Cour administrative d'appel de Marseille

Ordonnance du 8 juillet 2024 n° 24MA01289

08/07/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A B a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler le titre exécutoire émis le 29 juin 2021 par la communauté d'agglomération Terre de Provence à son encontre pour le recouvrement de la somme de 49 483,63 euros et la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 28 juin 2021.

Par un mémoire distinct, M. B a demandé au tribunal administratif de Marseille de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du VI de l'article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifiées à l'article L. 123-9 du code général de la fonction publique.

Par un jugement n° 2106976 du 27 mars 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre exécutoire et de la décision implicite de rejet du 28 juin 2021 et a décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité.

Procédure devant la Cour :

Par un mémoire distinct, enregistré le 24 mai 2024 et présenté à l'appui de sa requête d'appel formée contre le jugement du 27 mars 2024, par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre exécutoire ainsi que de la décision implicite de rejet du 28 juin 2021, M. B, représenté par Me Del Prete, conteste devant la Cour, en application des articles 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 et

R. 771-12 du code de justice administrative, le refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité précitée, décidé par le jugement contesté.

Il soutient que les modalités de répétition de l'indu définies au VI de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983, désormais codifié à l'article L. 123-9 du code général de la fonction publique, qui permettent à l'administration d'obtenir d'un de ses agents qui a irrégulièrement cumulé des rémunérations le reversement des sommes indument perçues, portent atteinte au principe de responsabilité garanti par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et aux principes de nécessité des peines et de respect de droit de la défense garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée par la loi organique

n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". L'article 23-2 de la même ordonnance dispose que : " () Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ".

3. En outre, aux termes du premier alinéa de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission .".

4. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du recours formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, ou directement par ce jugement. Saisie de la contestation de ce refus, la Cour procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

5. Enfin, en vertu des dispositions de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de formation de jugement () des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

6. En premier lieu, aux termes de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-483 du

20 avril 2016, applicable à la date du titre exécutoire contesté : " I. - Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sous réserve des II à V du présent article. / () / VI. - Sans préjudice de l'engagement de poursuites disciplinaires, la violation du présent article donne lieu au reversement des sommes perçues au titre des activités interdites, par voie de retenue sur le traitement () ". Il résulte de ces dispositions que l'exercice par un agent public d'une activité privée interdite donne lieu au reversement des sommes perçues au titre de cette activité interdite.

7. Les dispositions législatives précitées s'appliquent au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

8. En second lieu et d'une part, aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " " La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits () ". Il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. ". Découle de ce principe la règle selon laquelle la loi répressive nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prévoit des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux auteurs d'infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des décisions devenues irrévocables.

Il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction, de faire application, même d'office, d'une loi répressive nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.

9. M. B soutient que l'obligation et les modalités de répétition de l'indu définies au VI précité de l'article 25 septies de la loi n° 83-634, désormais codifié à l'article

L. 123-9 du code général de la fonction publique, qui permettent à l'administration d'obtenir d'un de ses agents qui a irrégulièrement cumulé des rémunérations, le remboursement des sommes indûment perçues, instituent une sanction accessoire à la sanction disciplinaire contraire au principe de responsabilité et de nécessité des délits et des peines, en méconnaissance des articles 4 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

10. Néanmoins, d'une part, le reversement des rémunérations irrégulièrement perçues prévu par le VI de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 ne constitue pas un régime de réparation pour faute du préjudice financier qu'aurait subi l'administration, mais résulte directement du caractère indu des rémunérations perçues au titre des activités interdites et en méconnaissance de l'article 25 du statut. D'autre part, en dépit de l'intitulé de l'actuelle

section IV du Chapitre III, Titre II, Livre I du code général de la fonction publique dans lequel est aujourd'hui inséré l'article L. 123-9, qui n'est entré en vigueur que postérieurement à la décision attaquée, la mesure de reversement des sommes indûment perçues, ne peut, compte tenu de sa nature et de son objet, être regardée comme constituant une sanction au sens des dispositions constitutionnelles invoquées par le requérant, laquelle mesure de reversement constitue une mesure comptable prise au titre des activités interdites. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des principes de nécessité des délits et des peines et de respect du droit de la défense doit être écarté comme inopérant. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ne présente pas un caractère sérieux.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. B est dépourvue de caractère sérieux. Par suite, le requérant n'est pas fondé à demander sa transmission au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et à la communauté d'agglomération Terre de Provence.

Fait à Marseille, le 8 juillet 2024.

Code publication

C