Renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B A, représentée par Me Tête, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 10 juin 2021 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes l'a suspendue du droit d'exercer la maïeutique pour une durée de cinq mois en application de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique.
Par un jugement n° 2106352 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mars 2023, Mme A, représentée par Me Tête, a demandé à la cour d'annuler ce jugement n° 2106352 du 24 janvier 2023 et cette décision du 10 juin 2021 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes l'a suspendue du droit d'exercer la maïeutique pour une durée de cinq mois.
Par un mémoire distinct, enregistré le 23 mai 2024, Mme A, représentée par Me Tête, demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la constitutionnalité de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, au regard des articles 1er, 6, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et de l'article 34 de la constitution de 1958.
Elle soutient que :
- le juge devant lequel est soulevé une question prioritaire de constitutionnalité doit seulement examiner si les conditions de sa transmission au Conseil d'Etat ou à la cour de cassation sont réunies, sans chercher à trancher cette question au fond ;
- la disposition contestée est applicable au litige ;
- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;
- elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;
- la différence de traitement entre les salariés, qui bénéficient d'un maintien de leur rémunération durant la période de suspension, et les autres professionnels, qui n'en bénéficie pas, n'est pas en relation avec l'objectif de la loi, ce qui est contraire au principe d'égalité ;
- le caractère contradictoire de la procédure n'est pas assuré, ce qui méconnait le principe des droits de la défense, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;
- le référé spécifique prévu à l'article L. 4113-14 du code de la santé publique ne pouvant être mis en œuvre en l'absence de décret d'application et les procédures de droit commun étant inefficaces, les personnes concernées ne bénéficient pas d'un droit au recours effectif ;
- l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi a été méconnu et l'incompétence négative du législateur doit être censurée.
La procédure a été communiquée à l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes qui n'a pas produit d'observations sur cette question prioritaire de constitutionnalité.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 et son préambule ;
- la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B A, sage-femme, a fait l'objet d'une décision du 10 juin 2021 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes l'a suspendue du droit d'exercer la maïeutique à titre immédiat, pour une durée de cinq mois, en application des dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique. Elle soutient, par un mémoire distinct présenté à l'appui des conclusions de sa requête tendant à l'annulation de cette décision du 10 juin 2021, que les dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique portent atteinte aux droits et libertés que garantissent les articles 1er, 6, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et de l'article 34 de la constitution de 1958.
2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution () peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () / La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Enfin aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".
3. Il doit être procédé à la transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant une disposition législative à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
4. D'une part, aux termes de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique : " En cas d'urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d'exercer pour une durée maximale de cinq mois. Il entend l'intéressé au plus tard dans un délai de trois jours suivant la décision de suspension. / Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel informe immédiatement de sa décision le président du conseil départemental compétent et saisit sans délai le conseil régional ou interrégional lorsque le danger est lié à une infirmité, un état pathologique ou l'insuffisance professionnelle du praticien, ou la chambre disciplinaire de première instance dans les autres cas. Le conseil régional ou interrégional ou la chambre disciplinaire de première instance statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. En l'absence de décision dans ce délai, l'affaire est portée devant le Conseil national ou la Chambre disciplinaire nationale, qui statue dans un délai de deux mois. A défaut de décision dans ce délai, la mesure de suspension prend fin automatiquement. / Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel informe également les organismes d'assurance maladie dont dépend le professionnel concerné par sa décision et le représentant de l'Etat dans le département. / Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel peut à tout moment mettre fin à la suspension qu'il a prononcée lorsqu'il constate la cessation du danger. Il en informe le conseil départemental et le conseil régional ou interrégional compétents et, le cas échéant, la chambre disciplinaire compétente, ainsi que les organismes d'assurance maladie et le représentant de l'Etat dans le département. / Le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme dont le droit d'exercer a été suspendu selon la procédure prévue au présent article peut exercer un recours contre la décision du directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel devant le tribunal administratif, qui statue en référé dans un délai de quarante-huit heures. / Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. / Le présent article n'est pas applicable aux médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes qui relèvent des dispositions de l'article L. 4138-2 du code de la défense. "
5. D'autre part, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen dispose en son article 1er : " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. ", en son article 6 : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. ", en son article 8 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. " et en son article 16 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. " et l'article 34 de la Constitution, dans sa rédaction applicable en l'espèce, dispose : " La loi fixe les règles concernant : - les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ; / - la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; / - la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ; - l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie. / La loi fixe également les règles concernant : - le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; / - la création de catégories d'établissements publics ; / - les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat ; / - les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé. / La loi détermine les principes fondamentaux : / - de l'organisation générale de la Défense nationale ; / - de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; / - de l'enseignement ; / - de la préservation de l'environnement ; / - du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; / - du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. / Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. / Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. / Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État. / Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. / Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une loi organique. "
6. Les dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique sont applicables au litige soumis à la cour par Mme A, elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et le moyen tiré de ce qu'elles seraient contraires aux droits et libertés garantis par les articles 1er, 6, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et l'article 34 de la constitution de 1958 pose une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Dès lors, il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A.
ORDONNE :
Article 1er : La question de la conformité des dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique aux droits et libertés garantis par la Constitution est transmise au Conseil d'Etat.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de Mme A jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité soulevée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A, à l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes et au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.
Fait à Lyon, le 18 juin 2024.
Le président de la 6ème chambre,
François Pourny
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition,
La greffière,
2 QPC
Code publication