Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, des mémoires et des pièces complémentaires, enregistrés
le 26 mai 2024, le 7 juin 2024, le 12 juin 2024 et le 18 juin 2024, M. B I,
M. O F, Mme M L, Mme D E,
Mme J C, M. N K, Mme J H, M. A G, représentés par Me Opyrchal, demandent au juge des référés, sur le fondement des articles
L. 122-2 et L. 123-1-B du code de l'environnement et de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 novembre 2023 par lequel le maire de Reims a, au nom de la commune, accordé à la communauté urbaine du Grand Reims un permis de démolir le pont de Gaulle situé avenue du Général de Gaulle à Reims ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Reims la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête n'est pas tardive dès lors que le recours gracieux a été adressé par courrier posté le 25 avril 2024 dans le délai de recours contentieux, qui expirait
le 29 avril 2024, ainsi que par courriel le 25 avril 2024 ; la commune de Reims n'établit pas
la mise en place d'un téléservice obligatoire en application de l'article L. 112-9 du code des relations entre le public et l'administration, lequel n'est pas mentionné dans l'arrêté contesté ; l'affichage n'a pas fait courir le délai de recours à l'égard des tiers en application de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme dès lors qu'il est illisible de la voie publique, qu'il n'a pas été réalisé sur le terrain d'assiette du projet et qu'il n'indique pas la superficie du terrain
et la surface du pont à démolir en méconnaissance de l'article A. 424-16 du code de l'urbanisme ; le délai de recours n'a pas commencé à courir dès lors que la décision affichée aurait dû être un permis d'aménager pris en application de l'article R. 421-21 du code de l'urbanisme ;
- ils justifient d'un intérêt à agir dès lors que le recours gracieux a été déposé par M. I et M. F en leur nom propre et en qualité de représentants du collectif Sauvegardons Le Pont de Gaulle dont font partie les autres requérants ; ils disposaient d'un mandat tacite en leur qualité de créateurs du collectif ; leur intérêt à agir doit être apprécié au regard de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme et au regard de la privation du pouvoir participer à une enquête publique au sens des dispositions de l'article L. 123-1 du code de l'environnement dans la mesure où une évaluation environnementale et une enquête publique étaient nécessaires en application des articles L. 122-1, L. 123-1 et du 39 b) de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement ; leur intérêt à agir doit être apprécié au regard du projet d'aménagement dans son ensemble et non au regard du permis de démolir dès lors que la communauté urbaine du Grand Reims s'est dispensée de déposer un permis d'aménager d'ensemble en application de l'article R. 421-21 du code de l'urbanisme ;
le projet a un impact sur les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leurs biens, notamment pour les utilisateurs du pont, sur les trajets les menant à leur domicile ;
la démolition porte atteinte au droit de circuler librement sur le pont en méconnaissance de l'article 2 du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'interdiction de circuler sur le pont étant disproportionnée au regard des buts poursuivis ; ils disposent du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de leur santé, garanti par l'article 1er de la Charte de l'environnement, impliquant notamment le fait de ne pas subir un temps de trajet important pour se rendre de leur domicile et à leur lieu de travail ; la démolition du pont engendrera un phénomène de congestion, des nuisances sonores et la pollution de l'air sur les voies de report ; elle entrainera une augmentation du trafic sur les deux autres ponts permettant de rejoindre le centre-ville, identifiés comme situés dans le périmètre des voies bruyantes ;
le projet entrainera la destruction d'espèces protégées et d'habitats de manière grave et irréversible, la destruction des espaces boisés classés et des alignements d'arbres dans
le périmètre d'un site patrimonial remarquable ; le projet porte atteinte à la salubrité publique ; il porte atteinte à la sécurité publique aux abords du stade de Reims, l'ouvrage étant réservé aux passages des supporters extérieurs pour éviter toute confrontation ;
- à titre principal, sur le fondement des articles L. 122-2 et L. 123-1-B du code de l'environnement, la démolition aurait dû être précédée d'une évaluation environnementale et d'une enquête publique en application des articles L. 122-1 et L. 123-1 du code de l'environnement ; les opérations d'aménagement dont le terrain d'assiette est supérieur ou égal à 10 hectares sont soumises à évaluation environnementale en application de la rubrique 39 b) de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement ; le permis de démolir s'inscrit dans un projet d'aménagement dit " projet des Berges de Reims " et dans celui dit de reconquête du canal ; l'arrêté préfectoral du 3 août 2023 dispensant la collectivité d'une étude d'impact préalable est illégal ; la suspension de l'exécution de l'arrêté litigieux ne porte pas une atteinte d'une particulière gravité justifiant qu'il n'y soit pas fait droit pour un motif d'intérêt général ; la démolition du pont a nécessairement des répercussions sur la santé humaine pour les riverains résidant à proximité des voies de report ; la démolition aura nécessairement un impact sur la luminosité de la vie aquatique ; elle implique une potentielle dégradation de la qualité des milieux aquatiques, une atteinte au bon état écologique des milieux alors que le pont est situé à proximité du site Natura 2000 ; il existe des risques de perturbation et de destruction d'animaux appartenant à plusieurs espèces d'animaux protégés et de leurs habitats ; les travaux vont modifier la géométrie des cours d'eaux et la nature des berges ainsi que la zone d'expansion des crues ;
- à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;
- il méconnaît l'article R. 421-21 du code de l'urbanisme ;
- il méconnaît les articles R. 451-1 et R. 451-6-1 du code de l'urbanisme dès lors que la date de construction du bâtiment est erronée, que l'attestation prévue au dernier alinéa de l'article R. 451-1 n'a pas été transmise, que les cases selon lesquelles l'ouvrage se situe dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable, porte sur des travaux soumis à autorisation environnementale et a déjà fait l'objet d'une demande d'autorisation ou d'une déclaration au titre d'une autre législation n'ont pas été cochées ;
- il aurait dû être précédé d'une mesure d'enquête publique et d'une évaluation environnementale en application des articles L. 122-1 et L. 123-1 du code de l'environnement ; il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de l'environnement ;
- la demande aurait dû être précédée d'une demande au titre de la loi sur l'eau en application de l'article L. 122-1 du code de l'environnement ;
- eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées, le projet aurait dû être autorisé en application de l'article L. 411-1 du code de l'environnement ;
- il méconnaît l'article 7 de la Charte de l'environnement et l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ;
- il méconnaît le droit à l'information et à la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers en méconnaissance de l'article L. 134-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il aurait dû être procédé au déclassement de la voie en application des articles L. 111-1 et L. 143-1 du code de la voirie routière ;
- la saisine de l'architecte des bâtiments de France n'est pas régulière en l'absence de preuve de la transmission de l'ensemble des éléments lui permettant d'apprécier le projet ;
- il méconnaît l'article R. 451-4 du code de l'urbanisme ;
- l'avis de l'architecte des bâtiments de France est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il méconnaît le règlement du plan local d'urbanisme qui prévoit que les démolitions sont uniquement autorisées lorsqu'elles ne mettent pas en cause les éléments du patrimoine rémois ; le projet est situé à proximité d'espaces boisés classés et d'alignements d'arbres ; il n'est pas établi que des mesures ont été prises pour éviter de compromettre la conservation
et la protection des boisements et des alignements ; il n'est pas établi l'existence d'une autorisation tacite d'abattage d'arbres sur le fondement de l'article L. 350-3 du code de l'environnement ;
- il méconnaît l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- l'urgence n'est pas une condition nécessaire pour l'application de l'article L. 122-2 du code de l'environnement ;
- la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est remplie dès lors que la démolition du pont porte atteinte au droit de propriété, présente un caractère difficilement réversible et affecte directement et gravement les conditions ou leur cadre de vie ; le projet porte des dommages irréversibles à la santé et à l'environnement ;
il méconnaît le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux
de la santé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 et 17 juin 2024, la commune
de Reims, représentée par Me Pyanet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise
à la charge solidaire des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête aux fins d'annulation est tardive dès lors que le recours administratif est parvenu après l'expiration du délai de recours contentieux prévu à l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme ; le pli n'a pas été remis aux services postaux en temps utile pour permettre sa remise avant l'expiration du délai de recours contentieux ; l'envoi d'un recours gracieux par courriel ne constitue pas une notification en bonne et due forme ; l'affichage est régulier dès lors que les panneaux sont directement accessibles depuis la voie publique et mentionnent
la démolition totale du pont ; le recours gracieux ne saurait interrompre le délai de recours qu'au bénéfice de M. I et de M. F ; il n'est pas établi l'existence d'un mandat à la date d'exercice du recours gracieux pour les autres requérants ;
- les requérants ne justifient pas d'un intérêt à agir ; le collectif n'a pas la qualité de personne morale ; l'intérêt à agir doit s'apprécier au regard de la seule décision contestée et non au regard de l'opération de réaménagement global des berges et selon les critères prévus à l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme ; M. I et M. F ne sont pas des voisins immédiats du projet ; les conditions de circulation induites par la démolition sont sans rapport sur les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des biens détenus ou occupés par les requérants ; les troubles invoqués résultent de la fermeture de la circulation et non de la démolition du pont ; l'allongement de la durée des déplacements professionnels n'est pas établi ; le lieu de travail de M. I n'est pas précisé ; M. F ne justifie pas d'un intérêt alors qu'il se borne à faire état de visites à des clients quotidiennement et alors qu'il réside à 10km du centre-ville de Reims ; la fermeture du pont n'a pas d'incidence sur les voies desservant les domiciles des requérants ; la démolition ne porte pas atteinte à leur droit de circuler en se reportant sur les autres axes ; la réalité des nuisances liées aux supporters n'est pas établie ; il n'est pas établi que le report d'une partie du trafic vers d'autres ponts engendrerait un accroissement de la congestion automobile, de la pollution et des nuisances sonores alors que le projet global présentera une incidence positive sur la diminution
de la pollution de l'air et des niveaux de bruit ; la nature des espèces protégées et le caractère avéré des destructions ne sont pas établis ; les espaces boisés mentionnés sont situés à proximité de la zone de travaux et non de leurs domiciles ; la destruction des arbres n'est pas engendrée par la démolition du pont mais par la restructuration du boulevard Paul Doumer et le secteur des Haltes Nautiques ; le projet de démolition aura globalement une incidence positive sur le cadre de vie ;
- les dispositions de l'article L. 122-2 du code de l'environnement ne sont pas applicables dès lors que le projet n'est pas soumis à la réalisation d'une étude d'impact ;
les requérants ne peuvent contester la décision de la préfète de la région Grand Est qui a dispensé le projet d'une évaluation environnementale ; l'opération porte uniquement sur
la démolition du pont et non sur l'opération d'aménagement des berges de la Vesle et ne nécessite aucune étude d'impact au regard de ses incidences ;
- la condition d'urgence n'est pas satisfaite dans la mesure où le droit de propriété invoqué n'est pas concerné ; les conséquences indésirables alléguées résultent de l'interdiction de circulation sur le pont et non de sa démolition ; les travaux de démolition ont débuté faisant obstacle à l'utilisation de l'ouvrage pour la circulation automobile ; l'opération d'aménagement a fait l'objet d'études préalables sur les conséquences sur la santé humaine et l'environnement ; le projet a globalement une incidence positive sur la qualité de l'air,
le cadre de vie et l'environnement ; le projet d'aménagement présente un intérêt public justifiant de regarder la condition d'urgence comme non satisfaite ;
- le dossier de demande de permis de démolir présente un caractère suffisant dès lors que la date erronée de construction de l'ouvrage n'a pas été de nature à fausser l'appréciation de l'autorité administrative sur la conformité du projet ; l'attestation du demandeur
qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme est matérialisée par la signature électronique du formulaire et le visa de la délibération du conseil communautaire du 10 juillet 2020 ; l'absence de mention de la situation dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable est sans incidence sur la légalité dès lors que l'architecte des bâtiments de France a été consulté ; le projet n'est pas soumis à autorisation environnementale au titre de l'article L. 181-1 du code de l'environnement ; aucune disposition n'impose au pétitionnaire d'indiquer si le projet de démolition est soumis à enquête publique ; le projet a fait l'objet d'une déclaration au titre de la loi sur l'eau
le 4 août 2023 ; le projet n'est pas soumis à évaluation environnementale compte tenu des mesures d'évitement prévues ; la démolition n'entraine pas la destruction d'espèces protégées impliquant une dérogation en application de l'article L. 411-1 du code de l'environnement ; l'arrêté litigieux impose le respect des recommandations de l'étude faune flore établie
en 2023 ;
- l'article 7 de la Charte de l'environnement n'est pas applicable aux décisions individuelles ;
- la démolition du pont n'a pas d'incidence directe et significative sur l'environnement pour l'application de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ; l'opération de réaménagement des berges intégrant le projet de démolition a fait l'objet de concertation avec le public sur le fondement de l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme ;
- l'autorité délivrant les autorisations d'urbanisme n'est pas chargée d'assurer
le respect des dispositions relatives à la voirie des collectivités territoriales et des règles afférentes à l'affectation des dépenses du domaine public communal ; la délivrance du permis de démolir n'est pas conditionnée au déclassement du pont ; sa démolition est sans incidence sur le maintien du terrain d'assiette dans la voirie routière ; l'opération ne porte pas atteinte aux fonctions de desserte et de circulation ;
- l'architecte des bâtiments de France a rendu un avis après transmission des pièces complémentaires ; les pièces complémentaires sont sans rapport avec son appréciation ;
- le dossier de demande comprend une note d'information générale portant notamment sur les moyens mis en œuvre pour éviter toute atteinte au patrimoine conformément à l'article R. 451-4 du code de l'urbanisme ; la localisation de quatre immeubles présentant un intérêt patrimonial ne nécessitait pas de mesures particulières ;
- le projet ne nécessite pas la délivrance d'un permis d'aménager sur le fondement de l'article R. 421-21 du code de l'urbanisme dès lors qu'il n'implique pas la réalisation de travaux de modification de la voirie ;
- l'avis de l'architecte des bâtiments de France ne porte pas sur un projet autre que
la démolition ;
- le projet ne méconnaît pas les prescriptions du plan local d'urbanisme ; le pont litigieux ne constitue pas un élément architectural de qualité du patrimoine rémois et ne bénéficie d'aucune protection ; le permis de démolir n'est pas soumis au règlement du plan local d'urbanisme ; la démolition n'implique pas par elle-même la destruction d'arbres classés en EBC au titre du plan local d'urbanisme ; l'exécution du permis n'est pas à elle-seule susceptible d'entraîner la suppression de tout ou partie des alignements d'arbres ;
- l'arrêté litigieux ne méconnaît pas l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
Par des mémoires, enregistrés les 12 juin 2024 et 13 juin 2024, M. B I, M. O F, Mme M L, Mme D E,
Mme J C, M. N K, Mme J H, M. A G, représentés par Me Opyrchal, demandent au juge des référés, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis
par la Constitution de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme.
Ils soutiennent que les dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme méconnaissent les dispositions de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les dispositions des articles 1er, 2 et 7 de la Charte de l'environnement.
Par un mémoire, enregistré le 17 juin 2024, la commune de Reims, représentée par Me Pyanet, demande au tribunal de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité.
Elle soutient que la question est dépourvue de caractère sérieux dès lors que
la conformité à l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen a déjà été reconnue, que les articles 1er, 2 et 7 de la Charte de l'environnement n'ont ni pour objet ni pour effet d'ouvrir à toute personne un droit au recours contre toute décision susceptible d'avoir une incidence sur l'environnement, que l'article 1er de la Charte de l'environnement ne fait pas obstacle à ce que le législateur adopte des mesures susceptibles de porter
une atteinte grave et durable à l'environnement.
La requête et les mémoires afférents à la question prioritaire de constitutionnalité ont été communiqués à la communauté urbaine du Grand Reims, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête enregistrée sous le n° 2401207 tendant à l'annulation de l'arrêté
du 17 novembre 2023 du maire de Reims.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal administratif a désigné Mme Mach, vice-présidente, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, juge des référés,
- les observations de Me Opyrchal, représentant M. I et autres, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
- et les observations de Me Pyanet, représentant la commune de Reims, qui conclut aux mêmes fins que le mémoire en défense par les mêmes moyens.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
La commune de Reims, représentée par Me Pyanet, a produit une note en délibéré
le 19 juin 2024, qui n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté urbaine du Grand Reims a déposé le 3 octobre 2023 auprès
de la commune de Reims un dossier de permis de démolir le pont de Gaulle, situé avenue
du Général de Gaulle à Reims. Par un arrêté du 17 novembre 2023, le maire de Reims a, au nom de la commune, délivré le permis de démolir sollicité. Par la présente requête,
M. I et autres demandent au juge des référés, sur le fondement des articles L. 122-2 et L. 123-1-B du code de l'environnement et de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 novembre 2023
du maire de Reims.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 122-2 du code
de l'environnement et de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 122-2 du code de l'environnement : " Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d'approbation d'un projet visé au I de l'article L. 122-1 est fondée sur l'absence d'étude d'impact, le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée. ".
3. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. () ".
En ce qui concerne la tardiveté de la requête aux fins d'annulation :
4. Aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15. ".
5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme : " Mention du permis explicite ou tacite ou de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier. () ". Aux termes de l'article A. 424-15 du même code : " L'affichage sur le terrain du permis de construire, d'aménager ou de démolir explicite ou tacite ou l'affichage de la déclaration préalable, prévu par l'article R. 424-15, est assuré par les soins du bénéficiaire du permis ou du déclarant sur un panneau rectangulaire dont les dimensions sont supérieures à 80 centimètres. ". Aux termes de l'article A. 424-16 du même code : " Le panneau prévu à l'article A. 424-15 indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale du bénéficiaire, le nom de l'architecte auteur du projet architectural, la date de délivrance, le numéro du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté. / Il indique également, en fonction de la nature du projet : () / d) Si le projet prévoit des démolitions, la surface du ou des bâtiments à démolir. ". Selon l'article A. 424-18 de ce code : " Le panneau d'affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu'il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier. ".
6. Il résulte des dispositions précitées que l'affichage du permis de démolir
sur le terrain d'assiette de la construction doit être effectué de telle façon que les mentions qu'il comporte soient lisibles de la voie publique.
7. Il ressort notamment des procès-verbaux de constats d'huissier établis
les 28 février 2024, 29 mars 2024 et 29 avril 2024, et n'est pas contesté, que le permis de démolir a fait l'objet de deux affichages, respectivement sur le trottoir de la rue Hincmar, au niveau de l'entrée du pont de Gaulle et sur une parcelle enherbée avenue
du Général de Gaulle à l'autre extrémité du pont. Si les deux affichages n'ont pas été réalisés sur le pont à démolir, alors notamment que celui-ci est fermé à la circulation du public pendant toute la durée du chantier et que l'affichage doit être lisible pendant toute sa durée, l'affichage sur deux panneaux placés sur la voie publique ouverte à la circulation du public et desservie par des trottoirs, aux deux extrémités du pont à une distance proche du terrain d'assiette est de nature à satisfaire à l'exigence d'affichage visible de l'extérieur. Si les requérants soutiennent que le panneau situé avenue du Général de Gaulle est dissimulé par un panneau publicitaire sur une voie non empruntée par les piétons, il ressort des photographies produites que ledit affichage est placé en bordure de la voie publique, laquelle comprend un trottoir, et visible depuis celle-ci, nonobstant le panneau publicitaire. Si les panneaux d'affichage reproduisent l'arrêté litigieux en petits caractères, il ne résulte pas davantage des photographies que les mentions portées sur ces panneaux ne sont pas lisibles depuis la voie publique. Il est constant que l'affichage comportait la mention des voies et délais de recours.
8. En imposant que figurent sur le panneau d'affichage du permis de construire diverses informations sur les caractéristiques de la construction projetée, les dispositions citées au point 5 ont pour objet de permettre aux tiers, à la seule lecture de ce panneau, d'apprécier l'importance et la consistance du projet, le délai de recours contentieux ne commençant à courir qu'à la date d'un affichage complet et régulier. Il s'ensuit que
si les mentions prévues par l'article A. 424-16 doivent, en principe, obligatoirement figurer sur le panneau d'affichage, une erreur affectant l'une d'entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où cette erreur est de nature à empêcher les tiers d'apprécier l'importance et la consistance du projet. La circonstance qu'une telle erreur puisse affecter l'appréciation par les tiers de la légalité du permis est, en revanche, dépourvue d'incidence à cet égard, dans la mesure où l'objet de l'affichage n'est pas de permettre par lui-même d'apprécier la légalité de l'autorisation de construire.
9. Les requérants font valoir que les panneaux d'affichage ne comportent pas de mentions relatives à la superficie du terrain et à la surface à démolir. S'il est constant que ces mentions prévues par l'article A. 424-16 du code de l'urbanisme ne figurent pas sur les panneaux d'affichage, ces derniers mentionnent expressément que les travaux portent sur la démolition totale du pont de Gaulle. Cette seule mention permet aux tiers, à la seule lecture du panneau, de connaître et d'apprécier l'importance et la consistance du projet.
10. Les requérants soutiennent que le pétitionnaire aurait dû solliciter un permis d'aménager sur le fondement de l'article R. 421-21 du code de l'urbanisme et non un permis de démolir. Toutefois l'éventuelle illégalité du permis de démolir est sans incidence sur la régularité de son affichage et sur le point de départ du délai de recours contentieux à l'encontre de l'arrêté litigieux.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le délai de recours contentieux à l'encontre de l'arrêté du 17 novembre 2023 portant permis de démolir n'a pas commencé à courir en raison de l'irrégularité de l'affichage.
12. En second lieu, il résulte des pièces du dossier que le délai de recours contentieux a commencé à courir à l'égard des tiers à compter du 28 février 2024 et expirait
le 29 avril 2024.
13. D'une part, si le recours gracieux formé par Me Opyrchal, mandaté par M. et Mme I et par M. F, et adressé par voie postale n'a été reçu par les services de la commune de Reims que le jeudi 2 mai 2024, celui-ci a été expédié le 25 avril 2024, laquelle est la date à prendre en considération pour apprécier si un recours gracieux adressé par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux. Ce recours gracieux exercé par M. et Mme I et par M. F a interrompu le délai de recours contentieux. Par suite, la requête aux fins d'annulation de l'arrêté du 17 novembre 2023 en tant qu'elle a été présentée par M. I et M. F, qui a été enregistrée sous le numéro 2401207 au greffe du tribunal le 26 mai 2024, n'est pas tardive.
14. D'autre part, il ressort des termes mêmes du recours gracieux du 23 avril 2024 qu'il a été exercé par M. et Mme I et par M. F en leur nom propre. Si les requérants font valoir que ces derniers bénéficiaient en leur qualité de créateurs du collectif " Sauvegardons le pont de Gaulle " un mandat tacite pour exercer le recours gracieux au nom et pour le compte de l'ensemble de ses membres, dont Mme L, Mme E, Mme C, M. K, Mme H et M. G, il ressort des pièces du dossier que le recours gracieux et la requête aux fins d'annulation n'ont pas été présentés par ou pour
le compte du collectif " Sauvegardons le pont de Gaulle ", lequel ne dispose pas
de la personnalité morale, alors même que la presse locale aurait fait mention d'un recours exercé pour son compte. La composition dudit collectif n'est au demeurant pas produite à l'instance. Dans ces conditions, le recours gracieux exercé par M. et Mme I
et par M. F ne peut être regardé comme ayant été présenté par des personnes ayant qualité pour ce faire au nom d'autres membres du collectif et comme ayant interrompu
le délai de recours contentieux à leur égard. La requête aux fins d'annulation de l'arrêté
du 17 novembre 2023 en tant qu'elle a été présentée par Mme L, Mme E,
Mme C, M. K, Mme H et M. G a été enregistrée
sous le numéro 2401207 au greffe du tribunal le 26 mai 2024, postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux, et est tardive. Par suite, la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 novembre 2023 du maire de Reims présentée
par Mme L, Mme E, Mme C, M. K, Mme H et M. G doit être rejetée.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir :
15. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. / Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire. ".
S'agissant de la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :
16. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".
17. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission
de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans
les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
18. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Est notamment garanti par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif.
19. Les requérants soutiennent que les dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme portent une atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction, tel qu'il est garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Toutefois, les décisions statuant sur les permis de construire, de démolir ou d'aménager, prises dans le cadre de la police spéciale de l'urbanisme, ont pour objet de contrôler que les projets en cause sont conformes aux règles d'urbanisme relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords. Les dispositions contestées de l'article L. 600-1-2, définissant les conditions de recevabilité auxquelles sont soumis les recours dirigés contre les permis de construire, de démolir ou d'aménager, poursuivent un objectif d'intérêt général, consistant à prévenir
le risque d'insécurité juridique auquel ces actes sont exposés ainsi que les contestations abusives. Eu égard au champ d'application de ces dispositions, à la portée des décisions en cause et aux critères de recevabilité retenus, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux garanties de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en restreignant excessivement le droit au recours ne peut être regardé comme ayant un caractère sérieux.
20. Aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. ". Aux termes de l'article 2 de la même Charte : " Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. ". Le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par ces articles s'impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à l'ensemble des personnes. Il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité.
21. Les requérants soutiennent que les dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme méconnaissent les articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement en tant qu'elles ne permettent pas à une personne physique d'exercer un recours contre une autorisation d'urbanisme au regard des conséquences du projet sur le droit de l'environnement et notamment des atteintes à sa qualité de vie, à sa santé et à son droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. D'une part, les dispositions contestées, définissant les conditions de recevabilité auxquelles sont soumis les recours dirigés contre
les permis de construire, de démolir ou d'aménager, ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à porter atteinte au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé protégé par l'article 1er de la Charte de l'environnement. D'autre part, ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'une personne physique invoque, pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, d'une atteinte tenant aux incidences du projet sur l'environnement ou sur son cadre de vie dans la mesure où elle affecte directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Les restrictions qu'elles apportent au droit de former un recours pour excès de pouvoir à l'encontre d'une autorisation d'urbanisme, en subordonnant l'exercice au constat d'un intérêt personnel, direct et certain en rapport avec les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance d'un bien immobilier, et non à la seule invocation d'une atteinte au droit de l'environnement ou au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, n'apparaissent pas excessives eu égard à l'objectif d'intérêt général consistant à prévenir le risque d'insécurité juridique auxquels les autorisations d'urbanisme sont exposées ainsi que les contestations abusives. Enfin,
le législateur a veillé à ce que des recours en excès de pouvoir puissent être exercés par des associations, notamment environnementales, au regard de leurs statuts en application de l'article L. 600-1-1 du code de l'urbanisme ou par l'Etat, les collectivités ou leurs groupements. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance des articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement ne présente pas de caractère sérieux.
22. Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. ".
23. Il résulte de ces dispositions qu'elles réservent au législateur le soin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Il incombe ainsi au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions.
24. Les dispositions de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme contestées, relatives aux conditions de recevabilité auxquelles sont soumis les recours dirigés contre des autorisations d'urbanisme, n'ont ni pour effet ni pour objet de prévoir les modalités d'accès du public aux informations relatives à l'environnement et de participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte à l'article 7 de la Charte de l'environnement ne peut être regardé comme ayant un caractère sérieux.
25. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, dès lors, de transmettre cette question au Conseil d'Etat.
S'agissant de l'intérêt à agir de M. I et de M. F :
26. M. I et M. F, qui sollicitent la suspension de l'exécution du permis de démolir sur le fondement de l'article L. 122-2 du code de l'environnement et, à titre subsidiaire, de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, doivent justifier d'un intérêt leur donnant qualité pour agir en application de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme.
27. D'une part, M. F, qui réside 6 allée des Nirvalles à Bezannes, fait valoir qu'en sa qualité d'éditeur, il emprunte quotidiennement le pont pour visiter ses clients tandis que M. I, qui est domicilié 28 rue Nicolas Henriot à Reims, précise être un usager quotidien du pont lui permettant de relier son domicile à son lieu de travail. Outre que
les requérants ne justifient pas de leur qualité d'usagers du pont de Gaulle en l'absence de tout élément sur la situation professionnelle de M. F et de toute précision sur le lieu d'exercice de l'activité professionnelle de M. I, qui a produit un bulletin de salaire établi par Neoma Business School Paris, ils ne peuvent utilement se prévaloir,
sur le fondement de l'article 2 du protocole additionnel n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté de circulation, d'un droit de circuler librement sur ce pont. S'ils invoquent un allongement de leurs trajets entre leur domicile et leur travail à raison de la démolition du pont, cette circonstance est par elle-même sans rapport avec les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien respectifs.
28. D'autre part, les requérants soutiennent que la démolition du pont entraîne un phénomène de congestion et une augmentation du trafic sur les voies de report de nature à aggraver les nuisances sonores et la pollution de l'air. Si les intéressés peuvent utilement faire valoir qu'un projet, par son incidence sur la circulation d'une route, est de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur propriété,
le trafic routier, dont ils indiquent qu'il se reporte sur les ponts de Vesle et de Venise qui permettent de rejoindre le centre-ville de Reims ainsi que sur les rues Hincmar et de Venise, n'est pas susceptible d'affecter directement les conditions d'accès et de circulation de la rue Henriot où réside M. I, ni même les rues situées à proximité, et en tout état de cause pas les conditions de circulation à Bezannes où réside M. F. Par ailleurs, M. I se prévaut du rapport de présentation du projet du site patrimonial remarquable du centre-ville de Reims identifiant les axes classés en zone " Air " prioritaire à raison des niveaux élevés de dioxydes d'azote et ceux dont la circulation routière engendre des niveaux de bruit supérieur à 65dB, et notamment les rues Hincmar et de Venise, pour établir qu'il serait exposé à des nuisances sonores et à la pollution de l'air résultant de la démolition du pont litigieux. Toutefois, le lieu de résidence de l'intéressé, qui n'est pas situé dans le périmètre du site patrimonial remarquable, est inclus dans une zone en dépassement réglementaire potentiel mais relève des bâtiments habités dans une zone non touchée par un dépassement règlementaire pour la qualité de l'air et à une distance de plus d'un kilomètre des rues ainsi identifiées. Ils ne peuvent davantage invoquer de manière générale une atteinte
à la salubrité publique et leur droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de leur santé.
29. En outre, si les requérants font valoir que l'arrêté litigieux n'a pas été précédé d'une décision prononçant son déclassement ou que le projet aurait dû faire l'objet d'un permis d'aménager en application de l'article R. 421-21 du code de l'urbanisme, ces circonstances ne sont pas de nature à établir leur intérêt à agir.
30. Par ailleurs, si les requérants soutiennent que le projet implique la destruction d'espèces protégées et de leurs habitats de manière grave et irréversible ainsi que
la destruction des espaces boisés et classés et des alignements d'arbres, à proximité immédiate du terrain d'assiette, M. I et M. F, qui résident à plusieurs kilomètres du projet, ne peuvent utilement invoquer pour ce motif une atteinte grave et directe à leur cadre de vie.
31. De plus, la circonstance alléguée que le projet est de nature à porter atteinte
à la sécurité publique aux abords du stade de Reims, dans la mesure où le pont était réservé aux cars des supporters extérieurs pour éviter toute confrontation et où le stade est situé à proximité d'espaces publics qu'ils fréquentent, ne saurait affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leur bien respectifs, situés également à plusieurs kilomètres.
32. Enfin, la circonstance qu'aucune évaluation environnementale n'a été réalisée et que les requérants ont été privés de la possibilité de participer à une enquête publique environnementale ne saurait à elle-seule leur conférer un intérêt leur donnant qualité pour agir et pour solliciter la suspension de l'exécution de l'arrêté litigieux sur le fondement de l'article L. 122-2 du code de l'environnement.
33. Dans ces conditions, la démolition du pont de Gaulle n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des maisons d'habitation de M. I et de M. F. Par suite, la commune de Reims est fondée à soutenir que les intéressés ne justifient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir. Il y a lieu dès lors d'accueillir la fin de non-recevoir soulevée par
la commune de Reims et de rejeter la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de Reims du 17 novembre 2023 présentée par M. I et M. F.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 123-1-B du code de l'environnement :
34. Aux termes de l'article L. 123-1-B du code de l'environnement, créé par l'article 4 de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte : " Le juge administratif des référés fait droit à toute demande de suspension d'une décision prise sans que la participation du public sous l'une des formes mentionnées à l'article L. 123-1-A ait eu lieu, alors qu'elle était requise. ". Aux termes du II de l'article 4 de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte : " Le présent article s'applique aux demandes d'autorisation environnementale déposées à compter d'une date fixée par décret, et au plus tard un an après la promulgation de la présente loi. ".
35. Il résulte des dispositions du II de l'article 4 de la loi du 23 octobre 2023 précitées que les dispositions de l'article L. 123-1-B du code de l'environnement ne sont applicables qu'aux demandes d'autorisation environnementale déposées à compter d'une date fixée par décret, et au plus tard le 23 octobre 2024. D'une part, aucun décret d'application de cet article n'a été pris à la date de la présente ordonnance. D'autre part, et en tout état de cause, la demande porte sur un permis de démolir et a été déposée le 3 octobre 2023 et complétée le 16 octobre 2023. Par suite, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 123-1-B du code de l'environnement ne peuvent être que rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
36. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Reims, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. I et autres au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. I et autres le versement à la commune de Reims de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire
de constitutionnalité soulevée par M. I et autres.
Article 2 : La requête de M. I et autres est rejetée.
Article 3 : M. I et autres verseront à la commune de Reims la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B I,
à M. O F, à Mme M L, à Mme D E,
à Mme J C, à M. N K, à Mme J H,
à M. A G, à la commune de Reims et à la communauté urbaine du Grand Reims.
Fait à Châlons-en-Champagne, le 20 juin 2024.
La juge des référés,
Signé
A.-S. MACH
Le greffier,
Signé
A. PICOT