Conseil d'Etat

Décision du 15 juillet 2024 n° 494127

15/07/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme A B, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation des deux jugements du 27 avril 2023 par lesquels le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 7 octobre 2020 du maire de Toulouse lui ayant refusé le remboursement des frais qu'elle a engagés du fait de son handicap pour prendre part aux séances des conseils municipaux et de la métropole et, d'autre part, à l'annulation de la décision du 16 février 2022 du président de Toulouse Métropole lui refusant la prise en charge des frais liés à l'aide humaine qu'elle sollicite pour la préparation des séances et conseils en tant qu'élue de la métropole en situation de handicap, a produit un mémoire, enregistré le 4 avril 2024 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 24TL00629 QPC du 7 mai 2024, enregistrée le même jour au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Toulouse, avant qu'il soit statué sur la demande de Mme B, a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-18-1 et du dernier alinéa de l'article L. 5211-13 du code général des collectivités territoriales.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur les dispositions contestées :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 2123-18-1 du code général des collectivités territoriales : " Les membres du conseil municipal peuvent bénéficier du remboursement des frais de transport et de séjour qu'ils ont engagés pour se rendre à des réunions dans des instances ou organismes où ils représentent leur commune ès qualités, lorsque la réunion a lieu hors du territoire de celle-ci. / Lorsqu'ils sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations visées à l'alinéa précédent, ainsi que pour prendre part aux séances du conseil municipal et aux réunions des commissions et des instances dont ils font partie ès qualités qui ont lieu sur le territoire de la commune. () ". Ces dispositions ne peuvent être entendues comme prévoyant en outre la prise en charge de tous les frais supportés par les membres du conseil municipal en situation de handicap, du fait de cette situation, pour l'exercice de leur mandat, telles que ceux des aides auxquels ils seraient amenés à recourir pour la préparation des réunions des instances que ces dispositions mentionnent.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 5211-13 du même code : " Lorsque les membres des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale mentionnés à l'article L. 5211-12 engagent des frais de déplacement à l'occasion des réunions de ces conseils ou comités, du bureau, des commissions instituées par délibération dont ils sont membres, des comités consultatifs prévus à l'article L. 5211-49-1, de la commission consultative prévue à l'article L. 1413-1 et des organes délibérants ou des bureaux des organismes où ils représentent leur établissement, ces frais peuvent être remboursés lorsque la réunion a lieu dans une commune autre que celle qu'ils représentent, dans les conditions fixées par décret. / La dépense est à la charge de l'organisme qui organise la réunion. / Lorsque lesdits membres sont en situation de handicap, ils peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique qu'ils ont engagés pour les situations mentionnées au premier alinéa, dans des conditions fixées par décret ". Les dispositions du dernier alinéa de cet article, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans le vie locale et à la proximité de l'action publique dont elles sont issues, doivent être entendues comme prévoyant, pour les membres en situation de handicap des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale, la prise en charge par l'organisme organisant la réunion des frais que ces dispositions énumèrent lorsqu'ils sont exposés à l'occasion de l'ensemble des réunions mentionnées au premier alinéa du même article, y compris quand ces réunions ont lieu dans la commune que ces membres représentent.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. En premier lieu, Mme B soutient que les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 2123-18-1 du code général des collectivités territoriales et du dernier alinéa de l'article L. 5211-13 du même code, citées aux points précédents, ne sont pas claires et méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

5. La méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

6. En deuxième lieu, Mme B soutient que les dispositions contestées des articles L. 2123-18-1 et L. 5211-13 du code général des collectivités territoriales méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et les exigences constitutionnelles en matière de solidarité nationale en faveur des personnes handicapées, en ce qu'elles ne prévoient pas la prise en charge par la collectivité, pour les élus en situation de handicap, des frais entraînés par la préparation des réunions des instances ou des organismes où ils se rendent à raison de l'exercice de leur mandat local, et instituent ainsi une différence de traitement injustifiée entre les élus locaux en situation de handicap et les autres élus locaux.

7. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, si les exigences constitutionnelles résultant des 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 impliquent la mise en œuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur des personnes handicapées, il est cependant loisible au législateur, pour satisfaire à ces exigences, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées.

8. Par les dispositions contestées, le législateur a entendu favoriser l'accès effectif des personnes handicapées à l'exercice de mandats électifs locaux en permettant, dans leur cas, en plus de ce que prévoit le droit commun, la prise en charge par la commune, pour les conseillers municipaux, ou par l'organisme qui organise la réunion, pour les membres des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale, de frais spécifiques de déplacement, d'accompagnement et d'aide technique entraînés par la participation aux réunions des organes dans lesquels ils siègent, y compris quand ces réunions se tiennent dans la commune qu'ils représentent ou dont ils sont élus, sans pour autant étendre cette prise en charge à tous les frais liés à l'exercice de leur mandat. Ce faisant, il n'a méconnu ni les exigences mentionnées au point précédent, ni le principe constitutionnel d'égalité.

9. En troisième lieu, si Mme B soutient que les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 5211-13 du code général des collectivités territoriales méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, en ce qu'elles ne prévoiraient pas la prise en charge des frais qu'elles mentionnent lorsqu'ils sont exposés par un membre en situation de handicap de l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale à l'occasion d'une réunion se tenant dans la commune qu'il représente, alors que celles du deuxième alinéa de son article L. 2123-18-1 prévoient une telle prise en charge pour les conseillers municipaux en situation de handicap y compris à l'occasion des réunions se tenant dans la commune dont ils sont élus, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que les dispositions contestées n'ont pas pour effet d'instituer la différence de traitement invoquée.

10. En dernier lieu, si Mme B soutient en outre que les dispositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant les charges publiques, de réparation, de sauvegarde de la dignité de la personne et d'unicité du peuple français, ces griefs ne sont en tout état de cause pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le sérieux.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d'appel de Toulouse.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A B, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la commune de Toulouse et à la métropole de Toulouse.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Toulouse.

Délibéré à l'issue de la séance du 1er juillet 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, Mme Cécile Isidoro, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 15 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Nicole da Costa

La secrétaire :

Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova

Code publication

C