Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire introductif d'instance et un mémoire en réplique enregistrés les 14 mai et 6 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le paragraphe 1.5 des commentaires administratifs publiés le 24 avril 2024 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence RES-BNC 000136 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce, notamment son article L. 526-22 ;
- le code général des impôts, notamment son article 1655 sexies, et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. D'une part, aux termes de l'article 1655 sexies du code général des impôts : " 1. Pour l'application du présent code et de ses annexes, à l'exception du 2 de l'article 206, du 5° du 1 de l'article 635 et de l'article 638 A, l'entrepreneur individuel mentionné aux articles L. 526-22 et suivants du code de commerce () peut opter pour l'assimilation à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée () dont cet entrepreneur tient lieu d'associé unique. Lorsque l'option est exercée, l'article 151 sexies s'applique aux biens utiles à l'exercice de son activité professionnelle. La liquidation de l'entreprise individuelle emporte alors les mêmes conséquences fiscales que la cessation d'entreprise et l'annulation des droits sociaux d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ou d'une exploitation agricole à responsabilité limitée () / 3. Les options mentionnées aux 1 et 2, exercées dans des conditions fixées par décret, sont irrévocables et valent option pour l'impôt sur les sociétés. " D'autre part, aux termes de l'article L. 526-22 du code de commerce : " L'entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes () Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. () Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel. " Les avocats associés d'une société d'exercice libéral n'agissent pas en leur nom propre mais exercent leurs fonctions au nom de la société dont ils sont associés sans, d'ailleurs, détenir à ce titre de patrimoine professionnel propre. Ils ne peuvent ainsi être regardés comme des entrepreneurs individuels au sens de l'article L. 526-22 du code de commerce. Il en résulte que les avocats associés d'une société d'exercice libéral ne peuvent exercer l'option ouverte aux entrepreneurs individuels par le 1 de l'article 1655 sexies du code général des impôts.
3. A l'appui de son recours en excès de pouvoir contre le paragraphe 1.5 des commentaires administratifs publiés le 24 avril 2024 sous la référence RES-BNC 000136, M. A soutient que les dispositions de l'article 1655 sexies du code général des impôts créent entre les professionnels imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux une différence de traitement contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, en ce qu'elles ne permettent pas à un avocat qui, comme lui, exerce sa profession au sein d'une société d'exercice libéral dans des conditions ne se traduisant pas par un lien de subordination, d'opter pour l'impôt sur les sociétés en qualité d'entrepreneur individuel. Dès lors, sa question de prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme dirigée contre les 1. et 3. de l'article 1655 sexies du code général des impôts, cités au point 2.
4. En premier lieu, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 2, les professionnels soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux qui opèrent dans une société d'exercice libéral ne répondent pas à la définition de l'entrepreneur individuel donnée à l'article L. 526-22 du code de commerce, dès lors qu'ils n'exercent pas en leur nom propre. Ils se trouvent par là-même dans une situation différente de celle des entrepreneurs individuels au regard de l'objet des dispositions précitées qui, au demeurant, n'empêchent pas les avocats d'exercer leur profession en qualité d'entrepreneurs individuels, dès lors qu'ils feraient le choix d'agir en leur nom propre. L'article 1655 sexies du code général des impôts ne porte donc pas atteinte au principe d'égalité devant la loi en réservant la possibilité d'opter pour l'impôt sur les sociétés aux seuls entrepreneurs individuels au sens de l'article L. 526-22 du code de commerce.
6. En second lieu, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
7. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'en réservant aux entrepreneurs individuels la possibilité d'opter pour l'impôt sur les sociétés, les dispositions contestées se sont fondées sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi par le législateur de définir le statut de l'entrepreneur individuel. D'autre part, la circonstance que les associés d'une société d'exercice libéral sont soumis à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ne saurait à elle seule être regardée comme constitutive d'une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les autres moyens de la requête :
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 23 ci-dessus que les avocats associés d'une société d'exercice libéral ne peuvent être regardés comme des entrepreneurs individuels au sens de l'article L. 526-22 du code de commerce et ne peuvent donc exercer l'option ouverte aux entrepreneurs individuels par le 1 de l'article 1655 sexies du code général des impôts, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance qu'ils peuvent n'avoir effectué aucun apport en industrie à la SEL dont il sont associés, que les dividendes qu'ils reçoivent ne représentent qu'une fraction marginale de leurs revenus ou qu'ils sont indépendants dans les conseils qu'ils donnent à leurs clients. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, le paragraphe 1.5 des commentaires administratifs publiés le 24 avril 2024 au bulletin officiel des finances publiques sous la référence RES-BNC 000136 n'ajoute pas aux dispositions de l'article 1655 sexies du code général des impôts, dont il a pour objet d'éclairer la portée. Par suite, le recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces commentaires ne peut qu'être rejeté.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.
Article 2 : La requête de M. A est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B A et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 19 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
Code publication