Renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 24 avril et 24 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune d'Istres demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n° 22MA02463 du 17 octobre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 13 juillet 2022 du tribunal administratif de Marseille qui a annulé la délibération du 23 décembre 2020 de son conseil municipal octroyant au maire de la commune le bénéfice de la protection fonctionnelle, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la commune d'Istres ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable à la date du litige : " Sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ne peut être condamné sur le fondement du troisième alinéa de ce même article pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de ses fonctions que s'il est établi qu'il n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie. / La commune est tenue d'accorder sa protection au maire, à l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. / La commune est tenue de souscrire, dans un contrat d'assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l'assistance psychologique et les coûts qui résultent de l'obligation de protection à l'égard du maire et des élus mentionnés au deuxième alinéa du présent article. Dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l'objet d'une compensation par l'Etat en fonction d'un barème fixé par décret. / Lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation agit en qualité d'agent de l'Etat, il bénéficie, de la part de l'Etat, de la protection prévue par l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ". Les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 sont actuellement reprises à l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique, aux termes duquel : " Lorsque l'agent public fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. / L'agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. / La collectivité publique est également tenue de protéger l'agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ".
3. Il résulte de ces dispositions que la collectivité publique ne peut accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle au maire, ou à un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation que lorsqu'il fait l'objet de poursuites pénales, c'est-à-dire lorsque l'action publique a été mise en mouvement à son encontre dans les conditions prévues à l'article 1er du code de procédure pénale, et non lorsqu'il fait l'objet de mesures prises dans le cadre d'une enquête préliminaire. Il ne bénéficie de la protection fonctionnelle également prévue, avant l'engagement de telles poursuites, en cas d'audition comme témoin assisté ou de placement en garde à vue, par l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique que lorsqu'il agit en tant qu'agent de l'Etat, laquelle protection fonctionnelle est alors accordée et prise en charge par l'Etat.
4. Les dispositions de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales sont applicables au présent litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. En premier lieu, le grief tiré de ce qu'elles méconnaissent un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui implique que les collectivités publiques accordent leur protection aux agents publics mis en cause à raison de faits commis dans l'exercice de leurs fonctions, dès lors qu'il ne s'agit pas de fautes détachables, soulève une question qui peut être regardée comme nouvelle au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. En second lieu, le grief tiré de ce que, à raison de la différence de traitement qu'elles instituent entre, d'une part, le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation pour lesquels la protection fonctionnelle n'est prévue que lorsqu'ils font l'objet de poursuites pénales à moins qu'ils n'agissent au nom de l'Etat et, d'autre part, les autres agents publics, elles portent atteinte au principe d'égalité garanti par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Istres, à M. A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er juillet 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, Mme Cécile Isidoro, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Nicole da Costa, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 15 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Nicole da Costa
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova
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