Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".
2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".
3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".
4. Enfin, aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / [] c) les rémunérations et avantages occultes [] ". Et aux termes de l'article 158-7 de ce code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, applicable au litige : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par un coefficient de 1,25. Ces dispositions s'appliquent () 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ".
5. L'administration fiscale a assujetti M. B à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales au titre de l'année 2013 à raison de revenus distribués au sens des dispositions de l'article 111 c du code général des impôts correspondant, d'une part, à des avantages occultes d'un montant de 288 070 euros qui lui auraient été procurés par la SARL Pro Exo Com, et, d'autre part, à des revenus non déclarés d'un montant de 29 000 euros en provenance de la société belge AS Distribution dont il aurait bénéficié. En application des dispositions du 2° de l'article 158-7 du code général des impôts, ces revenus ont été imposés à hauteur de 125 % de leur montant.
6. Par sa décision n° 2019-793 QPC du 28 juin 2019, le Conseil Constitutionnel a jugé que la référence " c " et les mots " et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice " figurant au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans ses rédactions résultant respectivement de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 et de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013, cette dernière étant applicable au litige, sont conformes à la Constitution.
7. M. B soutient que les dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts introduisent une rupture d'égalité devant l'impôt et les charges publiques en ce qu'elles prévoient que le revenu distribué dans des conditions irrégulières ou occultes est multiplié par 1,25 pour le calcul de l'impôt sur le revenu dès lors que l'imposition ainsi majorée est basée sur un revenu dont le contribuable n'a pas disposé, et qu'au regard de ce critère la décision de la Cour européenne des droits de l'homme CEDH, 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France constitue un changement de circonstances de droit justifiant que le Conseil Constitutionnel procède à un nouvel examen de ces dispositions.
8. Dans sa décision du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France, la Cour européenne des droits de l'homme a, tout d'abord, rappelé sa jurisprudence selon laquelle l'article 1 du Protocole no 1 additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - aux termes duquel " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " - doit être interprété en sorte que toute ingérence d'un Etat doit ménager un " juste équilibre " entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, et que doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, la Cour reconnaissant à l'Etat une grande marge d'appréciation, notamment, pour juger si les conséquences des modalités qu'il retient se trouvent légitimées, dans l'intérêt général, par le souci d'atteindre l'objectif de la loi en cause. La Cour s'est ensuite attachée à déterminer si, dans les circonstances de l'espèce, la méthode choisie par le législateur pour assurer le paiement de l'impôt au moyen du dispositif fondé sur le 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts alors applicable reposait suffisamment sur une " base raisonnable ", de nature à garantir un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. La Cour a alors considéré, en particulier, que la circonstance que le requérant a respecté ses obligations fiscales et que sa bonne foi n'a pas été mise en doute revêt de l'importance dans l'appréciation du caractère raisonnable des mesures prises par l'État pour parvenir au recouvrement optimal de l'impôt, et que le nouveau dispositif consistait pour le contribuable à payer un impôt sur des revenus non déclarés et, par conséquent, supposés non perçus sauf à présumer de la fraude volontaire de l'intéressé, en sorte que l'imposition contestée était basée sur des revenus pouvant être qualifiés de " fictifs ". La Cour a ainsi rendu l'avis selon lequel la méthode choisie par le législateur, à savoir assurer le paiement de l'impôt au moyen d'une majoration de l'assiette de l'impôt dû par les non-adhérents à une association agréée - à laquelle l'adhésion n'était pourtant pas obligatoire - et par les contribuables concernés ne faisant pas appel à un autre professionnel agréé - une telle faculté leur étant pourtant accordée par la loi - , ne reposait pas suffisamment sur une " base raisonnable " en ce qu'elle était contraire à la philosophie générale du système, basé sur les déclarations du contribuable présumées faites de bonne foi, et correctes, la proportion de fraudes ou d'erreurs constatée chez les adhérents étant quasiment la même que celle constatée chez les non-adhérents selon un rapport de la Cour des comptes. La Cour européenne des droits de l'homme a déduit de ces éléments que la méthode appliquée en l'espèce avait rompu le juste équilibre devant exister entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, en sorte qu'il y avait eu une violation de l'article 1 du Protocole n° 1 sur la période d'imposition de 2006 à 2011 concernée.
9. Ainsi que le fait valoir le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, cette décision du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France de la Cour européenne des droits de l'homme concerne les dispositions alors applicables du 1° de l'article 158-7 du code général des impôts, et non celles du 2° de cet article applicables au litige qui oppose M. B et l'administration fiscale. Or, contrairement aux dispositions du 1° de l'article 158-7 alors applicables, qui visaient à assurer le paiement de l'impôt au moyen d'une majoration de l'assiette de l'impôt dû par les non-adhérents à une association agréée quand bien même ils avaient respecté leurs obligations au regard de la loi fiscale, comme il vient d'être dit au point précédent, les revenus visés par les dispositions critiquées du 2° l'article 158-7 du code général des impôts concernent des distributions irrégulières dont l'existence est révélée à l'occasion d'un contrôle fiscal. Dans ces conditions, l'intervention de cette décision de la Cour européenne des droits de l'homme ne saurait être qualifiée de changement des circonstances au sens du 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.
10. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B ne satisfait pas à la condition, fixée par les dispositions du 2° de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, selon laquelle la disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances. Dès lors, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.
ORDONNE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de Contrôle Fiscal d'Ile-de-France.
Fait à Paris, le 12 juillet 2024.
La présidente de la 5ème chambre,
H. VINOT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Code publication