Renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. C B, à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 janvier 2022 par lequel la présidente du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Vendée et le ministre de l'intérieur lui ont infligé la sanction disciplinaire de la rétrogradation au grade de capitaine des sapeurs-pompiers, a produit un mémoire, enregistré le 29 novembre 2023 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un jugement n° 2201533 du 11 avril 2024, enregistré le 12 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Nantes, avant qu'il soit statué sur la requête de M. B, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du troisième alinéa de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, en vigueur à la date de la décision attaquée, repris à l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique issu de l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021.
Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et un mémoire enregistré le 6 juin 2024, M. B soutient que les dispositions du troisième alinéa de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, en vigueur à la date de la décision attaquée, repris à l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique issu de l'ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les principes constitutionnels du droit de se taire et des droits de la défense.
Par un mémoire, enregistré le 7 mai 2024, le ministre de la transformation et de la fonction publique conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Il soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier que la question soulevée n'est ni nouvelle ni sérieuse.
La question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au service départemental d'incendie et de secours de la Vendée qui n'ont pas produit de mémoire.
Par une intervention, enregistrée le 27 mai 2024, Mme D A demande que le Conseil d'Etat fasse droit à la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité de M. B. Elle soulève les mêmes moyens que M. B et soutient en outre que le législateur a méconnu sa compétence.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. C B ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Sur le fondement de ces dispositions, M. B demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires repris à l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique.
Sur l'intervention de Mme A :
3. Mme A a présenté, dans le cadre d'un litige devant le tribunal administratif de Melun, une question prioritaire de constitutionnalité mettant également en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Par un jugement n° 2200813 du 23 mai 2024, le tribunal a différé sa décision en application des dispositions de l'article R. 771-6 du code de justice administrative, selon lesquelles une juridiction peut procéder ainsi, lorsqu'elle est saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d'Etat est déjà saisi, jusqu'à ce qu'elle soit informée de la décision du Conseil d'Etat ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel. Dès lors, Mme A justifie d'un intérêt la rendant recevable à intervenir devant le Conseil d'Etat, au soutien de la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par M. B.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
4. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Aux termes de son article 16 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, et le principe des droits de la défense.
5. Aux termes du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version antérieure à son abrogation par l'ordonnance du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté ". Aux termes de l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. / L'administration doit l'informer de son droit à communication du dossier. / Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l'assistance de défenseurs de son choix ".
6. Les dispositions du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires repris à l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique sont applicables au présent litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ne prévoyant pas de notification obligatoire du droit de se taire aux fonctionnaires qui font l'objet d'une procédure disciplinaire portent atteinte à l'article 9 et à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dont découlent le droit de se taire et le principe des droits de la défense soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de Mme A est admise.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires repris à l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C B, au ministre de la transformation et de la fonction publiques et à Mme D A.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au service départemental d'incendie et de secours de la Vendée et au tribunal administratif de Nantes.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 juin 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.
Rendu le 4 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Paul Levasseur
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa SarrazinRMJIZG1R
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