Tribunal administratif de Poitiers

Jugement du 18 juillet 2024 n° 2200357

18/07/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 8 février 2022, et des pièces complémentaires enregistrées le 9 février 2022, Mme E D, représentée par Me Guyon, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2021 par lequel la directrice des ressources humaines du centre hospitalier universitaire de Poitiers l'a suspendue de ses fonctions, jusqu'à ce qu'elle produise les justificatifs de vaccination mentionnés au I de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, ainsi que la décision implicite du 1er février 2022 rejetant le recours gracieux ;

2°) d'enjoindre au centre hospitalier universitaire de Poitiers, sans délai, à titre principal, de la rétablir dans ses fonctions, de procéder à sa réintégration et de procéder au versement de sa rémunération de manière rétroactive dans tous ses éléments et accessoires ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de procéder au versement de sa rémunération de manière rétroactive dans tous ses éléments et accessoires, le tout sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers une somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son recours est recevable ;

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée en méconnaissance des dispositions combinées des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est illégale dès lors qu'elle constitue une sanction disciplinaire déguisée et méconnaît les articles 81 et 82 de la loi du 9 janvier 1986 ;

- elle méconnaît le principe du respect des droits de la défense en méconnaissance des article L. 122-1 et L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle méconnait les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ;

- elle est illégale dès lors qu'elle constitue une mesure de police administrative injustifiée ; l'administration ne démontre pas l'utilité de l'obligation vaccinale au personnel soignant ; elle est disproportionnée dès lors qu'elle ne sert ni l'intérêt général ni la santé publique ; la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation et est disproportionnée dès lors qu'elle ne permet pas d'atteindre l'objectif poursuivi par le législateur ;

- elle méconnait le droit au respect du secret médical ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- elle porte atteinte au droit à la vie, protégé par les stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle n'est pas mise en mesure d'apprécier les risques pour sa santé et qu'aucun système de réparation particulier n'est mis en place pour le cas où elle serait confrontée aux effets indésirables de la thérapie imposée ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au regard du droit de mener une vie privée et familiale normale, du droit à l'épanouissement personnel, du droit à une vie normale, du droit à la santé ;

- elle méconnait le principe d'égalité et constitue une discrimination ;

- elle porte atteinte au principe de non-discrimination en raison de l'état de santé, garanti par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 ;

- elle porte atteinte au principe de continuité du service public hospitalier ;

- elle méconnait le principe de respect de l'intégrité physique et du corps humain ;

- elle méconnait le principe de précaution ;

- elle méconnait la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir, dès lors qu'elle constitue une sanction disciplinaire déguisée qui n'a pas été prise en respectant les garanties disciplinaires et notamment la saisine concomitante du conseil de discipline.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2022, le centre hospitalier universitaire de Poitiers conclut, à titre principal à l'irrecevabilité de la requête, et à titre subsidiaire au rejet de la requête, et en tout état de cause à ce qu'il soit mis à la charge de Mme D la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est tardive ;

- qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

-le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

-la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

-le règlement 2021/953 du 14 juin 2021 ;

- le code général de la fonction publique ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duval-Tadeusz,

- et les conclusions de Mme Bréjeon, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E D, née le 24 juin 1966, exerce ses fonctions en qualité d'infirmière diplômée d'Etat, titulaire depuis le 1er mars 2005, au sein de l'EHPAD de Lusignan, établissement relevant du centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers. Elle a été suspendue de ses fonctions à compter du 9 octobre 2021, par une décision du 7 octobre 2021 de la directrice du centre hospitalier universitaire de Poitiers, jusqu'à production des justificatifs de vaccination mentionnés au I de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Mme D demande l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, modifié par l'article 1er de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, alors en vigueur : " C. / () / 2. Lorsqu'un agent public soumis à l'obligation prévue aux 1° et 2° du A du présent II ne présente pas les justificatifs, certificats ou résultats dont ces dispositions lui imposent la présentation et s'il ne choisit pas d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés, ce dernier lui notifie, par tout moyen, le jour même, la suspension de ses fonctions ou de son contrat de travail. Cette suspension, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent produit les justificatifs requis. / Lorsque la situation mentionnée au premier alinéa du présent 2 se prolonge au-delà d'une durée équivalente à trois jours travaillés, l'employeur convoque l'agent à un entretien afin d'examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d'affectation, le cas échéant temporaire, sur un autre poste non soumis à cette obligation ". Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la Covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. / Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. Il détermine également les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 et le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. () / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. () ". Et aux termes de l'article 14 de la même loi : " () / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19 prévu par le même décret. () / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail.

La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public ". Enfin, aux termes de l'article 2-2 2° du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 : " Pour l'application du présent décret :1° Sont de nature à justifier de l'absence de contamination par la covid-19 un examen de dépistage RT-PCR, un test antigénique ou un autotest réalisé sous la supervision d'un des professionnels de santé,() 2° Un justificatif du statut vaccinal est considéré comme attestant d'un schéma vaccinal complet de l'un des vaccins contre la covid-19 ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne après évaluation de l'agence européenne du médicament ou dont la composition et le procédé de fabrication sont reconnus comme similaires à l'un de ces vaccins par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé () ".

3. En premier lieu, la décision attaquée a été signé par Mme F G, directrice des ressources humaines. Par une décision n°21-125 du 20 janvier 2020 publiée au Journal officiel n°0018 du 22 janvier 2020, la directrice du CHU de Poitiers, Mme A B a donné délégation permanente à Mme F G pour signer tout document se rapportant à la gestion de la direction des ressources humaines. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté.

4. En deuxième lieu, Mme D soutient que la décision en litige est dépourvue de motivation. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle vise, notamment, les articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ainsi que le code de la santé publique, et qu'elle fait état de l'absence de production, par l'intéressée, des justificatifs de vaccination mentionnés au I de l'article 14 de la loi précitée. Dans ces conditions et bien que cette motivation apparaisse dans le dispositif de la décision, Mme D a eu connaissance des considérations de fait et de droit constituant le fondement de la décision qu'elle conteste. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la mesure en litige doit être écarté.

5. En troisième lieu, il résulte des dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 citées au point 2, que le législateur a entendu créer un motif spécifique de suspension des fonctions. Cette modalité de suspension, justifiée par un objectif de santé publique, est assortie de garanties pour l'agent concerné, qui passe par l'information sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi, ainsi que des moyens de régulariser sa situation. Cette information, qui doit intervenir à compter du constat d'impossibilité d'exercer de l'agent, est nécessairement personnelle et préalable à l'édiction de la mesure de suspension, et peut notamment passer par la convocation à un entretien.

6. D'une part, Mme D soutient que la décision attaquée constitue une sanction disciplinaire déguisée et méconnaît le respect des droits de la défense. Toutefois, la décision attaquée prise en application du I de l'article 14 de la même loi, constituent des mesures se rattachant à la mise en œuvre d'une mission de police administrative spéciale, répondant à une finalité de santé publique et n'ayant pas vocation à sanctionner un manquement commis par les professionnels de santé. La décision par laquelle l'autorité investie du pouvoir de nomination prononce la suspension d'un agent public en application de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 doit s'analyser comme une mesure prise dans l'intérêt du service et de la politique sanitaire, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire. Reposant sur un régime juridique propre, cette mesure de suspension, qui constate le non-respect par l'agent de l'obligation vaccinale imposée par le dispositif légal en vigueur, est limitée à la période au cours de laquelle l'agent s'abstient de se conformer aux obligations qui sont les siennes en application des dispositions précitées. La décision attaquée, qui se borne à enjoindre à la requérante de respecter les conditions légales requises pour l'exercice de son activité, ne constitue pas une sanction disciplinaire. Ainsi, Mme D ne peut utilement se prévaloir, pour contester la décision de suspension, de ce que cette décision revêt le caractère d'une sanction prise en méconnaissance des droits de la défense prévus à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, aux articles L. 122-1 et L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que la décision de suspension attaquée n'a pas été prise sur le fondement de ces dispositions mais sur celles prévues par le III de l'article 14 précité de la loi du 5 août 2021. Par suite, ces moyens doivent être écartés comme étant inopérants.

7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme D a été informée par son employeur par une note de service du 12 août 2021, puis par un courrier du 10 septembre 2021 qu'elle ne serait plus en mesure d'assurer son emploi à compter du 15 septembre 2021 si elle ne répondait pas aux exigences d'obligation vaccinale prévue par la loi, ainsi que des solutions lui permettant de répondre rapidement à cette obligation. La requérante a ensuite été placée en congé maladie jusqu'au 30 septembre 2021. Ce congé maladie a pris fin suite au contrôle de son aptitude à exercer ses fonctions, effectué par le docteur C, qui a considéré qu'il n'était pas justifié et que Mme D était apte à reprendre ses fonctions. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la décision du 7 octobre 2021 a été remise en mains propres à l'intéressée, de sorte que la garantie tenant à l'information sans délai a été respectée. Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure doit donc être écarté en cette branche.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. En premier lieu, la décision contestée, qui est une mesure de suspension d'un agent public ne satisfaisant pas aux obligations légales prévues par la loi du 5 août 2021, n'a pas le caractère d'une mesure de police administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que la mesure de suspension en litige s'analyserait comme une mesure de police prise en application de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique et serait entachée d'illégalité dès lors qu'elle ne serait ni justifiée, ni nécessaire, ni proportionnée, ne peut être accueilli.

9. En deuxième lieu, l'article 13 de la loi du 5 août 2021 charge les employeurs de contrôler le respect de l'obligation de vaccination par les personnes placées sous leur responsabilité. Il prévoit que les agents ou salariés présentent un certificat de statut vaccinal, ou un certificat de rétablissement, ou un certificat médical de contre-indication. Il fait obligation aux employeurs de s'assurer de la conservation sécurisée de ces documents. Les agents ou les salariés peuvent transmettre le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication au médecin du travail compétent, qui informe l'employeur du fait que l'obligation a été satisfaite.

10. Il résulte de ces dispositions, que l'employeur ne saurait avoir accès à aucune autre donnée de santé. L'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, applicable au contrôle de l'obligation vaccinale en vertu de son article 49-1, énumère limitativement les informations auxquelles les personnes et services autorisés à contrôler les justificatifs ont accès. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient le secret médical protégé par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique doit être écarté.

11. En troisième lieu, si la requérante soutient que la décision attaquée est entachée d'une erreur de fait à défaut de justification par le CHU de Poitiers du constat visé par l'article 14 de la loi du 5 août 2021, il ressort pourtant des pièces du dossier, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, que son employeur a bien constaté que Mme D ne pouvait plus exercer ses fonctions dès lors qu'elle ne satisfaisait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 conformément aux dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 rappelées au point 1. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ".

13. Il ressort des pièces du dossier, que les vaccins contre la Covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce que soutient la requérante, ils ne sauraient dès lors être regardés comme des médicaments expérimentaux au sens de l'article L. 5121-1-1 du code de la santé publique. Si la requérante fait valoir que la liste limitative des possibilités de contre-indications individuelles porterait une atteinte potentielle à ce droit, compte tenu des risques révélés par les données de pharmacovigilance, de tels éléments ne sont pas de nature à caractériser un danger de cette nature. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. En cinquième lieu, la méconnaissance de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à la liberté et à la sureté, ne peut être utilement invoquée dans le cadre du présent litige. Par suite, le moyen doit être écarté.

15. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

16. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

17. D'une part, l'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la Covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la Covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage.

18. D'autre part, l'article 13 de la même loi prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Le champ de cette obligation apparaît ainsi cohérent et proportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi alors même que l'obligation ne concerne pas l'ensemble de la population mais seulement les professionnels qui se trouvent dans une situation qui les expose particulièrement au virus et au risque de le transmettre aux personnes les plus vulnérables à ce virus, ce qui est précisément le cas pour Mme D qui exerce en tant qu'infirmière au sein d'un EHPAD.

19. Enfin, à la lecture du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, la période de suspension, à laquelle il est loisible à l'agent de mettre fin, n'est pas indéfinie et l'atteinte au droit à l'épanouissement personnel, au droit à une vie normale, au droit à la santé, que la requérante allègue en résultant ne sont pas suffisamment graves pour caractériser une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, en prenant la décision contestée en application des articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021, la directrice du CHU de Poitiers n'a pas portée au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ce moyen doit donc être écarté.

20. En septième lieu, Mme D fait valoir que la décision litigieuse porte atteinte au principe d'égalité et constitue une discrimination au sens de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 1er du protocole n°12 à ladite convention, de l'article 288 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et du règlement n° 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021. Elle soutient également que cette décision est contraire à la liberté d'entreprendre protégée par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

21. L'article 51 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne stipule toutefois que : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités. / 2. La présente Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. ".

22. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement garanti par les stipulations du protocole n°12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant dès lors que ce protocole n'a été ni signé ni ratifié par la France. Par ailleurs, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Charte précitée et de l'article 288 du TFUE ont également inopérants en ce qu'ils concernent des stipulations qui soit ne sont pas contraignantes, soit sont inapplicables à une mesure de droit interne.

23. En huitième lieu, si Mme D soutient que la décision de suspension attaquée, prise sur le fondement de la loi du 5 août 2021, porte atteinte au droit à la santé énoncé à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ainsi qu'aux principes à valeur constitutionnelle de continuité du service public hospitalier, de respect de l'intégrité physique et du corps humain, de précaution, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir de se prononcer sur de tels moyens relatifs à la constitutionnalité de dispositions législatives, hormis dans le cas où par un mémoire distinct il serait saisi d'une demande tendant à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par suite, eu égard à l'office du juge, les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 sont irrecevables et doivent être écartés.

24. En neuvième lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

25. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de Mme D à fin d'annulation de la décision du 7 octobre 2021 par laquelle la directrice du centre hospitalier universitaire de Poitiers l'a suspendue de ses fonctions, jusqu'à ce qu'elle produise le certificat médical de contre-indication ou le justificatif de l'administration des doses de vaccin requises mentionnés au I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions qu'elle a présentées à fin d'injonction, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme D demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas non plus lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D la somme demandée par le centre hospitalier universitaire de Poitiers sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire de Poitiers présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme E D et au centre hospitalier universitaire de Poitiers.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Cristille, président,

Mme Duval-Tadeusz, première conseillère,

Mme Gibson-Thery, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé

J. DUVAL-TADEUSZ

Le président,

Signé

P. CRISTILLE

La greffière,

Signé

N. COLLET

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

La greffière,

N. COLLET

N°2200357