Cour administrative d'appel de Lyon

Arrêt du 11 juillet 2024 n° 22LY03041

11/07/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B C a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 à 2014, et des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 2000601 du 24 août 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 octobre 2022, 6 avril 2023, 26 octobre 2023 et 18 décembre 2023, M. C, représenté par Me Planchat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions, des contributions sociales et des majorations correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne son activité de négoce de matériel agricole :

- les conditions d'application de la procédure d'imposition d'office pour opposition à contrôle fiscal ne sont pas remplies, dès lors que pour reconstituer ses bénéfices imposables, le service s'est fondé sur les éléments obtenus dans l'exercice de ses droits de communication, qui ne sont pas soumis à l'obligation de débat oral et contradictoire dans le cadre de la vérification de comptabilité ;

- la plainte pour opposition à contrôle déposée par le vérificateur a été classée sans suite par le parquet de Valence, ce qui correspond à une décision d'acquittement qui s'impose à l'administration et fait obstacle à la mise en œuvre de la procédure d'opposition à contrôle fiscal, conformément à l'article 6 §2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et au principe de sécurité juridique ;

- les éléments de fait retenus par l'administration ne permettent pas de caractériser, de sa part, un comportement constitutif d'une opposition à contrôle fiscal, dès lors qu'il n'a jamais évité les entrevues et contacts avec le service ;

- l'administration a méconnu l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration et l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne en refusant de donner suite à sa demande d'entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur ;

- l'administration a méconnu l'article L. 213 du livre des procédures fiscales et l'article 429 du code de procédure pénale en se fondant sur un procès-verbal d'opposition à contrôle fiscal établi par un agent n'ayant pas constaté les faits qui y sont relatés ;

- l'administration n'établit pas lui avoir régulièrement notifié un avis de vérification de comptabilité, compte tenu d'une erreur dans l'adresse à laquelle il a été envoyé ;

- il a été privé de la garantie de pouvoir être assisté par un conseil, en violation de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, dès lors que les vérificateurs ont refusé, le 21 juin 2016, la présence de l'huissière de justice, qui s'est présentée comme son conseil ; il est fondé à se prévaloir, sur ce point, des énonciations du paragraphe 20 de la documentation administrative référencée BOI-CF-PGR-20-20 du 12 septembre 2012 ;

- la décision de lui infliger la majoration de 100 % , qui constitue une sanction fiscale, a été prise dans la proposition de rectification du 31 octobre 2016, sans être précédée d'une information l'invitant à faire valoir ses observations, en violation du principe du contradictoire garanti par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- l'administration a retenu un montant forfaitaire de 10 % de son chiffre d'affaires HT pour évaluer le montant des charges autres que les achats de matériel agricole, sans préciser les modalités de détermination de ce taux, ce qui démontre l'exagération du bénéfice reconstitué, outre une méconnaissance des articles L. 76 et L. 57 du livre des procédures fiscales ;

- la majoration de 1,25 en base qui lui a été appliquée sur le fondement du 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts est contraire à l'article 1 du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elle concerne des revenus non perçus, ainsi que l'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme dans sa décision du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France.

En ce qui concerne son activité de courtier en assurances :

- le service ne démontre pas que la prescription du droit de reprise, portant sur l'année 2011, a été régulièrement interrompue avant le 31 décembre 2014, l'accusé de réception du pli contenant la proposition de rectification du 16 décembre 2014 n'ayant pas été signé par lui ;

- la méthode de reconstitution des bénéfices des années 2011 à 2013, fondée sur le montant des commissions qui lui ont été versées, est viciée dans son principe, dès lors qu'elle ne respecte pas les règles de rattachement des produits et des charges en matière de bénéfices industriels et commerciaux ;

- la majoration de 1,25 en base qui lui a été appliquée sur le fondement du 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts est contraire à l'article 1 du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elle concerne des revenus non perçus, ainsi que l'a jugé la Cour européenne des droits de l'homme dans sa décision du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France.

Par des mémoires, enregistrés le 22 mai 2023, 18 mars 2024 et 26 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut, dans le dernier état de ses écritures, au non-lieu à statuer partiel, à hauteur de 169 513 euros, et au rejet du surplus des conclusions de la requête de M. C.

Il soutient que :

- un dégrèvement a été prononcé le 22 mars 2024 correspondant à l'abandon de la majoration de 1,25 pour défaut d'adhésion à une association de gestion agréée, appliquée aux bénéfices industriels et commerciaux de M. C afférents à ses activités de courtier en assurances et de négoce de matériel agricole sur le fondement du 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts ;

- pour le surplus, les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 14 mars 2024, et un mémoire complémentaire enregistré le 26 mars 2024, M. C demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts.

Il soutient que :

- ces dispositions sont applicables au litige ;

- si ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la constitution par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010, la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France, qui a considéré que la majoration qu'elles instituent était contraire à l'article 1 du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, constitue un changement de circonstances justifiant une nouvelle transmission ;

- elles méconnaissent l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui garantit l'égalité devant les charges publiques.

Par un mémoire, enregistré le 26 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Il soutient que compte tenu du dégrèvement prononcé en cours d'instance, qui porte sur la majoration de 1,25 en base prévue au 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts, les dispositions sur lesquelles porte la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. C ne sont plus applicables au litige.

Par ordonnance du 29 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 avril 2024.

M. C a produit un nouveau mémoire le 20 juin 2024, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la Constitution, notamment son Préambule ainsi que son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon, présidente assesseure,

- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,

- et les observations de Me Planchat, représentant M. C ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C, exploitant agricole et courtier en assurances dans la Drôme, a été assujetti, au titre des années 2011, 2012 et 2013, à des compléments d'impôt sur le revenu, assortis de pénalités, résultant de rehaussements des résultats de son activité de courtier en assurances exercée à titre individuel, notifiés à l'issue d'une vérification de comptabilité de cette activité. La demande de décharge de ces impositions et pénalités qu'il a présentée a été rejetée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 mai 2021 confirmant un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 octobre 2019. Un examen contradictoire de situation fiscale personnelle de M. C portant sur les années 2012 et 2013 ayant révélé qu'il s'était livré à une activité non déclarée de négoce de matériels agricoles, l'administration a diligenté une vérification de comptabilité de cette activité. A l'issue de ce contrôle, M. C a été assujetti, au titre des années 2012, 2013 et 2014, à des compléments d'impôt sur le revenu à raison des bénéfices tirés d'une activité occulte de négoce de matériels agricoles que l'administration a évalués d'office sur le fondement de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales applicable en cas d'opposition à contrôle fiscal. Ces impositions ont été assorties de la majoration de 100 % prévue à l'article 1732 du code général des impôts. M. C relève appel du jugement du 24 août 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti à la suite de ces vérifications de comptabilité.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. M. C soutient que les dispositions du 7. de l'article 158 du code général des impôts, aux termes desquelles : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : / 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition : / a) Qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater H, à l'exclusion des membres d'un groupement ou d'une société mentionnés aux articles 8 à 8 quinquies et des conjoints exploitants agricoles de fonds séparés ou associés d'une même société ou groupement adhérant à l'un de ces organismes ; " méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques consacré par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

4. Par une décision du 22 mars 2024, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur départemental des finances publiques de l'Isère a prononcé le dégrèvement, à concurrence de 169 513 euros, des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels M. C a été assujetti au titre des années 2011 à 2014, et des majorations correspondantes. Ce dégrèvement correspond à l'abandon de la majoration de 1,25 en base appliquée, sur le fondement de ces dispositions, aux bénéfices industriels et commerciaux reconstitués tirés par M. C, d'une part, de son activité de courtier en assurances, et, d'autre part, de son activité occulte de négoce de matériel agricole au titre, respectivement, des années 2011 à 2013 et des années 2012 à 2014 et des pénalités y afférentes. Par suite, il n'y a pas lieu pour la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par le requérant portant sur les dispositions du 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts, qui ne sont plus applicables au litige.

Sur les conclusions relatives aux impositions :

En ce qui concerne l'étendue du litige :

5. Ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, l'administration a prononcé le dégrèvement, à concurrence de 169 513 euros, des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels M. C a été assujetti au titre des années 2011 à 2014, et des majorations correspondantes. Les conclusions à fin de décharge de M. C sont, dans la mesure de ce montant, devenues sans objet.

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'office suivie pour fixer les résultats de l'activité de négoce de matériels agricoles :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. () ".

7. En cas de contestation sur ce point, il incombe à l'administration fiscale d'établir qu'un avis de vérification a été régulièrement adressé au contribuable et, lorsque le pli contenant cet avis a été renvoyé par le service postal au service expéditeur, de justifier de la régularité des opérations de présentation à l'adresse du destinataire. La preuve qui lui incombe ainsi peut résulter soit des mentions précises, claires et concordantes figurant sur les documents, le cas échéant électroniques, remis à l'expéditeur conformément à la règlementation postale soit, à défaut, d'une attestation de l'administration postale ou d'autres éléments de preuve établissant la délivrance par le préposé du service postal d'un avis de passage prévenant le destinataire de ce que le pli est à sa disposition au bureau de poste. Compte tenu des modalités de présentation des plis recommandés prévues par la réglementation postale, doit être regardé comme portant des mentions précises, claires et concordantes suffisant à constituer la preuve d'une notification régulière le pli recommandé retourné à l'administration auquel est rattaché un volet " avis de réception " sur lequel a été apposée la date de vaine présentation du courrier et qui porte, sur l'enveloppe ou l'avis de réception, l'indication du motif pour lequel il n'a pu être remis.

8. Le service vérificateur a adressé à M. C, le 4 janvier 2016, un avis de vérification de comptabilité portant sur son activité de négoce de matériel. Il résulte de l'instruction, et notamment de la copie de l'avis de réception postal produit au dossier de première instance, que le pli contenant cet avis a été présenté au domicile de M. C le 6 janvier 2016, que ce dernier a été avisé de sa mise en instance et que l'enveloppe contenant ce pli, revêtue de la mention " non réclamé ", a été retournée au service vérificateur le 22 janvier suivant, soit après l'expiration du délai de mise en instance de quinze jours au bureau de poste. Il résulte également de l'instruction que cet avis de vérification a été envoyé à l'adresse exacte déclarée par M. C aux services fiscaux, à savoir chemin de Bondonneau à Allan (Drôme). L'intéressé ne saurait, dans ces conditions, reprocher à l'administration fiscale de ne pas avoir mentionné un numéro d'adresse qu'il n'avait pas porté à sa connaissance. Par ailleurs, les seules circonstances qu'il existerait un chemin de Bondonneau sur le territoire de la commune voisine de Montélimar, qu'un homonyme résiderait dans cette autre commune et que le requérant recevrait régulièrement dans sa boîte aux lettres du courrier qui ne lui est pas adressé, ne sont pas de nature à établir l'irrégularité de la notification postale. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

9. En deuxième lieu, M. C soutient avoir été privé de la garantie de pouvoir être assisté par un conseil, dès lors que les vérificateurs ont refusé, lors de l'entrevue du 21 juin 2016, la présence de l'huissière de justice qui s'est présentée comme son conseil. Il résulte de l'instruction que M. C a été averti, dans l'avis de vérification de comptabilité et à plusieurs reprises par la suite, qu'il pouvait bénéficier de l'assistance d'un conseil au cours du contrôle. Il résulte également de l'instruction, et notamment de l'exposé du déroulement de la visite du 21 juin 2016, établi par le nouveau vérificateur en charge du contrôle dans le cadre du procès-verbal d'opposition à contrôle fiscal du 20 juillet 2016, que l'huissière de justice, arrivée vers 10h15 sur les lieux, était présente pour constater tout ce qui serait dit et fait. N'étant pas mandatée pour assister M. C en qualité de conseil, elle a été invitée à quitter les lieux, ce qu'elle a fait, avec l'accord de l'intéressé. M. C n'apportant aucun élément de nature à établir que l'huissière de justice avait été mandatée en tant que conseil, le moyen tiré de ce qu'il a été irrégulièrement privé de l'assistance d'un conseil au cours du contrôle doit être écarté.

10. M. C n'est pas fondé à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe 20 de la documentation administrative référencée BOI-CF-PGR-20-20 du 12 septembre 2012, qui sont relatives à la procédure d'imposition.

11. En troisième lieu, M. C reprend en appel le moyen, qu'il avait invoqué en première instance, tiré de ce que la procédure d'office prévue au premier alinéa de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, aux termes duquel " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers ", n'était pas encourue, son comportement au cours du contrôle ne caractérisant pas, en l'espèce, une opposition à contrôle fiscal au sens de ces dispositions. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 5 et 6 du jugement attaqué.

12. Si le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Valence a classé sans suite la plainte pour opposition à fonctions déposée par le vérificateur à raison des faits survenus lors de l'intervention du 7 avril 2016, cette circonstance ne fait pas, en elle-même, obstacle à la mise en œuvre de la procédure d'opposition à contrôle fiscal, dès lors qu'une décision de classement sans suite n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée par le juge pénal, laquelle ne s'attache qu'aux constatations matérielles contenues dans les décisions des juridictions qui sont définitives et qui statuent sur le fond de l'action publique. Par ailleurs, une décision de classement sans suite n'étant pas une décision d'acquittement, M. C n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le recours à la procédure d'évaluation d'office méconnaît les stipulations du 2. de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives à la présomption d'innocence et le principe de sécurité juridique.

13. La mise en œuvre de la procédure d'évaluation d'office en cas d'opposition à contrôle fiscal n'est subordonnée à aucune mise en demeure ou autre formalité préalable. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du procès-verbal d'opposition à contrôle fiscal au regard des dispositions de l'article L. 213 du livre des procédures fiscales, doit être écarté comme inopérant.

14. Il résulte de ce qui précède que l'administration a pu régulièrement évaluer d'office les bénéfices industriels et commerciaux tirés par M. C de son activité occulte de négoce de matériel agricole.

15. En quatrième lieu, M. C soutient qu'en refusant de faire droit à sa demande d'entretien avec le supérieur hiérarchique, formulée après la notification des modalités de détermination de ses bases d'imposition du 31 octobre 2016, l'administration a porté atteinte aux droits de la défense protégés par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ".

16. Toutefois, si la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, dont les mentions sont opposables à l'administration en application du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, prévoit la possibilité de faire appel au supérieur hiérarchique du vérificateur en cas de désaccord avec ce dernier après l'envoi de la réponse aux observations du contribuable, une telle garantie ne bénéficie qu'au contribuable relevant d'une procédure d'imposition contradictoire. M. C ayant été à bon droit, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, imposé d'office pour s'être opposé au contrôle fiscal dont il faisait l'objet, il ne peut utilement se prévaloir de la garantie consistant à pouvoir faire appel, à l'issue du contrôle, au supérieur hiérarchique du vérificateur. Il ne peut davantage utilement se prévaloir, pour contester le refus qui a été opposé à sa demande d'entretien avec le supérieur hiérarchique, des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui ne sont pas applicables en matière de procédure d'imposition, régie par des dispositions spécifiques.

17. Il résulte par ailleurs de l'instruction que M. C a été mis à même, à plusieurs reprises, de présenter ses observations au cours du contrôle, notamment lors de l'entretien qu'il a eu le 10 mai 2016 avec le supérieur hiérarchique du vérificateur à la suite de l'incident survenu lors de la visite du 7 avril 2016, à l'issue duquel un nouveau vérificateur a été désigné pour poursuivre les opérations de contrôle. Il a également été rendu destinataire, alors que l'administration n'y était pas tenue à raison de la situation d'opposition à contrôle fiscal dans laquelle il s'est placé, d'une notification de ses bases d'imposition évaluées d'office le 31 octobre 2016 lui offrant la possibilité de présenter des observations, ce qu'il a fait par un courrier du 20 décembre suivant, auquel le service a répondu par courrier du 23 février 2017, soit avant la mise en recouvrement des impositions. Dans ces conditions, M. C, n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu'il a été privé du droit de se défendre, en violation de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

18. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions. () ".

19. La proposition de rectification du 31 octobre 2016 adressée à M. C au terme de la vérification de comptabilité de son activité de négoce de matériel agricole comporte les bases de calcul des impositions, établies d'office sur le fondement de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, et leurs modalités de détermination, qu'il s'agisse de la reconstitution des recettes tirées de cette activité ou de la fixation des charges admises en déduction des résultats imposables. En particulier, le service vérificateur a indiqué qu'en l'absence de tout justificatif de la nature et du montant des charges autres que les achats de matériels ensuite revendus, celles-ci étaient évaluées forfaitairement à 10 % du chiffres d'affaires hors taxes. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales doit, en tout état de cause, être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant de l'activité de négoce de matériel agricole :

20. En premier lieu, aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ".

21. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer les bénéfices de l'activité de négoce de matériel agricole de M. C, le vérificateur s'est fondé sur les encaissements figurant sur les comptes bancaires de l'intéressé et les factures émises par celui-ci à destination de ses clients. Il a admis en déduction, d'une part, les charges correspondant à l'achat des matériels et, d'autre part, les charges correspondant aux frais de transport, aux frais financiers et de bureau, évaluées forfaitairement à 10 % du chiffre d'affaires, en l'absence de tout justificatif produit au cours du contrôle.

22. Si M. C conteste l'évaluation des frais de son activité de négoce, hors achats de matériels, à 10 % de son chiffre d'affaires hors taxes, il ne produit aucun justificatif de nature à établir le montant des charges qu'il aurait effectivement engagées pour les besoins de son activité. Par suite, il ne démontre pas, ainsi qu'il lui incombe, le caractère exagéré des impositions mises à sa charge.

23. En second lieu, l'administration ayant, ainsi qu'il a été dit précédemment, prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, des impositions mises à la charge de M. C correspondant à la majoration de 1,25 en base qui lui a été appliquée sur le fondement du 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts, le moyen tiré de ce que cette majoration est contraire à l'article 1 du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans portée.

S'agissant de l'activité de courtier en assurances :

24. En premier lieu, M. C reprend en appel, dans les mêmes termes et sans les assortir d'éléments nouveaux, les moyens qu'il avait invoqués en première instance tirés de la prescription du droit de reprise de l'administration s'agissant de l'année 2011 et du caractère radicalement vicié de la reconstitution des recettes tirées de son activité de courtier en assurances. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif aux points 15 à 23 du jugement attaqué.

25. En second lieu, l'administration ayant, ainsi qu'il a été dit précédemment, prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, des impositions mises à la charge de M. C correspondant à la majoration de 1,25 en base qui lui a été appliquée sur le fondement du 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts, le moyen tiré de ce que cette majoration est contraire à l'article 1 du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans objet.

En ce qui concerne la majoration de 100 % appliquée sur le fondement de l'article 1732 du code général des impôts :

26. M. C ne peut utilement se prévaloir, pour contester la majoration de 100 % appliquée pour opposition à contrôle fiscal, des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration relatives à la procédure contradictoire préalable au prononcé d'une sanction.

27. Au demeurant, il résulte des termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales que la décision d'infliger une pénalité fiscale à un contribuable ne peut intervenir qu'après l'expiration d'un délai minimum de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration lui fait connaître la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations. En l'espèce, la motivation de la pénalité de 100 % infligée à M. C figure dans la proposition de rectification du 31 octobre 2016, qui lui accordait un délai de trente jours pour présenter ses observations. Contrairement à ce que soutient le requérant, ce document, qui comporte la motivation, en droit et en fait, de la pénalité envisagée, ne se confond pas avec la décision d'appliquer ladite pénalité, qui intervient ultérieurement et est matérialisée par sa mise en recouvrement. Il s'ensuit, d'une part, que l'administration fiscale n'était pas tenue d'informer M. C de son intention de lui infliger une sanction fiscale préalablement à l'envoi de la proposition de rectification, et, d'autre part, que l'intéressé a été mis à même de contester l'application de cette sanction, ce qu'il a d'ailleurs fait par courrier du 20 décembre 2016. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire doit être écarté.

28. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête en tant qu'elle porte sur des contributions sociales, et sous réserve du dégrèvement prononcé en cours d'instance, que M. C n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts.

Article 2 : A concurrence de 169 513 euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. C tendant à la décharge des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 2011 à 2014, ainsi que des majorations correspondantes.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B C et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 25 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Laval, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2024.

La rapporteure,

A. Courbon

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

M. A

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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C