Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A C a fait l'objet, au titre des années 2003 à 2011, de compléments d'imposition à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales, assortis de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses.
Par un jugement n° 1905200 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. C.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le numéro 21PA05115 les 15 septembre et 12 octobre 2021, le 13 janvier 2022, les 26 mai et 26 septembre 2023 et le 15 avril 2024, M. C, représenté par Me Planchat, avocat, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 15 juillet 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de désigner un expert informatique en vue de faire remettre les fichiers informatiques saisis au domicile de M. B et les extractions effectuées par l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) ayant permis d'établir les fiches de synthèse BUP 5090108191 et BUP 5090288548, de vérifier que ces fiches ont été confectionnées à partir de ces fichiers et en conformité avec eux, et de donner un avis sur la fiabilité des données mentionnées dans ces fiches ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont manqué à leur office en n'ordonnant pas, et en ne versant pas au contradictoire, les données informatiques ayant permis l'établissement par l'administration des fiches de synthèse ayant permis l'établissement des redressements en litige ;
- la proposition de rectification du 20 décembre 2013 est insuffisamment motivée, en tant qu'elle vise les redressements issus des revenus tirés de la détention de participations dans, ou de la distribution de bénéfices par, six sociétés dont M. C est gérant ou associé ;
- les impositions 2003 à 2008, afférentes aux revenus d'avoirs détenus sur des comptes non déclarés ouverts en Suisse, étaient prescrites à la date d'envoi des propositions de rectification ; l'arrêt de la Cour du 29 novembre 2018 n° 17PA00880 est sur ce point revêtu de l'autorité de la chose jugée ;
- s'agissant des revenus d'avoirs sur des comptes à l'étranger, les dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ne peuvent être invoquées pour prolonger le délai de reprise, l'administration disposant d'éléments suffisants lui permettant d'établir les insuffisances d'imposition en litige avant l'ouverture de l'information judiciaire ; les dispositions du 4ème alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peuvent être invoquées pour prolonger le droit de reprise, l'arrêt de la Cour du 29 novembre 2018 n° 17PA00880 étant revêtu de l'autorité de la chose jugée au titre des années 2008 à 2011 et, pour ces années et l'année 2006, la fiche de synthèse individuelle BUP 5090108191 (profil 3456 BB) ne faisant apparaître aucune variation d'avoirs, et l'administration n'établissant pas son obligation fiscale à raison des avoirs sur les comptes ouverts au nom de la société Thrumbo Management Corp. ;
- s'agissant des autres revenus, non visés par la plainte fiscale, les dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ne peuvent être invoquées pour prolonger le droit de reprise ;
- les éléments à l'origine des redressements ayant été obtenus dans des conditions illicites tant au regard de l'entraide judiciaire prévue par la convention franco-suisse et des prérogatives légales de l'administration, que des conditions d'exercice par cette dernière du droit de communication, ils ne peuvent être regardés comme probants et n'ont pu dès lors servir de fondement aux impositions en litige ;
- les fiches individuelles établies par l'administration à la suite du retraitement des données transmises par l'autorité judiciaire ne peuvent lui être opposées ;
- la détermination des bases d'imposition a méconnu les dispositions de l'article 1649 A du code général des impôts ; les bases d'imposition ne pouvaient être déterminées à partir de la seule extrapolation des données des comptes litigieux relatives à l'année 2006 ; il ne peut être regardé comme ayant utilisé les comptes en cause au cours des années en litige ; il ne peut être imposé à raison des avoirs sur les comptes détenus par la société Thrumbo Management Corp. ;
- les pénalités appliquées sont dépourvues de fondement et ont été appliquées de manière discriminatoire, au regard des personnes ayant régularisé leur situation quant aux comptes ouverts à l'étranger et non déclarés, en méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1 du 1er protocole additionnel à cette convention.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 février 2022 et le 13 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.
Un mémoire distinct, portant question prioritaire de constitutionnalité, présenté pour M. C par Me Planchat, a été enregistré le 12 avril 2024. M. C demande à la Cour de transmettre la question ainsi soulevée au Conseil d'Etat afin qu'elle soit renvoyée au Conseil Constitutionnel.
Il soutient que la différence de traitement, au regard des dispositions de l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tel qu'interprété à la lumière de l'arrêt du 5 mai 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne, aff. C-570/20, entre le cumul des sanctions fiscales appliquées en l'espèce sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts et des sanctions pénales ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2022, selon que sont en cause des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ou des suppléments d'impôt à l'impôt sur le revenu, méconnaît le principe d'égalité devant l'impôt énoncé à l'article 6 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et crée en outre une discrimination à rebours au détriment des situations régies, comme en l'espèce, par le seul droit interne.
Par des observations en réponse au mémoire distinct mentionné, enregistrées le 28 mai 2024, le ministre des finances, de la relance et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à transmission.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5 ;
- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions du Conseil Constitutionnel n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 et 2016-617 QPC du 30 mars 2017 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 mai 2022, BV contre direction départementale des finances publiques de la Haute-Savoie, aff. C-570/20 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État () le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".
2. Aux termes de l'article 6 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ".
3. Aux termes de l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ".
4. Il résulte de l'instruction que M. C a fait l'objet, d'une part, à la suite d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle et de deux contrôles sur pièces, au titre des années 2003 à 2011, de suppléments d'impôt à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales, assortis des pénalités de 80 % pour manœuvres frauduleuses, et, d'autre part, a fait l'objet de poursuites sur le fondement de l'article 1741 du code général des impôts, notamment, pour minoration de l'impôt sur le revenu des années 2006 à 2009, escroquerie commise entre 2003 et 2011, blanchiment de fraude fiscale entre 2003 et 2011, abus de biens sociaux entre 2001 et 2011 et abus de confiance et faux entre 2005 et 2011. Par arrêt du 22 novembre 2022, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement de première instance reconnaissant M. C coupable de fraude fiscale à l'impôt sur le revenu au titre des années mentionnées, d'escroquerie, d'abus de biens sociaux, d'abus de confiance, et l'a en outre reconnu coupable du chef de blanchiment de fraude fiscale et d'abus de biens sociaux pour les années 2007 et 2011. Elle l'a en conséquence condamné, notamment, à une peine de quatre ans d'emprisonnement, dont un an assorti d'un sursis probatoire, au paiement d'une amende de 800 000 euros, à une interdiction d'exercice d'activité de gestion et de location de biens industriels et commerciaux, et confirmé la confiscation d'une créance figurant sur un contrat d'assurance et de la somme de 10 000 euros.
5. Invoquant un cumul de sanctions résultant de l'application des pénalités fiscales pour manœuvres frauduleuses en application de l'article 1729 du code général des impôts et de l'ensemble des sanctions prononcées par le juge pénal en application de l'article 1741 du même code, M. C soutient que l'application du principe " non bis in idem " posé à l'article 50 précité de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne au point 50 de l'arrêt du 5 novembre 2022 visé ci-dessus, crée une différence de traitement selon que les impositions objet des sanctions en cause sont constituées par de la taxe sur la valeur ajoutée ou de l'impôt sur le revenu, contraire à l'article 6 précité de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, l'interprétation donnée par le juge administratif français de ce principe conduisant à réserver l'application du principe mentionné en cas de cumul de sanctions administratives et pénales de même nature et portant sur les mêmes faits, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel du 24 juin 2016 mentionnée, alors que la cour de cassation, par des arrêts de la chambre criminelle des 22 mars 2023 (n° 19-80.689) et 14 juin 2023 (n° 22-81.020), a retenu l'application de ce principe à l'ensemble des sanctions, administratives et pénales, quelle que soit leur nature, et ce alors que les infractions poursuivies pénalement visent aussi bien la taxe sur la valeur ajoutée que l'impôt sur le revenu. Ainsi, l'interprétation divergente du principe " non bis in idem " en résultant a pour conséquence de créer, au détriment des contribuables objet, comme en l'espèce, exclusivement de sanctions afférentes à des infractions à la législation en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, une différence de traitement injustifiée au regard du principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 précité de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.
6. La différence de traitement alléguée ne résulte pas d'une distinction entre l'impôt sur le revenu et la taxe sur la valeur ajoutée, les dispositions de l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, applicables aux pénalités, constituant un élément du droit de l'Union européenne dont peuvent se prévaloir les contribuables soumis à des telles pénalités, que ce soit en matière d'impôt sur le revenu ou de taxe sur la valeur ajoutée. Au demeurant, alors que le principe " non bis in idem " ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts, le cumul des sanctions en litige, de nature différente, appliquées en outre à raisons de faits distincts, ne méconnaît pas la réserve d'interprétation dont le Conseil Constitutionnel a assorti la déclaration de conformité à la Constitution de l'application combinée des articles 1728 et 1741 du code général des impôts.
7. De surcroît et en tout état de cause, l'arrêt invoqué de la cour d'appel de Paris du 22 novembre 2022 a fait l'objet d'un pourvoi en cassation et, au jour de la présente ordonnance, n'est pas définitif.
8. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardé comme dépourvue de caractère sérieux.
9. Il résulte de ce tout qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C.
O R D O N N E :
Article 1er: Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité de M. C.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A C et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.
Fait à Paris, le 21 juin 2024.
Le président de la 9ème chambre,
S. CARRERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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