Renvoi
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le président de la 1ère chambre,
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 13 juin 2024, et un mémoire, enregistré le 9 juillet 2024, M. et Mme [...], représentés par l'EIRL Yonan-Mercadier, demandent, à l'appui de leur requête tendant, notamment, à la décharge des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2022, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1 du V de l'article 151 septies A du code général des impôts en tant qu'elles subordonnent l'exonération de l’indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances par la compagnie d'assurances qu'il représente à l'occasion de la cessation du mandat à la condition que l'agent exerce à titre individuel.
M. et Mme [...] soutiennent que :
- les dispositions législatives en cause sont applicables au litige ;
- si d'autres dispositions du texte prévoyant l’exonération de l'indemnité compensatrice versée par une compagnie d'assurance ont déjà été soumises au Conseil constitutionnel, tel n'est pas le cas des dispositions en cause ;
- la question est sérieuse dès lors que la condition tenant au mode d'exercice, en société ou à titre individuel, de l'activité d'agents généraux partant à la retraite porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques et cette différence entre contribuables cessant leur activité n'est pas justifiée par un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi par le législateur, lequel a entendu faciliter la reprise des activités ;
- en l'espèce, la compagnie d'assurance a choisi deux successeurs qui poursuivent chacun leur activité respective ;
- par ailleurs, la restriction limitée aux agents généraux d'assurances exerçant à titre individuel se double d'une différence de traitement injustifiée avec des cédants dans la mesure où, en cas de cession de gré à gré, la loi étend l'exonération de la plus-value professionnelle en résultant aussi bien en cas de cession d'une entreprise individuelle qu'en cas de cession de parts de la société de personnes à travers laquelle le contribuable exerce son activité ;
- la limitation instaurée par les dispositions législatives contestées revient donc à traiter de façon différente et sans justification objective et rationnelle les agents généraux d'assurance partant à la retraite et ceux qui procèdent à une cession de gré à gré ;
- la loi et la jurisprudence ont rapproché le traitement fiscal des gains de cession, d'une part, et de l'indemnité compensatrice en cas de cessation d'activité, d'autre part, à un point tel que la comparaison entre agents cédants et agent faisant valoir leurs droits à la retraite est pertinente.
Par un mémoire, enregistré le 4 juillet 2024, le directeur régional des finances publiques de Normandie conclut au rejet de la demande de transmission.
Le directeur soutient que :
- si les conditions tenant à l'applicabilité des dispositions législatives contestées au litige et à l'absence de leur conformité à la Constitution sont remplies, tel n'est pas le cas de la condition tenant au caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les contribuables qui cèdent leur activité d'agent général d'assurance ne sont, objectivement, pas placés dans la même situation que ceux qui cessent leur activité ;
- dès lors que l'objectif du législateur est de favoriser la poursuite des activités, il apparaît justifié qu'il ait instauré un traitement fiscal plus favorable aux opérations de cession qu'aux opérations de cessation d'activité ;
- l'indemnité compensatrice représente au demeurant le droit de créance de commission abandonné par l'agent général à la compagnie et non pas le prix de cession d'une clientèle, le portefeuille de clients restant la propriété de la compagnie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1607 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code des assurances ;
- le décret n° 96-902 du 15 octobre 1996 ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme [...] étaient agents généraux d'assurance à Rouen. Mme [...] a cessé son activité le 21 novembre 2021 pour cause d'invalidité et son époux a cessé la sienne le 31 décembre 2021 pour faire valoir ses droits à la retraite. L'administration fiscale a refusé de faire droit à leur demande tendant à placer les deux indemnités compensatrices versées au cours de l'année 2022 par la compagnie [...] sous le régime de l'exonération du V de l'article 151 septies A du codé général des impôts au motif que les contribuables n'avaient pas exercé leur activité de mandataire à titre individuel mais au sein d'une société de fait.
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu de l'article R. 771-7 du code de la justice administrative, les présidents de formation de jugement des tribunaux peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.
3. Les dispositions législatives en cause sont les termes « exerçant à titre individuel » figurant à la première phrase du 1 du V de l'article 151 septies A du code général des impôts ainsi libellées : « L'indemnité compensatrice versée à un agent général d'assurances exerçant à titre individuel par la compagnie d'assurances qu'il représente à l'occasion de la cessation du mandat bénéficie du régime mentionné au I (...) ».
4. Aux termes de l'article 6 de la déclaration du 26 août 1789 des droits de l'homme et du citoyen : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leur représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. (...) » Aux termes de l'article 13 de la même déclaration : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leur facultés. » En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il poursuit. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
5. Les dispositions législatives en cause n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution. Elles sont, par ailleurs, applicables au litige soulevé par M. et Mme [...] par leur requête tendant à la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux qu'ils ont acquittées à raison de la perception des indemnités compensatrices à l’occasion de la cessation de leur activité d'agent général d'assurance.
6. En restreignant le bénéfice de l'exonération de l'indemnité compensatrice versée aux agents généraux d'assurance lors d'une cessation d'activité aux contribuables exerçant à titre individuel, la loi instaure une différence de traitement avec les agents généraux d'assurance mettant fin à leur activité exercée dans le cadre, notamment, d'une société de personnes. Par ailleurs, compte tenu de l'extension, opérée par la loi, du régime général d'exonération des plus-values de cession au cas des cessations d'activité d'agent général d'assurance, la restriction discutée instaure une différence de traitement au détriment des agents généraux cessant leur activité exercée à travers une société dès lors que le champ d'exonération couvre aussi bien les gains engendrés par la cession d'une activité individuelle que par la cession de droits ou de parts d'une entité soumise au régime fiscal des sociétés de personnes au sein de laquelle l'activité est exercée. Le moyen tiré de ce que les dispositions législatives en cause porteraient atteinte au principe d'égalité devant l'impôt pose donc une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité.
ORDONNE :
Article 1er : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des termes « exerçant à titre individuel » figurant à la première phrase du 1 du V de l'article 151 septies A du code général des impôts est transmisse au Conseil d'Etat.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. et Mme [...] jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. [...], à Mme [...] et au directeur régional des finances publiques de Normandie.
Fait à Rouen, le 11 juillet 2024.
Le président de la 1ère chambre.
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