Rejet
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 4 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A B demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus née du silence gardé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur sa demande du 31 janvier 2024 tendant à l'abrogation des paragraphes nos 50, 610, 630 et 650 des commentaires administratifs publiés le 31 décembre 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMC-20-10 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 juin 2024, présentée par M. B ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus née du silence gardé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur sa demande du 31 janvier 2024 tendant à l'abrogation des paragraphes nos 50, 610, 630 et 650 des commentaires administratifs, publiés le 31 décembre 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMC-20-10, relatifs à l'assujettissement à la taxe sur les cessions à titre onéreux de métaux précieux, de bijoux, d'objets d'art, de collection ou d'antiquité.
Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
En ce qui concerne la première question prioritaire de constitutionnalité :
3. Aux termes du I de l'article 150 VI du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices professionnels, sont soumises à une taxe forfaitaire dans les conditions prévues aux articles 150 VJ à 150 VM les cessions à titre onéreux ou les exportations, autres que temporaires, hors du territoire des Etats membres de l'Union européenne : () 2° De bijoux, d'objets d'art, de collection ou d'antiquité () ". Les bijoux, au sens et pour l'application de ces dispositions, s'entendent des objets ouvragés, précieux par la matière ou par le travail, destinés à être portés à titre de parure, y compris lorsqu'ils ne sont pas composés de métaux précieux.
4. M. B soutient que le législateur aurait, s'agissant de la détermination des bijoux dont la cession ou l'exportation est assujettie à la taxe forfaitaire prévue à l'article 150 VI du code général des impôts, méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elles-mêmes la liberté d'entreprendre, l'égalité devant la loi, l'égalité devant les charges publiques et la garantie des droits. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que par les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, le législateur n'a pas insuffisamment défini l'assiette de cette imposition.
5. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux.
En ce qui concerne la seconde question prioritaire de constitutionnalité :
6. Aux termes du I de l'article 150 VK du code général des impôts : " La taxe est supportée par le vendeur ou l'exportateur. Elle est due, sous leur responsabilité, par l'intermédiaire établi fiscalement en France participant à la transaction ou, en l'absence d'intermédiaire, par l'acquéreur lorsque celui-ci est un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée établi en France ; dans les autres cas, elle est due par le vendeur ou l'exportateur ".
7. L'exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d'égalité devant les charges publiques, implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.
8. Il résulte des termes mêmes de l'article 150 VK du code général des impôts que la taxe forfaitaire visée à l'article 150 VI à laquelle sont soumises, notamment, les cessions à titre onéreux de bijoux et assimilés, est supportée par le vendeur ou l'exportateur, lesquels disposent du revenu procédant de la cession. En outre, lorsque le cédant ou l'exportateur n'a pas en France son domicile fiscal, la cession ou l'exportation est exonérée de taxe en vertu de l'article 150 VJ.
9. Enfin, lorsque le redevable légal est l'intermédiaire ou l'acquéreur, la taxe est prélevée sur le prix de cession et ampute d'autant les sommes versées au vendeur. En conséquence, ni l'intermédiaire, ni l'acquéreur ne supporte le poids économique de la taxe. Dans ces conditions, et alors que les participants à la transaction sont en mesure, avant de la conclure, d'identifier le redevable légal et de calculer le montant de la taxe et donc, le cas échéant, d'en tenir compte librement dans la fixation du prix ou de la rémunération de l'intermédiaire, les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme méconnaissant le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
10. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux.
11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B.
Sur le recours pour excès de pouvoir :
12. En premier lieu, il résulte des dispositions citées au point 3 que les montres sont susceptibles d'entrer dans le champ de la taxe sur les métaux précieux, les bijoux et les objets d'art, de collection et d'antiquité lorsqu'elles constituent des objets ouvragés, précieux par la matière ou par le travail, y compris lorsqu'elles ne sont pas composées de métaux précieux. Par suite, M. B n'est pas fondé à soutenir que l'ensemble des montres devrait être exclu du champ de cette taxe et à demander l'annulation pour ce motif du paragraphe n° 50 des commentaires administratifs attaqués.
13. En second lieu, le régime de déclaration et de paiement de cette taxe, tel qu'il est établi aux articles 150 VK et 150 VM du code général des impôts, et qui désigne parmi les redevables légaux possibles de la taxe l'acquéreur assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée établi en France, ne peut être regardé, pour les motifs rappelés aux points 8 et 9 comme portant atteinte au droit de propriété au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en sorte que les commentaires attaqués ne réitèrent aucune règle contraire à ces stipulations.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de refus d'abrogation des commentaires qu'il conteste.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B.
Article 2 : La requête de M. B est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 juin 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 28 juin 2024.
Le président :
Signé : M. Thomas Andrieu
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Vié
Le secrétaire :
Signé : M. Aurélien Engasser
Code publication