Tribunal administratif de Mayotte

Jugement du 28 juin 2024 n° 2104475

28/06/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 novembre 2021, Mme B A, représentée par Me Guyon, avocat, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 21 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Mayotte (CHM) l'a suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du 21 septembre 2021 jusqu'à production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ;

2°) d'enjoindre au CHM, sous astreinte, de procéder à sa réintégration, ou subsidiairement au réexamen de sa situation, et de lui verser sa rémunération, y compris de manière rétroactive, dans tous ses éléments et accessoires ;

3°) de mettre à la charge du CHM une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'un vice d'incompétence ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît la procédure disciplinaire instituée par l'article 82 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ainsi que les droits de la défense ;

- elle constitue une sanction disciplinaire déguisée ;

- elle méconnaît l'article 81 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- elle constitue une mesure de police administrative illégale ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- elle porte atteinte au principe de continuité du service public hospitalier et au principe d'égalité ; elle constitue une discrimination ;

- elle méconnaît les articles 2, 5 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît le droit à la santé, le droit au respect de l'intégrité physique, le droit au respect du corps humain, le principe de précaution, le droit au respect du secret médical, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie.

La requête a été communiqué au centre hospitalier de Mayotte qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- le règlement 2021/953 du 14 juin 2021 ;

- la directive 2001/20/CE du 4 avril 2001 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 21-1059 du 7 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Monlaü,

- et les conclusions de M. Ramin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A exerçait, depuis le 16 juillet 2021, des fonctions d'infirmière auprès du centre hospitalier de Mayotte (CHM). Par une décision du 21 septembre 2021, le directeur de cet établissement l'a suspendue de ses fonctions sans traitement à compter du 21 septembre 2021, jusqu'à la présentation d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination. Mme A demande au tribunal d'annuler cette décision.

2. Aux termes de l'article 12 de la loi susvisée du 5 août 2021 : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. () ". Aux termes de l'article 14 : " B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. () ".

Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision :

3. En application des dispositions de la loi du 5 août 2021, le législateur a donné compétence aux autorités investies du pouvoir de nomination pour contrôler le statut vaccinal des agents concernés par l'obligation et à défaut, suspendre ceux ne produisant pas de justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination ou de certificat de rétablissement. La décision a été signée par M. C, directeur adjoint chargé des ressources humaines au CHM. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision attaquée a été signée par une autorité incompétente doit être écarté.

Sur les autres moyens de légalité externe :

4. Il résulte des dispositions précitées des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, d'une part, qu'il appartient aux établissements de soins de contrôler le respect de l'obligation vaccinale de leurs personnels soignants et agents publics et, le cas échéant, de prononcer une suspension de leurs fonctions jusqu'à ce qu'il soit mis fin au manquement constaté et, d'autre part, que l'appréciation selon laquelle les personnels ne remplissent pas les conditions posées par ces dispositions ne résulte pas d'un simple constat, mais nécessite non seulement l'identification du cas, parmi ceux énumérés par le I de l'article 13, dans lequel se trouve l'agent, mais également l'examen de la validité des justificatifs en matière vaccinale ou de contre-indications médicales produits le cas échéant par l'agent au regard de ces dispositions législatives et des dispositions réglementaires prises pour leur application. Par suite, contrairement à ce que soutient le CHM, l'administration n'était pas en situation de compétence liée.

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police / () 6° refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; () ". Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire ". Enfin, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 : " Le fonctionnaire en activité a droit : / () 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois () ".

 

6. La décision par laquelle le directeur d'un établissement public de santé prend une mesure de suspension à l'égard d'un agent public qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la Covid-19 constitue une décision restreignant l'exercice des libertés publiques au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-2. Par ailleurs, elle a également pour effet de priver l'intéressé de son traitement dont le versement constitue, après service fait ou pendant une période de congé de maladie, un droit garanti par les dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1983 et de la loi du 9 janvier 1986. Une telle décision doit, par suite, être motivée en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

7. En l'espèce, la décision querellée suspendant l'exercice des fonctions et le versement de la rémunération de Mme A vise les lois du 13 juillet 1983 et 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires ainsi que la loi du 5 août 2021 et son décret d'application du 7 août 2021. Elle mentionne, au titre des considérations de fait, que l'intéressée n'a pas produit un justificatif de vaccination à la Covid-19 ou de contre-indication à cette vaccination. Elle est, par suite, suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

8. En deuxième lieu, Mme A soutient que la décision de suspension de fonctions sans traitement constitue une sanction irrégulière car intervenue sans mise en œuvre des garanties de la procédure disciplinaire, s'agissant notamment de la saisine préalable de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline, telle que prévue par l'article 82 de la loi du 9 janvier 1986, de la mise en œuvre d'une procédure contradictoire préalable, ainsi que de la possibilité de consulter son dossier, de recevoir communication des griefs retenus à son encontre, de présenter des observations écrites ou orales et de se faire assister par un avocat.

9. Toutefois, la décision par laquelle l'autorité investie du pouvoir de nomination prononce la suspension d'un agent public en application de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 doit s'analyser comme une mesure prise dans l'intérêt du service et de la politique sanitaire, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif commis par cet agent. Reposant sur un régime juridique propre, cette mesure de suspension, qui constate le non-respect par l'agent de l'obligation vaccinale imposée par le dispositif légal en vigueur, est limitée à la période au cours de laquelle l'agent s'abstient de se conformer aux obligations qui sont les siennes en application des dispositions précitées. Dès lors, elle n'a pas le caractère d'une sanction administrative nécessitant que soient mises en œuvre les garanties procédurales attachées à la procédure disciplinaire ou aux droits de la défense et n'a pas davantage la nature d'une mesure prise en considération de la personne justifiant le respect d'une procédure contradictoire préalable. Les moyens tirés de la privation de telles garanties procédurales sont, par suite, voués au rejet.

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

10. En premier lieu, pour les motifs exposés au point 9, les moyens tirés de ce que la décision constituerait une mesure de suspension conservatoire, au sens de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, ou une sanction disciplinaire déguisée, ne peuvent qu'être écartés. Par voie de conséquence, l'intéressée ne peut pas davantage utilement soutenir que cette mesure ne figurerait pas au nombre des sanctions prévues par les dispositions de l'article 82 de la loi du 9 janvier 1986.

11. En deuxième lieu, la décision contestée, qui est une mesure de suspension d'un agent public fondée sur le non-respect des obligations légales prévues par la loi du 5 août 2021, n'a pas le caractère d'une mesure de police administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que cette mesure de suspension s'analyserait comme une mesure de police prise en application de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique et serait entachée d'illégalité dès lors qu'elle ne serait ni justifiée, ni nécessaire, ni proportionnée, ne peut être accueilli.

12. En troisième lieu, il ressort des dispositions de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 qu'il appartient à l'agent public, soumis à l'obligation vaccinale, de présenter à son employeur les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. En adoptant une mesure de suspension à l'égard de Mme A au motif que cet agent ne lui avait pas présenté les documents ou justificatifs nécessaires, sans avoir au préalable fait constater, par la production d'un rapport ou de tout autre élément probant, l'impossibilité dans laquelle se trouvait l'intéressée d'exercer son activité, le directeur du CHM n'a entaché sa décision d'aucune erreur de fait ni de droit.

13. En quatrième lieu, si Mme A soutient que la mesure de suspension, en raison de la base légale sur laquelle elle se fonde, porterait atteinte au droit à la santé énoncé à l'article 11 du Préambule de la Constitution, ainsi qu'aux principes à valeur constitutionnelle de continuité du service public, d'égalité, de non-discrimination, de précaution et de respect de l'intégrité physique et du corps humain, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir de se prononcer sur de tels moyens relatifs à la constitutionnalité de dispositions législatives, hormis dans le cas où, par un mémoire distinct, serait soulevée une question prioritaire de constitutionnalité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par suite, eu égard à l'office du juge, les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 sont irrecevables et doivent être écartés.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ".

15. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les vaccins contre la Covid-19 administrés en France, avaient fait l'objet, à la date de la décision litigieuse, d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament, délivrée après un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce qui est soutenu, les vaccins ne sauraient dès lors être regardés comme en phase expérimentale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

16. En sixième lieu, la méconnaissance de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté, ne peut être utilement invoquée dans le cadre du présent litige.

17. En septième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

18. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations précitées, telles que la Cour européenne des droits de l'Homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

19. D'une part, l'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la Covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la Covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Il s'ensuit que, eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé, qui ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne méconnaît pas le droit à l'intégrité physique garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

20. D'autre part, l'article 13 de la loi du 5 août 2021 prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Le champ de cette obligation apparaît cohérent et proportionné au regard de l'objectif de santé publique poursuivi alors même que l'obligation ne concerne pas l'ensemble de la population mais seulement les professionnels qui se trouvent dans une situation qui les expose particulièrement au virus et au risque de le transmettre aux personnes les plus vulnérables.

21. Enfin, en application des dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, la période de suspension, à laquelle il est loisible à l'agent de mettre fin, n'est pas indéfinie et le préjudice financier susceptible de résulter de la mesure de suspension n'est pas, à lui seul, suffisamment grave pour caractériser une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, en prenant la décision contestée en application des articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021, le directeur du CHM n'a pas porté au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée.

23. En huitième lieu, Mme A fait valoir que la décision litigieuse constitue une discrimination au sens de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 1er du protocole n°12 à ladite convention, de l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et du règlement n° 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021. Elle soutient également que cette décision est contraire à la liberté d'entreprendre protégée par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

24. L'article 51 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne stipule toutefois que : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités. / 2. La présente Charte n'étend pas le champ d'application du droit de l'Union au-delà des compétences de l'Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités ".

25. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement garanti par les stipulations du protocole n°12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant dès lors que ce protocole n'a été ni signé ni ratifié par la France. Par ailleurs, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Charte précitée et de l'article 288 du TFUE sont également inopérants en ce qu'ils concernent des stipulations qui soit ne sont pas contraignantes, soit sont inapplicables à une mesure de droit interne.

26. Enfin, au regard de ce qui a été dit aux points précédents, et dès lors que la requête se borne à soutenir qu'une discrimination est instituée entre les personnels vaccinés et non vaccinés, les dispositions de la loi du 5 août 2021 ne créent aucune discrimination prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De surcroît, alors que les professionnels de santé sont soumis à d'autres obligations vaccinales sans que celles-ci soient considérées comme discriminatoires, le directeur du CHM, en se bornant à constater que l'agent ne remplissait pas les conditions d'exercice posées par un texte, ne peut être regardé comme ayant pris une mesure discriminatoire.

27. En neuvième lieu, l'article 13 de la loi du 5 août 2021 charge les employeurs de contrôler le respect de l'obligation de vaccination par les personnes placées sous leur responsabilité. Il prévoit que les agents présentent un certificat de statut vaccinal, ou un certificat de rétablissement, ou un certificat médical de contre-indication. Il fait obligation aux employeurs de s'assurer de la conservation sécurisée de ces documents. Les agents peuvent transmettre le certificat de rétablissement ou le certificat médical de contre-indication au médecin du travail compétent, qui informe l'employeur du fait que l'obligation a été satisfaite.

28. Il résulte de ces dispositions que l'employeur ne saurait avoir accès à aucune autre donnée de santé. L'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 7 août 2021, applicable au contrôle de l'obligation vaccinale en vertu de son article 49-1, énumère limitativement les informations auxquelles les personnes et services autorisés à contrôler les justificatifs ont accès. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient le secret médical protégé par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique doit être écarté.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme A doit être rejetée, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

 

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et au centre hospitalier de Mayotte.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Aebischer président ;

- M. Monlaü, premier conseiller ;

- Mme Tomi, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2024.

Le rapporteur,

X. MONLAÜ

Le président,

M.-A. AEBISCHER

La greffière,

F. DAROUSSI DJANFAR

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.