Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 17 juillet 2024 n° 2205242

17/07/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 13 avril 2022, la SCI SEQUANA, représentée par Me Collet, avocat, demande au Tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations de taxe annuelle sur les bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement, prévue à l'article 231 ter du code général des impôts, et de taxe annuelle sur les surfaces de stationnement perçue au profit de la région d'Île-de-France, prévue à l'article 1599 quater C du même code, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2019 à 2021, à raison de l'immeuble dont elle est propriétaire situé 82, rue Henri Farman à Issy-les-Moulineaux ;

2°) de prononcer la restitution des sommes versées à ce titre, assorties des intérêts moratoires en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SCI SEQUANA soutient que :

- les impositions en litige, prévues par les dispositions des articles 231 ter et 1599 quater C du code général des impôts, sont contraires aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par l'article 1er de la Constitution et l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- elles méconnaissent les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;

- elles constituent une aide d'État, prohibée par l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 avril 2022, la directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête.

La directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise fait valoir que les moyens invoqués par la SCI SEQUANA ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 ;

- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

-

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Villette, conseiller ;

- et les conclusions de M. Prost, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une réclamation du 15 octobre 2021, rejetée le 14 février 2022, la SCI SEQUANA a demandé à l'administration fiscale de prononcer le dégrèvement des cotisations de taxe annuelle sur les bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement, prévue à l'article 231 ter du code général des impôts, et de taxe annuelle sur les surfaces de stationnement perçue au profit de la région d'Île-de-France, prévue à l'article 1599 quater C du même code, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2019 à 2021, à raison de l'immeuble dont elle est propriétaire situé 82, rue Henri Farman à Issy-les-Moulineaux. Par cette requête, la SCI SEQUANA demande au Tribunal de prononcer la décharge de ces impositions.

Sur le cadre juridique national :

En ce qui concerne la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement prévue à l'article 231 ter du code général des impôts :

2. Aux termes de l'article 231 ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement est perçue, dans les limites territoriales de la région d'Ile-de-France, composée de Paris et des départements de l'Essonne, des Hauts-de-Seine, de la Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, du Val-d'Oise et des Yvelines () VI. - Les tarifs sont applicables dans les conditions suivantes : / 1. a. Pour les locaux à usage de bureaux, un tarif distinct au mètre carré est appliqué par circonscription, telle que définie ci-après : /1° Première circonscription : Paris et le département des Hauts-de-Seine ; / 2° Deuxième circonscription : les communes de l'unité urbaine de Paris telle que délimitée par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et du budget autres que Paris et les communes du département des Hauts-de-Seine ; / 3° Troisième circonscription : les autres communes de la région d'Ile-de-France () e) Ces tarifs sont actualisés au 1er janvier de chaque année en fonction de la prévision de l'indice des prix à la consommation, hors tabac, retenue dans le projet de loi de finances de l'année () ".

3. Aux termes de l'article L. 4414-7 du code général des collectivités territoriales : " A compter du 1er janvier 2000, une fraction de la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux et les locaux de stockage, régie par l'article 231 ter du code général des impôts, est affectée à la région d'Ile-de-France. Cette fraction est fixée à 50 % dans la limite de 720 000 000 F en 2000,840 000 000 F en 2001,146 351 040 euros en 2002,164 644 920 euros en 2003,182 938 800 euros de 2004 à 2016 et 212 938 800 euros en 2017 et les années suivantes. " S'agissant du surplus, il résulte de l'article 36 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 que le solde du produit annuel de cette taxe est affecté chaque année à compter du 1er janvier 2017, dans l'ordre de priorité, au fonds national d'aide au logement, dans la limite d'un plafond prévu par la loi n°2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, dans sa rédaction applicable au litige, puis à l'établissement public Société du Grand Paris, dans la limite d'un plafond défini par ce même texte.

En ce qui concerne la taxe annuelle sur les surfaces de stationnement prévue à l'article 1599 quater C du code général des impôts :

4. Aux termes de l'article 1599 quater C du code général des impôts : " I.- Il est institué une taxe annuelle sur les surfaces de stationnement perçue dans les limites territoriales de la région d'Ile-de-France () V.- 1.- Un tarif au mètre carré est appliqué par circonscription, définie ci-après : / 1° Première circonscription : Paris et le département des Hauts-de-Seine ; / 2° Deuxième circonscription : les communes de l'unité urbaine de Paris, telle que délimitée par l'arrêté pris pour l'application du 2° du a du 1 du VI de l'article 231 ter, autres que Paris et les communes du département des Hauts-de-Seine ; / 3° Troisième circonscription : les autres communes de la région d'Ile-de-France () 3.- Ces tarifs sont actualisés au 1er janvier de chaque année en fonction de la prévision de l'indice des prix à la consommation, hors tabac, retenue dans le projet de loi de finances de l'année. Les valeurs sont arrondies, s'il y a lieu, au centime d'euro supérieur () IX.- Le produit annuel de la taxe est affectée à la région d'Ile-de-France, retracée dans la section d'investissement de son budget, en vue de financer les dépenses d'investissement en faveur des transports en commun, dans la limite du montant prévu à l'article L. 4414-5 du code général des collectivités territoriales. Le solde de ce produit est affecté à l'établissement public Société du Grand Paris mentionné à l'article 7 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012. ".

Sur les conclusions aux fins de décharge et de restitution :

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article 1er de la Constitution et de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

5. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé () ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

6. La SCI SEQUANA se prévaut de ce que les impositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 1er de la Constitution. Toutefois, l'inconstitutionnalité de la loi ne peut être invoquée devant les juges en dehors de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Or, en l'espèce, le moyen invoqué n'a pas été présenté dans un mémoire distinct de la requête introductive d'instance. Dans ces conditions, ce moyen est irrecevable et doit, par suite, être écarté.

Sur la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :

7. Aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation comparable est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

8. Il résulte de l'instruction que l'instauration des taxes en litige résulte de la volonté du législateur de corriger les déséquilibres les plus graves que connaît la région Île-de-France en matière d'accès de ses habitants à des logements locatifs, d'éloignement entre leur lieu de travail et leur lieu d'habitation et de saturation des infrastructures de transport, le taux de ces taxes étant modulé selon trois zones afin de contribuer à orienter de nouvelles implantations. Ces impositions doivent ainsi être regardées comme poursuivant un but légitime au sens des stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, le taux de ces taxes qui, bien que ne prenant pas en compte la valeur locative des immeubles concernés, est fondé sur la différence de densité des locaux professionnels et surfaces de stationnement entre chacune des circonscriptions définies, et est indexé à l'indice des prix de la consommation, n'apparaît pas disproportionné. En outre, la SCI SEQUANA n'apporte aucun élément de nature à établir que, dans sa situation particulière, l'imposition contestée serait de nature à lui imposer une charge excessive ou porterait fondamentalement atteinte à sa situation financière. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions instituant les taxes en litiges méconnaîtraient les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la méconnaissance de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

9. Aux termes de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions () ". Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces États () 2. Si () la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine () 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale () ".

10. Il résulte des stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives aux aides d'État citées ci-dessus, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application de ces stipulations, à moins qu'elles ne constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de telle sorte qu'elles fassent partie intégrante de cette mesure. La Cour de justice a précisé, notamment par son arrêt du 22 décembre 2008, Société Régie Networks (C-333/07), que, pour qu'une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide concernées en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide et influence directement l'importance de celle-ci et, par voie de conséquence, l'appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur. Par son arrêt du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Television Digital c/ Commission (C-449/14), la Cour de justice a jugé qu'il n'y avait pas de lien d'affectation contraignant entre une taxe et une aide dans un cas où le montant des aides octroyées est déterminé en fonction de critères sans rapport avec les recettes fiscales affectées, où la législation nationale prévoit qu'un éventuel excédent de ces recettes par rapport à ces aides doit être réattribué au budget général de l'État, et où l'État doit combler la différence entre le montant des coûts des missions de service public supportés et celui des recettes fiscales affectées.

11. Il résulte des dispositions précitées du code général des impôts que la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement est affecté à concurrence de 50% au budget de la région Île-de-France, puis au fonds national d'aide au logement et à la société du Grand Paris, et pour chacun des trois attributaires dans la limite d'un montant prédéterminé. La taxe annuelle sur les surfaces de stationnement est, quant à elle, versée à la région Île-de-France et à l'établissement public Société du Grand Paris, également dans la limite de plafonds prédéterminés. Dès lors, le produit des taxes en litige ne saurait être regardé comme étant affecté au financement d'une quelconque aide, ni comme faisant partie intégrante d'une telle mesure dont la nature n'est, au demeurant, pas précisée par la société requérante. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de décharge et de restitution présentées par le SCI SEQUANA doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions présentées à ce titre par la SCI SEQUANA doivent, par suite, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI SEQUANA est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SCI SEQUANA et au directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Kelfani, président, Mme Louazel, conseillère, et M. Villette, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2024.

Le rapporteur,

signé

G. VILLETTE

Le président,

signé

K. KELFANI

La greffière,

signé

A. CHANSON

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C