contestée, seul le refus de communication intervenu après saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs pouvant l'être ; les associations requérantes ne justifient pas d'un intérêt à agir au regard de leur objet social, ni que le signataire de la requête aurait effectivement qualité pour agir en justice ;
- en ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité : les conditions de transmission au Conseil d'Etat posées par l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies ;
- en ce qui concerne la décision attaquée, les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des douanes ;
- le code pénal ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
L'affaire a été renvoyée en formation collégiale en application de l'article R. 222-19 du code de justice administrative
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Charageat,
- les conclusions de M. Combes, rapporteur public,
- et les observations de Me Crusoé, représentant les associations requérantes.
Le ministre chargé des comptes publics n'était ni présent, ni représenté.
Considérant ce qui suit :
1. Les associations Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose ont demandé à l'administration, par une correspondance en date du 25 juillet 2020, la communication d'un ensemble de documents administratifs portant sur l'exportation de matériels de guerre et de matériels assimilés vers l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et l'Egypte. Cette demande a été implicitement rejetée. Les associations requérantes ont contesté ce refus auprès de la Commission d'accès aux documents administratifs, par un recours daté du 11 décembre 2020 enregistré au secrétariat de cette commission le 16 décembre 2020. Cette commission a émis le 25 mars 2021 un avis défavorable à la communication de ces documents. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, postérieurement à la saisine de cette commission, l'autorité administrative se serait expressément prononcée sur la demande de communication des associations requérantes. Par suite, la requête doit être regardée comme tendant à titre principal à l'annulation de la décision implicite de rejet née consécutivement à cette saisine, conformément aux articles R. 343-4 et R. 343-5 du code des relations entre le public et l'administration.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur l'absence de caractère communicable, eu égard à leur objet, des documents dont la communication est sollicitée. Ainsi, elle n'est pas fondée, même accessoirement, sur les dispositions de l'article 59 bis du code des douanes, qui imposent à certains agents publics le respect du secret professionnel, ni sur celles de l'article 226-13 du code pénal, qui répriment la divulgation d'informations couvertes par le secret. Dès lors, ces dispositions législatives ne sont pas applicables au litige.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration : " Ne sont pas communicables : () / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : () / b) Au secret de la défense nationale ; / c) A la conduite de la politique extérieure de la France ; () / h) ou sous réserve de l'article L. 124-4 du code de l'environnement, aux autres secrets protégés par la loi ".
5. D'une part, les dispositions précitées ne fixent aucune règle relative à l'exercice du recours juridictionnel. Par suite, elles ne peuvent être regardées comme portant atteinte à l'exercice d'un tel recours. Il suit de là que la question de la conformité de ces dispositions à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, duquel il résulte qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction, est dépourvue de caractère sérieux.
6. D'autre part, les dispositions des b et c du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration sont applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Toutefois, ainsi qu'il a été jugé par le Conseil constitutionnel dans ses décisions n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016, le secret de la défense nationale participe des exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation au nombre desquels figurent l'indépendance de la Nation et l'intégrité du territoire. Par conséquent, en excluant la communication des documents portant atteinte au secret de la défense nationale, le législateur n'a pas porté une atteinte excessive au droit de communication garanti par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il en va de même s'agissant de l'exclusion des documents dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, qui participe des mêmes exigences constitutionnelles. Il suit de la que la question de la conformité de ces dispositions à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui garantit le droit d'accès aux documents administratifs, est dépourvue de caractère sérieux.
7. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée serait fondée sur les dispositions à caractère général du h de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration, qui excluent la communication de documents lorsque celle-ci porterait atteinte aux autres secrets protégés par la loi. Dès lors, ces dispositions législatives ne sont pas applicables au litige.
8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les associations requérantes.
Sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction :
9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 342-1 du code des relations entre le public et l'administration : " La Commission d'accès aux documents administratifs émet des avis lorsqu'elle est saisie par une personne à qui est opposé un refus de communication () d'un document administratif () ". Aux termes de l'article R. 343-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Le silence gardé pendant le délai prévu à l'article R. 343-5 par l'administration mise en cause vaut décision de refus ". Aux termes de l'article R. 343-5 du même code : " Le délai au terme duquel intervient la décision implicite de refus mentionnée à l'article R. 343-4 est de deux mois à compter de l'enregistrement de la demande de l'intéressé par la commission ".
10. La demande de communication présentée par les associations requérantes a été implicitement rejetée dans les conditions mentionnées au point 1. Il ne ressort pas des pièces du dossier, alors que les associations requérantes se bornent à soutenir qu'il appartient au tribunal d'apprécier s'il y a lieu de soulever un moyen d'ordre public tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée, que cette décision émanerait d'une autorité incompétente.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs () quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. () ". Aux termes de l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ".
12. Il ressort des pièces du dossier que la demande de communication présentée par les associations requérantes porte sur un ensemble de documents relatifs à l'exportation de matériels de guerre et d'équipements assimilés vers l'Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et l'Égypte, comprenant plus particulièrement, la copie des déclarations en douane et de tout document pertinent attestant l'exportation, premièrement, de l'A330 MRTT par la société Airbus à destination de l'Espagne pour la militarisation des avions civils ayant pour destination finale l'Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis entre mars 2015 et avril 2020, deuxièmement, d'avions Rafale par la société Dassault entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Égypte, ainsi que les documents douaniers attestant l'exportation de pièces détachées pour les avions Rafale et des prestations de service afférentes à leur maintenance, troisièmement, de pièces détachées pour les avions Mirage 2000-9 par la société Dassault et de prestation de service pour assurer la maintenance de ces avions, ainsi que leur modernisation, en exécution d'un contrat conclu avec les Émirats Arabes Unis pour la modernisation des avions Mirage 2000-9, annoncé à la fin de 2017 et conclu en novembre 2019, quatrièmement, de missiles Storm Shadow également appelés SCALP produits conjointement par MBDA France et MBDA Royaume-Uni à destination du Royaume-Uni pour assemblage et ayant pour destination finale l'Egypte, les Émirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite entre mars 2015 et avril 2020, cinquièmement, de kits de missiles AASM, par la société Safran entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Egypte, les Émirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite, ainsi que les documents douaniers attestant l'exportation de pièces de rechange pour ces missiles et de prestations de service afférentes à leur maintenance, sixièmement, de pods Damocles par la société Thales entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Arabie Saoudite ou les Emirats Arabes Unis, ainsi que les documents douaniers attestant de l'exportation de pièces de rechange pour ces missiles et de prestations de service afférentes à leur maintenance, septièmement, de pods Talios par la société Thales entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis, huitièmement, des canons CAESAR et LG105mm par la société Nexter vers l'Arabie Saoudite entre mars 2015 et avril 2020 ainsi que des documents douaniers attestant de l'exportation de pièces de rechange pour ces missiles et de prestations de service afférentes à leur maintenance, d'autre part, la copie de tous autres documents préparés pour la présentation aux douanes du matériel mentionné ci-dessus et comprenant la date d'expédition, la destination, le type et la quantité du matériel concerné, ces documents pouvant notamment inclure, lorsque que cela est requis par la règlementation en vigueur, la fiche d'imputation de licence individuelle d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés, ainsi que la déclaration en douane et, en ce qui concerne le matériel exporté avant la publication de l'arrêté du 1er août 2017 portant modification des modalités de preuve d'arrivée dans le pays de destination finale des matériels de guerre et matériels assimilés exportés sous couvert d'une licence individuelle d'exportation, la copie des certificats de vérification de livraison correspondants, en ce qui concerne le matériel exporté après le 1er août 2017, la copie de la déclaration d'arrivée dans le pays de destination finale mentionné dans la licence du matériel.
13. Les informations contenues dans les documents dont la communication est sollicitée portent sur le matériel d'armement et le matériel connexe exporté directement ou indirectement depuis la France entre mars 2015 et avril 2020 vers l'Egypte, les Émirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite ainsi que les prestations de service connexes fournies à ces pays. Elles permettent de déterminer la nature et le volume du matériel et des prestations fournies à ces pays tiers par les entreprises concernées. La communication de ces documents est ainsi de nature à porter atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, voire au secret de la défense nationale ainsi qu'au secret des affaires protégés par l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.
14. En troisième lieu, aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière () / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles () ". Si ces stipulations n'accordent pas un droit d'accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n'obligent l'Etat à les communiquer, il peut en résulter un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l'article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.
15. Les associations requérantes font valoir que les informations sollicitées sont indispensables pour l'exercice de leur contrôle de l'action publique sur les exportations d'armement françaises, dans le but de porter dans le débat public la question de la légitimité et de la légalité de ces exportations au regard des engagements internationaux de la France. Toutefois, si ces associations participent au débat public en produisant des informations relatives aux atteintes aux droits humains, lesquelles peuvent résulter de l'utilisation d'armes de guerre, les restrictions posées par les dispositions législatives mentionnées ci-dessus constituent une ingérence nécessaire et proportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
16. En dernier lieu, il résulte de ce qui est dit aux points 2 à 8 que le moyen tiré de ce que l'inconstitutionnalité de l'article 59 bis du code des douanes, de l'article 226-13 du code pénal et de l'article 311-5 du code des relations entre le public et l'administration priverait de base légale la décision attaquée ne peut qu'être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle la direction générale des douanes et des droits indirects a implicitement rejeté la demande de communication de documents administratifs présentée par le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par le ministre chargé des comptes publics. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction doivent être également rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse aux associations requérantes une somme que celles-ci réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les associations Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose.
Article 2 : La requête des associations Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose est rejetée.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié aux associations Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains, Amnesty International France et Disclose ainsi qu'au ministre chargé des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Jimenez, présidente,
M. Charageat, premier conseiller,
Mme Nour, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juillet 2024.
Le rapporteur,
D. Charageat
La présidente,
J. Jimenez Le greffier,
C. Chauvey
La République mande et ordonne au ministre chargé des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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