Irrecevabilité
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2024, M. A B, représenté par Me Aouidet, demande au tribunal :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 juin 2024 par lequel le préfet des Ardennes a prononcé son assignation à résidence dans le département des Ardennes pour une durée de 45 jours ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, il est demandé de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il méconnaît l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en l'absence de perspective raisonnable d'éloignement ;
- il est disproportionné au regard des dispositions de l'article R. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte une atteinte grave et manifeste à sa liberté ;
- le préfet ne pouvait pas prononcer une assignation à résidence pour toute la famille et excède dans cette mesure ce qui est nécessaire ; il a également entaché son arrêté d'un détournement de pouvoir ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation quant au risque de soustraction à la mesure d'éloignement ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée au préfet des Ardennes, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme Lambing pour statuer sur les litiges visés à l'article L. 614-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lambing, magistrate désignée, a été entendu au cours de l'audience publique.
L'instruction a été close à l'issue de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 20 juin 2022, le préfet des Ardennes a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. B, ressortissant arménien né en 1984, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination. Par un premier arrêté du 3 mai 2024, annulé par jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 5 juin 2024, le préfet des Ardennes avait assigné M. B à résidence dans le département des Ardennes pour une durée de 45 jours. Par un second arrêté du 25 juin 2024, dont le requérant demande l'annulation par la présente requête, le préfet des Ardennes a repris une assignation à résidence à l'encontre de M. B.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence () l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée () par la juridiction compétente ou son président () ". Aux termes de l'article 61 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles : " () / L'admission provisoire est accordée par le président du bureau ou de la section ou le président de la juridiction saisie, soit sur une demande présentée sans forme par l'intéressé, soit d'office si celui-ci a présenté une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat sur laquelle il n'a pas encore été statué ".
3. M. B, qui est déjà représenté par un avocat, a présenté une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été statué. Il y a lieu, compte tenu de l'urgence, de prononcer l'admission de M. B au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Aux termes de l'article R. 771-4 du code de justice administrative : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. "
5. M. B n'a pas présenté dans un mémoire distinct le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Ce moyen n'est, par suite, pas recevable et ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
6. La décision portant assignation à résidence énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le préfet des Ardennes, qui n'était pas tenu de faire référence, de manière exhaustive, à l'ensemble des éléments portés à sa connaissance, a ainsi suffisamment motivé cette décision. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté.
7. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; () ".
8. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le préfet peut prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger qui fait l'objet d'une décision d'éloignement dont le délai de départ volontaire est arrivé à terme ou n'a pas été accordé.
9. Il ressort des pièces du dossier que par un arrêté du 20 juin 2022, le préfet des Ardennes a rejeté la demande de titre de séjour présentée par M. B, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination. Si le requérant se prévaut d'une précédente décision d'assignation du 3 mai 2024, cette mesure, notifiée le 29 mai 2024, n'a pu être exécutée dans son entièreté en raison du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 5 juin 2024 prononçant son annulation. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'éloignement de l'intéressé ne demeurerait pas une perspective raisonnable. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit ainsi être écarté.
10. Le requérant fait valoir que le préfet des Ardennes ne peut lui opposer l'existence d'un risque qu'il se soustrait à la mesure d'éloignement dès lors qu'il n'a jamais fait l'objet d'une condamnation pénale et qu'il a toujours respecté les obligations qui lui ont été imposées. Toutefois, il résulte des termes de l'arrêté contesté que, pour prononcer la mesure d'assignation à résidence, le préfet des Ardennes ne s'est pas fondé sur le risque qu'il se soustrait à la mesure d'éloignement. Par suite, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige est entaché d'une erreur d'appréciation du risque de soustraction à la mesure d'éloignement.
11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
12. La mesure d'assignation à résidence contestée prévoit que le requérant doit se présenter tous les jours de la semaine au commissariat de Charleville-Mézières entre 17h00 et 18h00. M. B se prévaut de sa résidence en France depuis huit années ainsi que de la présence de ses trois enfants, dont les deux derniers sont nés en France. Toutefois, l'arrêté contesté, qui prononce son assignation à résidence dans le département des Ardennes, n'a pas pour objet, ni pour effet de séparer le requérant de sa famille. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir qu'en fixant ces modalités de contrôle, le préfet des Ardennes aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris la mesure contestée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 doit également être écarté.
13. Aux termes de l'article L. 733-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger assigné à résidence en application du présent titre se présente périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. () ". Aux termes de l'article R. 733-1 de ce code : " L'autorité administrative qui a ordonné l'assignation à résidence de l'étranger en application des articles L. 731-1, L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5 définit les modalités d'application de la mesure : / 1° Elle détermine le périmètre dans lequel il est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence ; / 2° Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'elle fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si l'obligation de présentation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés ; / 3° Elle peut lui désigner une plage horaire pendant laquelle il doit demeurer dans les locaux où il réside. ".
14. D'une part, les obligations de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, susceptibles d'être imposées par l'autorité administrative en vertu des articles L. 733-1 et R. 733-1 précités, doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux finalités qu'elles poursuivent et ne sauraient, sous le contrôle du juge administratif, porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir. D'autre part, si une décision d'assignation à résidence doit comporter les modalités de contrôle permettant de s'assurer du respect de cette obligation et notamment préciser le service auquel l'étranger doit se présenter et la fréquence de ces présentations, ces modalités de contrôle sont divisibles de la mesure d'assignation elle-même.
15. M. B soutient que cette obligation compromet son activité professionnelle eu égard aux horaires de ses déplacements sur des chantiers. Toutefois, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que ses horaires de travail, en vertu d'un contrat qui n'a pas fait l'objet d'une autorisation de travail et alors qu'il est obligé de quitter le territoire français sans délai, ne sont pas compatibles avec l'obligation qui lui est faite de se présenter au commissariat de police en fin d'après-midi. Par suite, le préfet n'a pas imposé des exigences qui seraient disproportionnées au regard du but poursuivi en assignant l'intéressé à résidence dans ces conditions.
16. Le requérant soutient également qu'en enjoignant à son épouse de se rendre avec lui au commissariat de police tous les jours, le préfet a entaché son arrêté d'illégalité. Ni les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni aucune disposition législative ou réglementaire ou stipulation conventionnelle ne font obstacle à ce que, pour assurer l'exécution de la décision de transfert, un ressortissant étranger assigné à résidence soit soumis à une obligation de pointage en présence de son conjoint ou de son enfant mineur. Toutefois, l'obligation de pointage hebdomadaire, qui est une mesure de surveillance, ne peut être regardée comme constituant, par elle-même, une convocation aux fins d'exécution de la mesure de transfert. Il appartient dès lors à l'autorité préfectorale de justifier que l'obligation de pointage, telle qu'elle a été arrêtée, est nécessaire et adaptée à l'objectif poursuivi. Il n'est pas contesté que Mme B fait déjà l'objet d'une assignation à résidence l'obligeant à se rendre trois jours par semaine au commissariat de police. Le préfet des Ardennes, qui n'a pas produit de mémoire en défense, n'établit pas que lorsque le requérant vient satisfaire à son obligation de pointage tous les jours de la semaine, la présence à ses côtés de son épouse, elle-même assignée à résidence, serait nécessaire et adaptée à l'objectif poursuivi par la mesure d'assignation à résidence qui est de s'assurer que le requérant n'a pas quitté le périmètre où il est assigné.
17. Par suite, M B est fondé à soutenir que la mesure d'assignation contestée est entachée d'illégalité en tant seulement qu'elle le contraint à se présenter au commissariat de Charleville-Mézières en présence de son épouse.
Sur les frais liés au litige :
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le requérant sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : M. B est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'arrêté du 25 juin 2024 du préfet des Ardennes est annulé en tant qu'il oblige l'épouse de M. B à l'accompagner lorsqu'il satisfait à son obligation de présentation tous les jours de la semaine au commissariat de Charleville-Mézières.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, à Me Nebil Aouidet et au préfet des Ardennes.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.
La magistrate désignée,
Signé
S. LAMBING
La greffière,
Signé
S. VICENTE
Code publication