Conseil d'Etat

Décision du 19 juillet 2024 n° 494313

19/07/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme B A, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation du titre exécutoire émis le 22 décembre 2021 par lequel le maire de la commune de Verneuil-sur-Seine a mis à sa charge la somme de 4 343,56 euros correspondant aux indemnités de fonction qu'elle avait perçues en tant que conseillère municipale au cours de la période du 7 juillet 2020 au 27 avril 2021, a produit deux mémoires, enregistrés les 15 janvier et 19 février 2024 au greffe du tribunal administratif de Versailles, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° de l'article L. 237 du code électoral.

Par un jugement avant dire-droit n° 2202907 du 13 mai 2024, enregistré le 17 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Versailles a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code électoral ;

- la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 ;

- la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 ;

- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;

- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004;

- le décret n° 2005-716 du 29 juin 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de la commune de Verneuil-sur-Seine ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de L. 237 du code électoral : " Les fonctions de conseiller municipal sont incompatibles avec celles : () 2° De fonctionnaire des corps de conception et de direction et de commandement et d'encadrement de la police nationale ; (). Les personnes dont les fonctions sont incompatibles avec le mandat de conseiller municipal en application de l'article L. 46 ainsi que celles mentionnées aux 1° à 3° du présent article élues membres d'un conseil municipal ont, à partir de la proclamation du résultat du scrutin, un délai de dix jours pour opter entre l'acceptation du mandat et la conservation de leur emploi. A défaut de déclaration adressée dans ce délai à leurs supérieurs hiérarchiques, elles sont réputées avoir opté pour la conservation dudit emploi ".

3. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, Mme A soutient que, dès lors qu'elles instituent une incompatibilité générale et absolue entre les fonctions de fonctionnaire actif de la police nationale et le mandat de conseiller municipal, les dispositions du 2° de l'article L. 237 du code électoral portent atteinte au principe d'égalité et au droit d'exercer un mandat électif dont jouit tout citoyen en vertu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Si le législateur peut prévoir des incompatibilités entre mandats électoraux ou fonctions électives et activités ou fonctions professionnelles, la restriction ainsi apportée à l'exercice de fonctions publiques doit être justifiée, au regard des exigences découlant de l'article 6 de la Déclaration du 26 août 1789, par la nécessité de protéger la liberté de choix de l'électeur ou l'indépendance de l'élu contre les risques de confusion ou de conflits d'intérêts.

5. Il résulte des dispositions mentionnées au point 2, telles qu'éclairées par les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 19 novembre 1982 modifiant le code électoral et le code des communes, relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des français établis hors de France sur les listes électorales, dont elles sont originellement issues et qui ont notamment eu pour objet de limiter le champ d'application des incompatibilités précédemment édictées pour les fonctionnaires actifs des services de la police nationale, que le législateur a entendu réserver l'incompatibilité avec le mandat de conseiller municipal aux seuls fonctionnaires relevant des deux corps statutaires de la police nationale de niveaux les plus élevés dans l'ordre hiérarchique. Par l'article 24 de la loi du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, dont la rédaction des dispositions contestées du 2° de l'article L 237 du code électoral est issue, le législateur a tenu compte des modifications terminologiques apportées aux dénominations des corps concernés par les décrets du 9 mai 1995 procédant à la refonte des corps de la police nationale en trois corps correspondant à l'exercice, en premier lieu de fonctions de conception et de direction, en deuxième lieu de commandement et d'encadrement et enfin de maîtrise et d'application. Postérieurement à cette dernière modification de la rédaction du 2° de l'article L. 237 du code électoral, lequel renvoyait donc à l'appellation des corps alors existants, le deuxième corps de la police nationale par ordre hiérarchique, c'est-à-dire le corps de " commandement et d'encadrement de la police nationale ", est devenu le corps de " commandement de la police nationale " aux termes du décret du 29 juin 2005 portant statut particulier de ce corps, et le troisième corps de " maîtrise et d'application " est devenu le corps " d'encadrement et d'application " aux termes du décret du 23 décembre 2004 portant statut particulier de ce corps. Toutefois, ces modifications des appellations des corps de la police nationale ne pouvaient affecter la portée du 2° de l'article L. 237 du code électoral excluant le corps de " maîtrise et d'application ", ainsi devenu le corps " d'encadrement et d'application ", de la règle d'incompatibilité qu'il édicte. Cette règle d'incompatibilité, posée par le 2° de l'article L. 237 du code électoral, reste ainsi circonscrite aux deux premiers corps, par ordre hiérarchique, de la police nationale, actuellement dénommés corps de " conception et de direction " et corps de " commandement de la police nationale ", et n'inclut donc pas dans son champ d'application le troisième corps de la police nationale, l'actuel corps " d'encadrement et d'application ".

6. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que se borne à soutenir Mme A, les dispositions du 2° de l'article L. 237 du code électoral n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer une incompatibilité générale et absolue entre les fonctions de fonctionnaire actif de la police nationale et le mandat de conseiller municipal. Il suit de là que le grief tiré de ce qu'en instituant une interdiction d'une telle portée, le législateur aurait excédé ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d'intérêts, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par conséquent, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B A et à la commune de Verneuil-sur-Seine.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au tribunal administratif de Versailles.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 19 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Code publication

B