Tribunal administratif de Melun

Jugement du 4 juillet 2024 n° 2108926

04/07/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

I - Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés au greffe du tribunal administratif de Montreuil les 21 juillet 2020 et 24 mars 2021 et transmis au tribunal administratif de Melun par ordonnance n° 2007041 du 31 août 2021, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 20 juin 2022 et 21 juin 2023 sous le n° 2108059, M. C D, représenté par Me Philip, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux correspondants mis à sa charge au titre des années 2014 et 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le requérant soutient que :

- les impositions sont atteintes par la prescription du droit de reprise ;

- aucun avis de vérification n'a été notifié à E ;

- l'administration ne démontre pas que les revenus distribués ont été appréhendés par lui qui ne peut être considéré comme le seul maître de l'affaire ;

- les pénalités ne sont pas fondées ;

- l'assiette reconstituée par l'administration présente un caractère excessif ;

- le choix de la mise en recouvrement par voie de rôle porte atteinte aux principes d'égalité et de respect des biens garantis par les articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 1er du premier protocole additionnel à cette même convention.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 novembre 2020 et 14 juin 2024, le directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Île-de-France conclut au non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement d'un montant de 58 617 euros en droits et de 35 973 euros prononcé le 13 juin 2024 et au rejet du surplus des conclusions de la requête en faisant valoir que les moyens développés ne sont pas fondés.

Par des mémoires distincts, enregistrés les 8 mars et 22 mai 2024, M. D, représenté par Me Philip, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1658 du code général des impôts, combinées avec celles des articles L. 253, L. 256, R. 256-1, R. 256-6, R. 256-7, L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

Il soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques au sens des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et caractérisent une incompétence négative du législateur au sens de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 mars et 3 juin 2024, le directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant.

II - Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 1er octobre 2021, 13 juin 2022 et 19 avril 2023 sous le n° 2108926, M. C D, représenté par Me Philip, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er juillet 2013 au 29 février 2016 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2014 et 2015 émis à l'encontre de E, en ce qu'ils ont été mis à sa charge par un avis de mise en recouvrement du 17 septembre 2019 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le requérant soutient que :

- la vérification de comptabilité méconnaît les dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ;

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;

- l'administration a mis en œuvre un abus de droit rampant, sans accorder les garanties prévues par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- l'administration ne justifie pas du fondement de la mise à sa charge des impositions sociales ;

- E ne disposait plus de la personnalité juridique à la date de l'avis de mise en recouvrement, dès lors qu'elle avait fait l'objet d'une dissolution avec transmission universelle de patrimoine ;

- c'est à tort que l'administration a considéré qu'il y avait opposition à contrôle fiscal, ce qui entraîne l'irrégularité de la procédure de taxation d'office ;

- le résultat reconstitué présente un caractère excessif, tant au niveau des produits que des charges ;

- les pénalités ne sont pas justifiées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 avril 2022, 22 mars 2023 et 14 juin 2024, le directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Île-de-France conclut au non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement d'un montant de 83 585 euros en droits et de 97 640 euros en pénalités prononcé par décision du 21 mars 2023 et au rejet du surplus des conclusions de la requête en faisant valoir que les autres moyens développés ne sont pas fondés.

III - Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 août 2022 et 19 avril 2023 sous le n° 2208449, M. C D pour E, représenté par Me Philip, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mis à la charge de E au titre des exercices 2014 et 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le requérant soutient que :

- la vérification de comptabilité méconnaît les dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ;

- l'administration a mis en œuvre un abus de droit rampant, sans accorder les garanties prévues par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

- c'est à tort que l'administration a considéré qu'il y avait opposition à contrôle fiscal, ce qui entraîne l'irrégularité de la procédure de taxation d'office ;

- les rehaussements ont un caractère infondé, tant au niveau des produits que des charges ;

- les pénalités ne sont pas justifiées ;

- il n'existe aucune solidarité au paiement de ces impositions.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 mars 2023 et 14 juin 2024, le directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Île-de-France conclut au non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement d'un montant de 7 884 euros en droits et de 8 831 euros en pénalités prononcé par décision du 21 mars 2023 et au rejet du surplus des conclusions de la requête en faisant valoir que les autres moyens développés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meyrignac ;

- et les conclusions de M. Freydefont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Projets, qui exerce une activité de marchand de biens immobiliers, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2015, étendue au 29 février 2016 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l'issue de laquelle elle a été rendue destinataire de propositions de rectification les 21 décembre 2017 et 23 octobre 2018. Des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des mois de juillet 2013 à février 2016 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en juin 2014 et juin 2015 ont été mis en recouvrement à l'encontre de cette société par voie d'avis de mise en recouvrement du 15 mars 2019, puis d'avis de mise en recouvrement rectificatif du 21 décembre 2021. La réclamation relative à ces impositions a été présentée le 11 janvier 2022 et rejetée par décision du 10 août 2022. Parallèlement, le comptable du service des impôts des entreprises de Nogent-sur-Marne a notifié à M. D des avis de mise en recouvrement du 17 septembre 2019 tendant à la mise à sa charge de celui-ci de ces mêmes impositions. La réclamation relative aux impositions issues de cet avis de mise en recouvrement a été présentée le 6 octobre 2020 et rejetée par décision du 3 août 2021. Enfin, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux au titre des années 2014 et 2015 ont été mis en recouvrement, le 30 avril 2019, par voie de rôle à l'encontre de M. D. La réclamation tendant à la décharge de ces impositions présentée le 20 novembre 2019, a été rejetée par décision du 2 juin 2020. Par les requêtes précitées, l'intéressé demande la décharge de l'ensemble de ces impositions.

2. Les requêtes nos 2108059, 2108926 et 2208449 présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur l'étendue du litige :

3. Par des décisions du 21 mars 2023 et 13 juin 2024, postérieures à l'introduction des requêtes, le directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Île-de-France a prononcé un dégrèvement partiel, des impositions émises, d'une part, à l'encontre de E par l'avis de mise en recouvrement du 21 décembre 2021 à hauteur des montant de 83 585 euros en droits et de 97 640 euros en pénalités et d'un montant de 58 617 euros en droits et de 35 973 euros et, d'autre part, à l'encontre de M. D par des avis de mise en recouvrement du 17 septembre 2019 à hauteur d'un montant de 7 884 euros en droits et de 8 831 euros en pénalités. Les conclusions du requérant étant, dans cette mesure, devenues sans objet, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les conclusions à fin de décharge :

En ce qui concerne les impositions visées par l'avis de mise en recouvrement du 21 décembre 2021 :

Quant à la régularité de la procédure d'imposition :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité () ".

5. Lorsque le contribuable soutient que l'accusé de réception d'un pli recommandé, portant notification de l'engagement d'une vérification de comptabilité, n'a pas été signé par lui, il lui appartient d'établir que le signataire de l'avis n'avait pas qualité pour recevoir le pli dont il s'agit. Dans le cas où le contribuable n'apporte aucune précision sur l'identité de la personne signataire de l'avis litigieux et s'abstient de dresser la liste des personnes qui, en l'absence de toute habilitation, auraient néanmoins eu qualité pour signer un tel avis, il ne peut être regardé comme ayant démontré que le signataire de l'avis de réception n'était pas habilité à réceptionner ce pli.

6. Il résulte de l'instruction que le service a, le 5 avril 2016, envoyé un avis de vérification de comptabilité à E et que le pli en cause a été présenté et distribué le lendemain, ainsi qu'il résulte des mentions de l'avis de réception correspondant. M. D soutient que le pli en cause n'aurait pas été remis à la bonne personne et fait état de ce que la signature apparaissant sur l'avis de réception en cause ne ressemble en rien à celle des deux associés, mais plutôt à celle d'un agent de l'administration. Toutefois, il ne démontre pas ainsi que le signataire de cet avis de réception du pli envoyé à l'adresse du siège social de la société n'avait pas qualité pour recevoir ledit pli, ni que la signature en cause aurait été celle d'un agent de l'administration qui dispose, au demeurant, d'une signature facilement imitable. Par ailleurs, la circonstance que les services postaux ont écrit à l'administration le 22 avril suivant pour lui indiquer que la lettre " n'a pas été remise à la bonne personne " et pour lui retourner cette lettre qui avait été ouverte est sans incidence sur la régularité de la notification de ce pli. Enfin et en tout état de cause, l'administration a envoyé un autre avis de vérification de comptabilité le 28 avril 2016, dont l'avis de réception mentionne que le pli a été présenté à l'adresse du siège social le 3 mai 2016 et a été retourné au service avec la mention " pli avisé et non réclamé " le 23 mai suivant, de sorte que ce second avis a bien également été régulièrement notifié. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales : " Les bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office et leurs modalités de détermination sont portées à la connaissance du contribuable trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions () ".

8. La proposition de rectification du 23 octobre 2018 adressée à E qui comporte la désignation des impôts concernés, des années d'imposition, des bases des rectifications et des motifs relatifs à la mise en œuvre de la procédure de taxation d'office, est suffisamment motivée au sens des dispositions précitées de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales. Si M. D soutient que la proposition de rectification serait motivée par référence à quinze documents qui n'ont pas été joints à celle-ci, de tels documents n'avaient pas à être produits en application des dispositions précitées de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification doit ainsi être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité () ".

10. Il résulte des mentions des propositions de rectification des 21 décembre 2017 et 23 octobre 2018 qu'à la suite du retour de l'avis de vérification du 28 avril 2016, le vérificateur a effectué des recherches en vue d'établir un contact avec le représentant légal de la société et a constaté que les bases de données de l'administration fiscale mentionnaient des cessions de parts de E de MM. D et A, chacun étant détenteur de la moitié de celles-ci, à la société irlandaise dénommée Solis Limited en date du 19 mars 2016, les parts de chacun des associés correspondant à 56 parts de 7 500 euros chacune étant cédées, au demeurant, pour un montant total de 2 000 euros, un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire de E en date du 1er avril 2016 prononçant une dissolution par transmission universelle de patrimoine à la société irlandaise précitée et l'enregistrement de ces cessions de parts et de ce procès-verbal au services des impôts des entreprises de Saint-Maur-des-Fossés le 15 avril 2016, soit moins de dix jours après la réception du premier avis de vérification de comptabilité. De plus, le vérificateur a obtenu des renseignements sur la société Solis Limited dont le siège social se situe à Dublin, qui, d'après ses statuts, exerçait une " activité d'enseignement, d'assistance et de conseils pour les jeunes en danger et autres activités liées ", qui avait déclaré sa liquidation volontaire le 29 mai 2015 et qui avait été liquidée à compter du 8 janvier 2016. Enfin, le service a exercé un droit de communication auprès d'un notaire et a obtenu un acte de vente en date du 18 mai 2016, ainsi que le procès-verbal des associés de E du 17 mai 2016 relatif à la représentation de cette société par M. D pour cette vente. Le service en a conclu que la société Solis Limited n'avait jamais été en capacité d'acquérir les parts de E et que les réels détenteurs du capital social demeuraient MM. D et A, de sorte que les actes de cessions de parts sociales au profit de la société irlandaise, ainsi que la dissolution sans liquidation avec transmission universelle du patrimoine, enregistrés auprès des services de l'administration fiscale le 15 avril 2016, constituaient des faux et ne pouvaient être opposés au service vérificateur.

11. Si le requérant soutient que la remise en cause par l'administration de la cession des titres de E à la société Solis Limited aurait dû conduire le service à saisir le comité d'abus de droit fiscal en application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, il résulte de ce qui précède que le service a seulement constaté l'existence de manœuvres ayant pour but, non pas de réduire la charge fiscale, dès lors que les actes en cause n'ont pas eu d'influence sur le montant des rectifications, mais bien d'échapper à la procédure de vérification de comptabilité de E engagée par l'avis de vérification du 5 avril 2016, reçu le lendemain, ce qui n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Le moyen précité tiré de ce que ladite société aurait été privée des garanties prévues par ces dispositions doit donc être écarté.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1844-5 du code civil : " La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n'entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. () En cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci. Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes. La transmission du patrimoine n'est réalisée et il n'y a disparition de la personne morale qu'à l'issue du délai d'opposition ou, le cas échéant, lorsque l'opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées () ".

13. Le requérant soutient que l'avis de mise en recouvrement émis à l'encontre de E est irrégulier en ce qu'elle n'existait plus à compter de la dissolution avec transmission universelle de patrimoine, enregistrée et opposable aux tiers effectuée le 15 avril 2016 et qu'elle ne pouvait donc être le redevable légal des impositions en cause.

14. Toutefois, d'une part, M. D n'établit ni même n'allègue que la dissolution de E aurait été publiée dans un journal d'annonces légales et que le délai d'opposition de trente jours à compter de cette publication prévue par les dispositions précitées de l'article 1844-5 du code civil serait expiré, de sorte que la personnalité morale de la SARL en cause ne peut être considérée comme ayant disparu. D'autre part, lorsqu'en application de l'article 1844-5 du code civil, la réunion de toutes les parts sociales d'une société en une seule main entraîne la dissolution de cette dernière ainsi que la transmission universelle de son patrimoine à son associé unique, la société dissoute demeure le redevable légal des impôts dont le fait générateur est antérieur à la dissolution, quand bien même cette dissolution emporte transmission au bénéficiaire de tous droits, biens et obligations de la société dissoute. Dès lors, E demeurait toujours la redevable légale des impositions litigieuses dont le fait générateur avait été la réalisation d'opérations effectuées par elle entre le 1er juillet 2012 et le 29 février 2016, qui constituait la période vérifiée. Dans ces conditions, l'avis de mise en recouvrement du 21 décembre 2021 a, à bon droit, été établi au nom de E.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales : " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers () ".

16. Il résulte de l'instruction et notamment des mentions des propositions de rectification que le représentant légal de E n'a pas pris contact avec le vérificateur à la suite des notifications des avis de vérification des 5 et 28 avril 2016, dont le second lui a été retourné avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Par un courrier du 5 octobre 2017, envoyé par pli simple et par pli recommandé à l'adresse personnelle de M. D en tant que représentant légal de E, le vérificateur a demandé à ce dernier de prendre contact avec le service en précisant " qu'un silence ou un comportement passif de [sa] part serait considéré comme une attitude de nature à perturber l'engagement et le déroulement de la vérification de comptabilité constitutive d'une opposition à contrôle fiscal ". Le pli en cause a été retourné au service le 7 novembre 2017 avec la mention " destinataire inconnu à cette adresse ". Par un courrier du 8 novembre suivant, le vérificateur a, de nouveau, demandé à M. D de prendre contact avec lui afin de débuter les opérations de contrôle sur place. Le pli a été présenté le lendemain et retourné au service avec la mention " pli présenté et non réclamé ". Par un procès-verbal du 21 décembre 2017, le vérificateur a constaté que les tentatives de prise de contact avec l'intéressé étaient restées vaines traduisant une volonté manifeste d'éviter la procédure de vérification de comptabilité, de sorte que la société était en situation d'opposition à contrôle fiscal entraînant une procédure d'évaluation d'office et une majoration de 100 % de l'article 1732 du code général des impôts. Le pli tendant à la notification de ce procès-verbal a été envoyé à l'adresse du siège social et retourné au service avec la mention " destinataire inconnu à cette adresse ".

17. Pour contester l'opposition à contrôle fiscal ainsi constatée, le requérant soutient que la société ne peut s'être opposée à une vérification de comptabilité dont elle n'a jamais été informée, que celle-ci n'avait plus d'existence juridique, que les divers courriers auraient dû être notifiés à la société Solis Limited et que l'administration a eu maintes fois l'occasion de le rencontrer et de le solliciter ou de lui remettre tout document au titre du contrôle de E qui s'est déroulé durant la même période que les vérifications de comptabilité des sociétés Kether et Bords de Marne au cours desquelles il a rencontré des représentants de l'administration fiscale.

18. Toutefois, le requérant qui ne peut, ainsi qu'il a été dit aux points 6 et 14, se prévaloir de l'irrégularité de la notification des avis de vérification ni de la disparition de la personnalité morale de la société, n'a jamais pris contact avec le service chargé de la vérification de comptabilité de E, alors que lui ont été adressés de nombreux courriers tant en lettre simple qu'en lettre recommandée, dont la plupart ont été retournés avec la mention " pli avisé et non réclamé ", sans que M. D n'apporte aucun élément crédible de nature à justifier qu'il aurait été empêché d'en prendre connaissance. Par ailleurs, la circonstance que durant la même période, il a reçu des agents d'un autre service vérificateur dans le cadre de vérifications de comptabilité d'autres sociétés dont il était le gérant n'a pas pour effet de remettre en cause l'inertie dont il a fait preuve en tant que gérant de E et qui a rendu matériellement impossible le déroulement de la vérification de comptabilité de cette société, de sorte que celle-ci s'est placée dans une situation d'opposition à contrôle fiscal. Par suite, l'administration était légalement fondée à faire usage, à son encontre, de la procédure d'évaluation d'office de ses bases d'imposition prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales.

Quant à la charge de la preuve :

19. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ".

20. Les impositions en litige ayant été établies selon la procédure d'évaluation d'office, il incombe au requérant, en application des dispositions précitées de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales, de démontrer le caractère exagéré de ces impositions.

Quant au bien-fondé des impositions litigieuses :

21. En premier lieu, aux termes du 1 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " () le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises () ".

22. Le vérificateur a déterminé le montant du bénéfice imposable sur la période vérifiée en prenant en compte les encaissements apparaissant sur les relevés des trois comptes bancaires de la société et a rectifié la société de la différence entre ces sommes encaissées et le montant porté sur la déclaration de résultat. M. D soutient que certaines des sommes en cause ne présentent pas de caractère imposable.

23. S'agissant des sommes de 12 760 euros du 3 juillet 2013, de 73 800 euros du 20 juin 2014, de 8 935 euros du 14 août 2014 et de 1 579 euros du 24 février 2015, le requérant soutient qu'il s'agit du boni de liquidation des sociétés civiles de construction-vente (SCCV) du Plateau, du Général, d'Alsace Lorraine et Navier et produit les procès-verbaux par lesquels elles ont acté leur dissolution anticipée. Toutefois, ces éléments ne suffisent pas à justifier que les sommes ainsi encaissées correspondent effectivement à des boni de liquidation, ni que les sommes portées sur le compte bancaire de E présentent un caractère non imposable.

24. S'agissant des sommes provenant des sociétés Kether et Bords de Marne, le requérant soutient que ces sommes correspondent à des apports en compte courant effectués par ces sociétés. Toutefois, ces sociétés n'ayant pas la qualité d'associées de E, les versements en cause ne peuvent être analysés comme de tels apports. Si dans ses dernières écritures, le requérant soutient qu'il s'agirait de sommes seulement prêtées, il ne produit pas de pièce justificative de ses allégations. Enfin, la circonstance que les sociétés précitées ont fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période en cause sans que l'administration remette en cause les créances inscrites dans leurs comptes à l'égard de E ne suffit également pas à justifier de la nature des sommes correspondantes.

25. S'agissant des sommes de 33 093 euros encaissée le 30 janvier 2015, de 23 040 euros encaissée le 11 mars 2015, de 50 000 euros encaissée le 29 mai 2014, de 1 753 euros encaissée le 23 mai 2014, de 207 098 euros encaissée le 23 juillet 2013, de 105 368 euros encaissée le 24 avril 2014, de 14 633 euros encaissée le 12 juin 2014 et de 30 000 euros encaissée le 4 août 2015, M. D soutient qu'elles correspondent au remboursement d'une garantie pour dommage ouvrage et d'une indemnité d'immobilisation d'un montant de 21 900 euros versée par E pour le compte de la SCCV Navier, de frais sur facture EDF de 1 846 euros, d'une avance de taxe foncière de 1 140 euros consentie par la SARL à la société SL Foncière, d'avances de frais pour le compte de la SCCV du Garage, d'une avance de taxe sur la valeur ajoutée effectuée au profit de la SCCV du Général, d'une avance de taxe sur la valeur ajoutée effectuée pour le compte de la SCCV Mogador, d'avances de frais pour la société Demeures Versaillaises et d'une avance au profit de la société TCE. L'administration a admis les justifications pour les deux premières sommes dans le cadre des dégrèvements précités des 21 mars 2023 et 13 juin 2024. Par ailleurs, les documents produits n'établissent pas l'existence de versements effectués par E correspondant au remboursement de ces prétendues avances, alors notamment que cette société qui est une SARL n'a pas pour objet social d'accorder des avances de trésorerie aux autres sociétés dont l'intéressé est le gérant.

26. S'agissant de l'encaissement d'une somme de 15 000 euros intervenu le 22 juillet 2015, le requérant n'établit pas qu'elle correspond au remboursement d'une avance à M. B par la production d'un extrait du grand livre mentionnant un montant identique portant comme intitulé " acquisition Gallieni " daté du 3 juillet 2014, un courrier de M. B n'ayant pas date certaine donnant son accord pour se faire substituer par la SCCV 15 Gallieni, dont M. D est le gérant, et un chèque du même montant dont rien ne permet d'établir qu'il correspond à l'opération d'encaissement précitée.

27. S'agissant des sommes provenant d'autres sociétés, en se bornant à invoquer le principe de réalisme au plan fiscal, sans apporter aucune pièce justificative à l'appui de ses allégations, et soutenir qu'il s'agit seulement de flux de trésorerie internes, sans le justifier, M. D n'établit pas que ces sommes correspondraient à des remboursements de sommes prêtées, au regard notamment de l'objet social de E.

28. En second lieu, aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant () notamment : 1° Les frais généraux de toute nature () ".

29. En se bornant à soutenir que la somme de 431 300 euros au titre de l'exercice 2015 correspond " aux pertes supportées sur opérations faites en commun, ne saurait être réintégrée au résultat fiscal de E dès lors qu'elle a été régulièrement comptabilisée et déclarée en tant que telle par celle-ci ", sans produire aucun justificatif de la réalité de telles charges, le requérant n'établit pas que c'est à tort que le service a refusé leur déduction.

Quant aux pénalités :

30. Aux termes de l'article 1732 du code général des impôts : " La mise en œuvre de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales entraîne : a. L'application d'une majoration de 100 % aux droits rappelés ou aux créances de nature fiscale qui doivent être restituées à l'Etat () ".

31. Ainsi qu'il a été dit au point 18 du présent jugement, la situation d'opposition à contrôle fiscal était caractérisée et pouvait être régulièrement constatée à la date à laquelle le vérificateur en a établi le procès-verbal le 21 décembre 2017. L'administration fiscale était par suite fondée à appliquer aux impositions en litige la majoration de 100 % prévue par l'article 1732 du code général des impôts.

En ce qui concerne les impositions relatives aux avis de mise en recouvrement du 17 septembre 2019 :

32. Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité () ". Aux termes de l'article R. 256-2 du même livre : " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement à moins qu'ils n'aient la qualité de représentant ou d'ayant cause du contribuable, telle que mentionnée à l'article 1682 du code général des impôts ".

33. Il résulte de l'instruction que le comptable du service des impôts des entreprises de Nogent-sur-Marne a émis à l'encontre de M. D des avis de mise en recouvrement en date du 17 septembre 2019 tendant à la mise à sa charge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés émises à l'encontre de E. Toutefois, sauf en cas de condamnation prononcée par le juge judiciaire, aucune disposition législative ou réglementaire ne permet de mettre à la charge d'un gérant d'une société à responsabilité limitée les impositions dues par cette société. Dans ces conditions, sans que le directeur de la direction de contrôle fiscal d'Île-de-France puisse sérieusement soutenir qu'un tel moyen serait irrecevable en ce qu'il se rattache au contentieux du recouvrement alors que les conclusions tendant à la demande en décharge des sommes portées sur un avis de mise en recouvrement se rattachent au contentieux de l'assiette desdites impositions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requêtes, M. D est fondé à soutenir que c'est à tort que le comptable public précité a émis à son encontre les avis de mise en recouvrement en cause. Il doit donc être déchargé des impositions mises à sa charge par ces avis.

En ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux mis à la charge de M. D au titre des années 2014 et 2015 :

Quant à la régularité de la procédure d'imposition :

34. En premier lieu, en vertu du principe de l'indépendance des procédures concernant des sociétés de capitaux et leurs associés, l'éventuelle irrégularité de la procédure d'imposition suivie à l'égard de E ne peut avoir d'autre conséquence que la décharge des impositions mises à la charge de cette société et reste sans incidence sur les conséquences tirées par l'administration du contrôle de cette société sur les sommes soumises à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au nom de M. D. Dans ces conditions, le moyen tiré ce que la procédure d'imposition de ladite société serait irrégulière est inopérant et doit ainsi être écarté.

35. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation () ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée () ".

36. Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés ainsi que les années d'imposition concernées.

37. En l'espèce, les propositions de rectification des 21 décembre 2017 et 23 octobre 2018 adressées à M. D précisent les impôts concernés, les années d'imposition, la base d'imposition et les motifs des rectifications, et comportent en annexe les propositions de rectification adressées à E. Si l'intéressé soutient que ces dernières propositions de rectification sont insuffisamment motivées, il résulte de ce qui a été dit au point 10 que ces propositions sont elles aussi suffisamment motivées. Les propositions de rectification en litige comportent ainsi l'ensemble des éléments de fait et de droit permettant au contribuable de formuler utilement ses observations ou de demander copie de documents en vertu des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Dès lors, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

38. En troisième lieu, aux termes de l'article 1658 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les impôts directs et les taxes assimilées sont recouvrés en vertu soit de rôles rendus exécutoires par arrêté du directeur général des finances publiques ou du préfet, soit d'avis de mise en recouvrement () ". Ces dispositions offrent à l'administration la faculté de procéder au recouvrement des impôts directs, s'agissant notamment de cotisations supplémentaires établies à l'issue d'une procédure de rectification, soit au moyen de rôles rendus exécutoires, soit par voie d'avis de mise en recouvrement.

39. M. D soutient que les dispositions de l'article 1658 du code général des impôts, qui laissent à l'administration le choix d'émettre arbitrairement soit un avis de mise en recouvrement, soit un rôle et un avis d'imposition pour assurer le recouvrement des suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux qu'elle entend mettre à la charge d'un contribuable, créent, en méconnaissance des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, une différence de traitement entre des contribuables placés dans des situations identiques, les avis de mise en recouvrement offrant aux contribuables des garanties plus importantes que les simples avis d'imposition qui lui ont été notifiés.

40. Toutefois, les mentions devant obligatoirement figurer, respectivement sur les avis de mise en recouvrement qui constituent des titres exécutoires, et sur les avis d'imposition qui sont des documents tendant à informer les contribuables de la mise en recouvrement d'un rôle, du montant et de la date limite de paiement de l'impôt dû, sont déterminées non par l'article 1658 du code général des impôts, mais, respectivement, par l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales et par l'article L. 253 du même livre. Il en résulte que l'article 1658 du code général des impôts n'est pas, par lui-même, à l'origine de la différence de traitement alléguée. En outre, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que les avis de mise en recouvrement soient, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, notifiés par voie de lettre recommandée avec avis de réception ou signifiés par exploit de commissaire de justice, la disposition réglementaire prescrivant ces formalités ayant été abrogée par l'ordonnance n° 2003-1235 du 22 décembre 2003. Enfin, la computation différente du délai de réclamation contentieuse, selon que le contribuable a été rendu destinataire d'un avis de mise en recouvrement ou d'un avis d'imposition ne résulte pas des dispositions de l'article 1658 du code général des impôts, mais de celles du premier alinéa de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, en ce qu'elles prévoient que le délai court à compter de la notification d'un avis de mise en recouvrement ou de la mise en recouvrement du rôle. Il suit de là que l'exception d'inconventionnalité des dispositions de l'article 1658 du code général des impôts au regard des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention doit être écartée.

Quant au bien-fondé des impositions en litige :

41. En premier lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due () ". Aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification () ".

42. Si le requérant soutient que le droit de reprise de l'administration est atteint par la prescription du droit de reprise, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 21 décembre 2017 a été présentée au domicile du requérant le 23 décembre suivant et retournée au service avec la mention " pli avisé et non réclamé ", tandis que celle du 23 octobre 2018 a été présentée au domicile de l'intéressé le lendemain et retournée au service avec la même mention. La notification de ces propositions de rectification a interrompu la prescription du droit de reprise, qui n'était donc pas intervenue à la date de mise en recouvrement des impositions litigieuses.

43. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré () ". M. D, qui n'a pas présenté d'observations sur les propositions de rectification qui lui ont été adressées, est réputé avoir tacitement accepté les rectifications et supporte, en conséquence, la charge de la preuve de l'exagération des impositions.

44. Par ailleurs, aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital () ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". Le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

45. Pour regarder M. D comme seul maître de l'affaire, le service vérificateur a relevé que l'intéressé, associé à 50 % de E et gérant de droit, dispose de la signature sur les comptes bancaires de la société et assume seul la représentation physique de la société envers les tiers et notamment lors des acquisitions et cessions de biens immobiliers. Le requérant conteste avoir été le seul maître de l'affaire, dès lors qu'il partageait la gestion administrative, financière et opérationnelle de la SARL avec M. A, également associé à 50 % et produit à cet effet de nombreux documents au nom de la société et signés par ce dernier, un procès-verbal d'audition de son ancienne comptable du 27 juillet 2021, dans le cadre d'une plainte pour fraude fiscale déposée par l'administration, et un document intitulé " demande d'ouverture de compte commercial " du 5 juillet 2005. Toutefois, les courriers signés par M. A constituent des documents seulement techniques, alors qu'il n'est pas contesté que M. D représentait la SARL dans le cadre de l'ensemble des cessions immobilières. Par ailleurs, le document du 5 juillet 2005 ne suffit pas à justifier que M. A disposait de la signature bancaire sur l'un des trois comptes bancaires de la société. Enfin, les déclarations de l'expert-comptable faisant état de ce que les deux associés géraient la société en commun ne sont étayées par aucune autre pièce du dossier. Il résulte de tout ce qui précède que l'administration établit par un faisceau d'indices concordants que M. D disposait seul des pouvoirs de contrôle et de direction de la société lui permettant d'user sans contrôle des biens sociaux comme de ses biens propres. Il s'ensuit que M. D doit être regardé comme le seul maître de l'affaire et est par suite présumé avoir appréhendé les revenus réputés distribués par E.

Quant à la question prioritaire de constitutionnalité :

46. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

47. Aux termes de l'article 1658 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les impôts directs et les taxes assimilées sont recouvrés en vertu soit de rôles rendus exécutoires par arrêté du directeur général des finances publiques ou du préfet, soit d'avis de mise en recouvrement () ". Ces dispositions offrent à l'administration la faculté de procéder au recouvrement des impôts directs, s'agissant notamment de cotisations supplémentaires établies à l'issue d'une procédure de rectification, soit au moyen de rôles rendus exécutoires, soit par voie d'avis de mise en recouvrement.

48. M. D soutient qu'en ce qu'elles prévoient la possibilité pour l'administration de choisir de mettre en recouvrement des impositions supplémentaires soit par l'émission d'un rôle supplémentaire, soit en notifiant au contribuable un avis de mise en recouvrement, les dispositions de l'article 1658 du code général des impôts, combinées à celles des articles L. 190, L. 253 et L. 256, R. 196-1, R. 256-1, R. 256-6 et R. 256-7 du livre des procédures fiscales, ont pour effet de soumettre des contribuables placés dans une situation identique à une différence de traitement constitutive d'une rupture d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques, dès lors, premièrement, que les avis de mise en recouvrement sont, à la différence des avis d'imposition, notifiés par lettre recommandée avec avis de réception ou signifiés par commissaire de justice, deuxièmement, que les mentions devant obligatoirement figurer sur un avis d'imposition sont moins complètes que celles devant figurer sur un avis de mise en recouvrement, et troisièmement, que les délais de réclamation contentieuse ouverts au contribuable ne sont, dans les faits, pas identiques selon qu'un avis de mise en recouvrement ou un avis d'imposition lui a été adressé. Par ailleurs, le requérant soutient que les dispositions critiquées caractérisent une incompétence négative du législateur, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution.

49. Toutefois, en premier lieu, aucune disposition législative ni réglementaire n'impose que les avis de mise en recouvrement soient, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, notifiés par voie de lettre recommandée avec avis de réception ou signifiés par exploit de commissaire de justice, la disposition réglementaire prescrivant ces formalités ayant été abrogée par l'ordonnance n°2003-1235 du 22 décembre 2003.

50. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales, dont le quatrième alinéa renvoie les modalités d'application à un décret en Conseil d'État, ne comportent aucune indication sur les mentions devant obligatoirement figurer sur les avis de mise en recouvrement. Par suite, ne saurait être regardé comme sérieux le moyen tiré de ce qu'en prescrivant des mentions à porter sur un avis d'imposition moins complètes que celles prévues par l'article L. 256 de ce livre pour les avis de mise en recouvrement, les dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 253 du même livre, prises en combinaison avec celles de l'article 1658 du code général des impôts, institueraient au détriment des contribuables faisant l'objet du premier de ces modes de recouvrement une différence de traitement méconnaissant le principe d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques.

51. En troisième lieu, la computation différente du délai de réclamation contentieuse, selon que le contribuable a été rendu destinataire d'un avis de mise en recouvrement ou d'un avis d'imposition ne résulte ni des dispositions de l'article 1658 du code général des impôts, ni de celles de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, mais de celles du a) de l'article R. 196-1 de ce livre, en ce qu'elles prévoient que le délai court à compter de la notification d'un avis de mise en recouvrement ou de la mise en recouvrement du rôle. Or ces dispositions réglementaires ne peuvent, en tout état de cause, faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Au surplus, cette différence dans les modalités de recouvrement est sans incidence sur l'exercice par les contribuables concernés du droit au recours ou des droits de la défense et n'est pas constitutive d'une rupture d'égalité entre ces contribuables au détriment des contribuables rendus destinataires d'un avis d'imposition.

52. Par ailleurs, s'il découle de l'article 34 de la Constitution que, lorsqu'il définit une imposition, le législateur doit en déterminer les modalités de recouvrement, les dispositions contestées de l'article 1658 du code général des impôts, combinées avec celles des articles L. 190, L. 253 et L. 256 du livre des procédures fiscales, ont, pour ce qui concerne les impositions directes, précisément cet objet. Si M. D soutient, en outre, que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence et l'exigence de clarté de la loi en n'encadrant pas suffisamment le choix laissé par les dispositions litigieuses à l'administration fiscale de recourir à l'un ou l'autre des modes de recouvrement qu'elles mentionnent, cette méconnaissance n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit et ne peut, par suite, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

53. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux, alors au demeurant que le Conseil d'Etat a déjà refusé par deux fois de transmettre au Conseil constitutionnel des questions relatives à l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 1658 du code général des impôts. Ainsi, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, les moyens tirés de ce que, combinées à celles des articles L. 190, L. 253 et L. 256, R. 196-1, R. 256-1, R. 256-6 et R. 256-7 du livre des procédures fiscales, les dispositions du premier alinéa de l'article 1658 du code général des impôts portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et les charges publiques, protégé par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et caractérisent une incompétence négative du législateur, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution, doivent être écartés.

54. Il résulte de tout ce qui précède que le surplus des conclusions tendant à la décharge des impositions en cause doivent être rejetées.

Sur les frais de justice :

55. Il n'y a pas, dans les circonstances de l'espèce, lieu de mettre à la charge de l'Etat les sommes réclamées par M. D au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions des requêtes à hauteur des dégrèvements prononcés les 21 mars 2023 et 13 juin 2024 et mentionnés au point 3 du présent jugement.

Article 2 : M. D est déchargé des impositions émises à l'encontre de E et mises à sa charge par les avis de mise en recouvrement en date du 17 septembre 2019.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. D est rejeté.

 

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. C D et au directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal d'Île-de-France.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Le Broussois, président,

M. Meyrignac, premier conseiller,

Mme Jean, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé : P. Meyrignac Le président,

Signé : N. Le Broussois

La greffière,

Signé : S. Chafki

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Nos 2108059