Tribunal administratif de Paris

Jugement du 19 juin 2024 n° 2119273

19/06/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 13 septembre 2021, M. C B et Mme A B, représentés par Me Albert de la SELAS L§A, demandent au tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la procédure d'imposition est prescrite dès lors que la proposition de rectification ne leur a pas été adressée avant le 31 décembre 2019 ;

- les cotisations supplémentaires ont porté sur les prélèvements de CSG et de CRDS acquittées ce qui constitue un artifice permettant de dissimuler au contribuable le taux effectif réel de ces contributions ;

- cette imposition crée une rupture d'égalité devant les charges sociales puisque les prélèvements sociaux sont effectués proportionnellement et sans application d'un taux progressif ;

- elle porte atteinte au droit au respect des biens prévu par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Portes,

- et les conclusions de Mme Belle, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B ont fait l'objet d'un examen de leur situation fiscale personnelle au titre des années 2015 et 2016. A l'issue des opérations de contrôle, le service a, d'une part, réintégré dans le montant imposable de M. B au titre de l'année 2016, la somme de 38 967 euros correspondant à la fraction non déductible de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et, d'autre part, imposé un montant de 230 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 1649 A du code général des impôts. A la suite de leur recours hiérarchiques, le service a maintenu les seules cotisations supplémentaires liées à la réintégration des contributions sociales. Leur réclamation préalable ayant été rejetée le 12 juillet 2021, M. et Mme B demandent au tribunal de prononcer la décharge des suppléments d'impôts laissés à leur charge.

2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Aux termes de l'article L. 169 du même livre, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce, pour l'impôt sur le revenu, jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de redressement () ".

3. Une proposition de rectification doit, en principe, pour satisfaire aux exigences de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, être notifiée à la dernière adresse communiquée par le contribuable à l'administration fiscale aux fins d'y recevoir ses courriers. Cette adresse est celle connue de l'administration fiscale à la date d'envoi du pli contenant la proposition de rectification. Toutefois, dans l'hypothèse où, par un courrier envoyé avant la date de présentation du pli contenant la proposition de rectification à la dernière adresse connue mentionnée au point 3, et reçu par l'administration fiscale après la date d'envoi de ce pli, le contribuable informe l'administration fiscale de son changement d'adresse, le respect des exigences de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales implique que la proposition de rectification soit de nouveau notifiée à la nouvelle adresse communiquée par le contribuable, à moins que celui-ci ait eu connaissance, en temps utiles, de la proposition notifiée à son ancienne adresse. Cette nouvelle notification est sans incidence sur la date d'interruption de la prescription qui est celle de présentation du pli contenant la proposition de rectification à la dernière adresse connue à la date d'envoi de ce pli.

4. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 11 décembre 2019, envoyée le jour même, a été notifiée aux requérants à leur adresse parisienne et avisé le 18 décembre 2019. Le pli n'a pas été retiré. Si par courrier reçu le 13 décembre 2019 par l'administration fiscale, les requérants ont déclaré une nouvelle adresse au Maroc pour la période allant du 10 décembre 2019 jusqu'à la fin de l'année, cette circonstance, postérieure à l'envoi du pli contenant la proposition de rectification, est sans incidence sur la date d'interruption de la prescription. Au demeurant, l'administration fiscale a adressé la proposition de rectification le 23 décembre 2019 par Chronopost dont le service client a attesté de la réception à la date du 26 décembre 2019. Si une tierce personne a réadressé le pli à l'administration, les requérants n'apportent aucun élément permettant d'en déterminer les raisons alors même que l'adresse d'envoi correspondait à celle qu'ils avaient déclarée au Maroc. Par suite, M. et Mme B ne sont pas fondés à soutenir que le droit de reprise dont disposait l'administration à l'égard des impositions dues au titre de l'année 2016 était prescrit.

5. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que l'imposition de la fraction non déductible de la CSG et de la CRDS constitue un artifice permettant de dissimuler au contribuable le taux effectif réel de ces contributions, ce moyen, qui ne fait référence à aucune disposition législative ou réglementaire, n'est pas assorti des précisions suffisantes qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé. Il doit donc être écarté.

6. En troisième lieu, si les requérants font valoir que l'imposition des contributions sociales est contraire au principe d'égalité devant l'impôt et aux principes de sécurité juridique, de clarté et d'intelligibilité des lois en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution et des articles 4, 5, 6, 13 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ce moyen n'a pas été présenté par mémoire distinct dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité et n'est donc pas recevable.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

8. Il résulte des termes mêmes de cet article que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat partie à ce protocole additionnel de mettre en œuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts et taxes dès lors que celles-ci sont suffisamment accessibles, précises et prévisibles. L'imposition ou taxation d'une personne ne saurait être regardée comme portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole. Toutefois, l'obligation financière née du prélèvement d'un impôt ou d'une taxe peut porter une telle atteinte si elle revêt un caractère confiscatoire ou si elle impose une charge manifestement disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.

9. Les requérants, qui se bornent à faire valoir que la réintégration dans les revenus imposables de la part non déductible de la CSG et de la CRDS présenterait un caractère confiscatoire et porterait une atteinte disproportionnée au respect de leurs biens, n'apporte aucun élément précis permettant d'apprécier le bien-fondé du moyen qui, par suite, doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin de décharge doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de M. et Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C B et Mme A B et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Vidal, présidente,

Mme Portes, première conseillère,

Mme Grossholz, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2024.

La rapporteure,

C. PORTES

La présidente,

S. VIDALLa greffière,

S. RUBIRALTA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

C