Tribunal administratif de Strasbourg

Jugement du 10 juillet 2024 n° 2204383

10/07/2024

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 1er juillet 2022, la communauté d'agglomération de Saint-Louis, représentée par Me Marcantoni, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 6 juillet 2021 par laquelle le préfet du Haut-Rhin ne lui a accordé aucune compensation au titre de l'année 2021 pour les pertes de recettes résultant de l'exonération de la contribution économique territoriale (CET) applicable dans l'enceinte de l'aéroport de Bâle-Mulhouse ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le principe d'égalité a été méconnu ;

- les principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités locales ont été méconnus.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 septembre et 12 septembre 2022, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 7 juillet et 3 novembre 2022, la communauté d'agglomération de Saint-Louis demande au tribunal, en application des articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 96 de la loi n° 2017-1775 portant loi de finances rectificatives pour 2017.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales, garantis par les articles 34, 72 et 72-2 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Par des mémoires, enregistrés le 7 septembre et 30 décembre 2022, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la demande de transmission.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2009-1673 de finances pour 2010 ;

- la loi de finances rectificatives n° 2017-1775 pour l'année 2017 ;

- le décret n° 2018-35 du 22 janvier 2018 portant publication de l'accord entre le gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport de Bâle-Mulhouse ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Dhers,

- les observations de Me Diss, substituant Me Marcantoni, avocat de la communauté d'agglomération de Saint-Louis.

Le préfet du Haut-Rhin n'était ni présent ni représenté.

Une note en délibéré présentée pour la communauté d'agglomération de Saint-Louis a été enregistrée le 21 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. L'aéroport de Bâle-Mulhouse, intégralement situé sur le sol français, est soumis à un régime juridique binational, actuellement fixé par l'accord entre la France et la Suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport, signé le 23 mars 2017. Cet accord stipule que les entreprises ayant leur résidence en Suisse et qui exercent leur activité dans le secteur suisse de l'aéroport sont exonérées de contribution économique territoriale (CET) à compter du 1er janvier 2018. Le 2 de l'article 1er de cet accord stipule que les collectivités territoriales et leurs groupements impactés par cette exonération bénéficient d'une dotation de compensation alimentée par un prélèvement sur l'impôt sur les sociétés (IS) acquitté par l'établissement public aéroportuaire " Bâle-Mulhouse ", dans la limite d'un montant de 3,2 millions d'euros qui est actualisé chaque année par un échange de lettres entre les autorités françaises et suisses. L'article 96 de la loi de finances rectificatives pour 2017 définit notamment les modalités de répartition de ce prélèvement entre les collectivités territoriales et leurs groupements. Par une décision du 6 juillet 2021, le préfet du Haut-Rhin a décidé de n'attribuer aucune dotation de compensation à la communauté d'agglomération de Saint-Louis pour l'année 2021, au motif que l'aéroport Bâle-Mulhouse n'était pas redevable de l'IS au titre de l'exercice 2020 en raison de la crise sanitaire. L'établissement public requérant demande au tribunal d'annuler cette décision.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé (...) ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (...) Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...) ". Il résulte de ces dispositions que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. D'autre part, aux termes de l'article 5 de l'accord entre le gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, signé à Paris le 23 mars 2017 : " 1. Le présent article s'applique aux entreprises inscrites dans un registre cantonal du commerce qui exercent une activité dans le secteur suisse de l'aéroport, qui sont résidentes de Suisse au sens de la convention fiscale de 1966 et dont l'activité est en lien avec l'aéronautique ou nécessaire à l'exploitation normale de l'aéroport (...) 3. Afin d'éviter l'assujettissement à des impôts, droits et taxes de nature identique ou analogue existant tant en France qu'en Suisse, les entreprises visées au paragraphe 1 sont exonérées en France de la contribution économique territoriale et des taxes annexes sur les salaires, ainsi que des impôts, droits et taxes de nature identique ou analogue qui les remplaceraient (...) ". Aux termes du 2 de l'article 1er de cet accord : " Un prélèvement de 3,2 millions d'euros sur le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par l'établissement public est effectué chaque année au profit des collectivités territoriales concernées par les exonérations prévues à l'article 5. Si le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par l'établissement public est inférieur à 3,2 millions d'euros, le prélèvement est égal au montant inférieur (...) ". Aux termes de l'article 96 de la loi n° 2017-1775 portant loi de finances rectificatives pour 2017 : " Il est institué un prélèvement sur les recettes de l'Etat destiné à compenser la perte de recettes, pour les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale, résultant de l'application de l'exonération de contribution économique territoriale prévue à l'article 5 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport de Bâle-Mulhouse (...) La dotation de compensation à répartir entre les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale est égale au produit de l'impôt sur les sociétés acquitté par l'établissement public dénommé " Aéroport de Bâle-Mulhouse ", dans la limite de 3,2 millions d'euros, actualisé chaque année (...) ".

4. La communauté d'agglomération de Saint-Louis soutient que l'article 96 de la loi de finances rectificatives pour 2017 est contraire au principe constitutionnel d'égalité, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'il ne prévoit pas de mécanisme de compensation lorsque la dotation destinée à combler la perte de recettes découlant de l'exonération de CET prévue par l'article 5 de l'accord franco-suisse est nulle en raison de l'absence d'IS dû par l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Elle fait également valoir que cet article méconnaît les principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales ainsi que le principe de compensation de transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. D'une part, les dispositions législatives en cause ne font que reprendre les stipulations du 2 de l'article 1er de l'accord franco-suisse de 2017, lesquelles ne peuvent faire l'objet d'une contestation par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité, en apportant uniquement des précisions sur les modalités de répartition entre les collectivités locales et les groupements dotés d'une fiscalité propre qui ne sont pas en litige. D'autre part, si l'établissement public requérant entend faire valoir que ces dispositions sont entachées d'incompétence négative faute de comporter un mécanisme de compensation lorsque l'aéroport de Bâle-Mulhouse n'est pas redevable de l'IS, un tel grief ne peut être utilement présenté qu'à l'encontre de dispositions applicables au litige et à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu'elles instaurent et non pour revendiquer la création d'un régime dédié. Par suite, sa demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ne peut qu'être rejetée.

Sur la légalité de la décision attaquée :

5. Si la communauté d'agglomération de Saint-Louis soutient que la décision litigieuse méconnaît les principes d'égalité, de libre administration et d'autonomie financière des collectivités locales, de tels moyens ne peuvent qu'être écartés, dès lors que le préfet du Haut-Rhin s'est borné à appliquer les dispositions de l'article 96 de la loi de finances rectificatives pour 2017 et les stipulations de l'accord franco-suisse du 23 mars 2017 et qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur leur conformité à des normes constitutionnelles.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la communauté d'agglomération tendant à l'annulation de la décision portant fixation du montant de la dotation de compensation due à la communauté d'agglomération de Saint-Louis et résultant de l'exonération de la contribution économique territoriale dans l'enceinte de l'aéroport de Bâle-Mulhouse doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la communauté d'agglomération de Saint-Louis.

Article 2 : La requête de la communauté d'agglomération de Saint-Louis est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la communauté d'agglomération de Saint-Louis et au préfet du Haut-Rhin.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Dhers, président,

Mme Perabo Bonnet, première conseillère.

M. Biget, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2024.

Le président- rapporteur,

S. Dhers

L'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau,

O. Biget

La greffière,

N. Adjacent

La République mande et ordonne au préfet du Haut-Rhin, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Code publication

C

Références doctrinales

  • « Pas de QPC sur une loi qui n'est que la copie d'un traité binational : Conclusions sur TA Strasbourg, 10 juillet 2024, n° 2204383,Communauté d'agglomération de Saint-Louis », Therre, Alexandre. Actualité juridique. Droit administratif, 2 décembre 2024, n° 41 p. 2225