Irrecevabilité
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 29 septembre 2021, M. C D, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2021 par lequel le directeur départemental du service d'incendie et de secours de la Drôme l'a suspendu de son activité de sapeur-pompier professionnel à compter du 15 septembre 2021 dans l'intérêt du service pour des raisons d'ordre public, afin de protéger la santé des personnes ;
2°) d'enjoindre au service départemental d'incendie et de secours de la Drôme de le réintégrer dans ses fonctions au jour du jugement et de lui reverser les sommes qu'il aurait dû percevoir durant la durée de sa suspension ;
3°) de mettre à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Drôme une somme de 1500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est recevable ;
- l'arrêté a été signé par une autorité incompétente ;
- des incertitudes scientifiques pèsent sur l'efficience des vaccins anti-covid 19 ; le renouvellement des autorisations de mise sur le marché délivrés aux vaccins anti-covid 19 pose question ;
- le service départemental d'incendie et de secours a décidé de lui infliger une quasi-sanction disciplinaire ; une décision peut constituer une sanction déguisée ; la suspension a été décidée sans qu'il ait commis la moindre faute ; aucune procédure disciplinaire n'a été engagée à son encontre ; il n'a pas bénéficié de la protection due à tout agent dans le cadre d'une procédure disciplinaire ;
- le dispositif mis en place le 5 août 2021 l'a été sans que des garanties suffisantes bénéficient aux agents publics soumis à cette obligation vaccinale ;
- la mesure de suspension sans rémunération ne se rattache pas à des procédures existantes en droit de la fonction publique ; elle n'aurait pas dû être infligée au regard de l'avis rendu par la section sociale du Conseil d'État le 19 juillet 2021 sur le projet de loi relatif à l'adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire ;
- la décision attaquée est disproportionnée par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi ;
- l'arrêté méconnaît le principe d'égalité de traitement entre agents publics.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2021, le service départemental d'incendie et de secours de la Drôme conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. D une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 26 août 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 19 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vial-Pailler,
- les conclusions de M. Argentin, rapporteur public,
- et les observations de Me Deschaume, substituant Me Vivien, représentant le service départemental d'incendie et de secours de la Drôme.
Considérant ce qui suit :
1. Par l'arrêté attaqué du 15 septembre 2021, la présidente du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Drôme a suspendu de ses fonctions M. C D, sergent-chef des sapeurs-pompiers professionnels, à compter du même jour dans l'intérêt du service pour des raisons d'ordre public lié à la protection de la santé des personnes.
2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la COVID-19 : [] 6° Les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d'incendie et de secours [] ". L'article 13 de la même loi dispose quant à lui que : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. [] 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication [] ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. [] B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la COVID-19 prévu par le même décret. [] III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I []. La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public ".
3. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. B A, directeur départemental des services d'incendie et de secours de la Drôme, qui disposait d'une délégation de signature à cette fin, consentie par arrêté régulièrement publié le 19 juillet 2021. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet acte, qui manque en fait, doit être écarté.
4. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que le dispositif mis en place le 5 août 2021 l'a été sans que des garanties suffisantes bénéficient aux agents publics soumis à cette obligation vaccinale n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé, M. D ne précisant pas quelles garanties auraient dû lui être accordées.
5. En troisième lieu, il résulte des dispositions citées au point 2 que toute personne soumise à l'obligation vaccinale qu'elles instituent et refusant de s'y conformer se place dans l'impossibilité de poursuivre son activité professionnelle et est suspendue sans rémunération. Il ressort des énonciations de l'arrêté en litige qu'il a été pris sur le fondement de ces dispositions. La circonstance que le Conseil d'Etat aurait émis des réserves lors de l'examen du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, qui ne constitue pas un moyen de droit, est sans incidence sur la légalité de la décision. Dès lors, M. D n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué serait dépourvu de base légale.
6. En quatrième lieu, il ressort des énonciations de la décision en litige qu'elle a été prise sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2. Cette mesure de suspension sans rémunération, que l'employeur met en œuvre lorsqu'il constate que l'agent public concerné ne peut plus exercer son activité en application du I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, s'analyse comme une mesure prise dans l'intérêt de la santé publique, destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautifs commis par cet agent, qui demeure par ailleurs soumis aux dispositions relatives aux droits et obligations conférés aux agents publics, particulièrement à celles de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983. Reposant sur un régime juridique propre, cette mesure de suspension, qui constate le non-respect par l'agent de l'obligation vaccinale imposée par le dispositif légal en vigueur, est limitée à la période au cours de laquelle l'agent s'abstient de se conformer aux obligations qui sont les siennes en application des dispositions précitées. Dès lors, elle n'a pas le caractère d'une sanction administrative nécessitant que soient mises en œuvre les garanties procédurales attachées à la procédure disciplinaire ou aux droits de la défense et n'a pas davantage la nature d'une mesure prise en considération de la personne justifiant le respect d'une procédure contradictoire préalable. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que cette suspension présenterait le caractère d'une sanction alors qu'il n'a commis aucune faute, qu'aucune procédure disciplinaire n'a été engagée à son encontre et qu'il n'a pas bénéficié des protections dues à tout agent dans le cadre d'une telle procédure, sont inopérants et doivent être écartés.
7. En cinquième lieu, M. D se prévaut du caractère non adapté, ni nécessaire, ni proportionné de la mesure critiquée, celle-ci ayant été prise en dépit d'incertitudes scientifiques et juridiques pesant sur l'efficience des vaccins anti-Covid 19, de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre agents publics, de l'absence de contrôle de constitutionnalité du dispositif de contrainte imposé aux sapeurs-pompiers. Il soutient que sa suspension ne serait pas justifiée au regard de l'évolution de la pandémie de Covid-19 et l'apparition de nouveaux variants résistants aux vaccins. Toutefois, le requérant conteste en réalité le principe même de l'obligation vaccinale posé, pour certaines catégories d'agents publics, par la loi du 5 août 2021. Le moyen que le requérant entend soulever, tiré de l'inconstitutionnalité de cette loi, n'a pas été présenté dans un mémoire distinct, conformément aux dispositions prévues par l'article R. 771-3 du code de justice administrative relatives à la question prioritaire de constitutionnalité. Il est, par suite, irrecevable et ne peut dès lors qu'être écarté. Au surplus, les vaccins contre la Covid-19 autorisés en France ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament, en considération d'un rapport bénéfice/risque positif. Si l'autorisation est conditionnelle, il ne s'ensuit pas pour autant que les vaccins auraient un caractère expérimental. En vertu du règlement (CE) n°507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n°726/2004 du Parlement européen et du Conseil, celle-ci ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif. La vaccination contre la Covid-19, dont l'efficacité au regard des objectifs rappelés au point 8 du jugement est établie en l'état des connaissances scientifiques, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires.
8. En sixième lieu, l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie coronavirus 19 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le 30 janvier 2020, puis pandémie le 11 mars 2020. En l'état des connaissances disponibles, la vaccination réduit de 95% le risque d'hospitalisation, réduit de plus de 60% le risque d'infection et les risques de circulation du virus sont également réduits lorsqu'une personne est vaccinée. En adoptant pour l'ensemble des professionnels des secteurs sanitaire et médico-social, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale, protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des patients et notamment des personnes vulnérables (immunodéprimées, âgées), protéger également la santé des professionnels de santé, qui sont particulièrement exposés au risque de contamination compte tenu de leur activité, et diminuer ainsi le risque de saturation des capacités hospitalières. Par ailleurs, l'article 13 de la même loi du 5 août 2021 prévoit que l'obligation de vaccination ne s'applique pas aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Ainsi, les dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021, fondement de la décision attaquée, ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique et proportionnée à ce but. Eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi, en prenant la décision contestée en application des articles 12, 13 et 14 de la loi du 5 août 2021, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Haute Savoie n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. L'obligation vaccinale et la liste des catégories de personnes qui en relèvent résultent de la loi elle-même et non de la décision en litige et il n'appartient pas au juge administratif, en dehors des cas et conditions prévus par le chapitre II bis du titre II de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, relatif à la question prioritaire de constitutionnalité, d'apprécier la conformité de dispositions législatives aux exigences constitutionnelles. D'autre part, si M. D entend soutenir que la discrimination qu'il allègue résulterait d'une situation de harcèlement moral qui aurait pour effet de dégrader ses conditions de travail, il se borne à des allégations générales et ne produit aucun élément de fait susceptible de faire présumer une atteinte au principe de non-discrimination. Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'une rupture d'égalité.
10. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'appelle pas de mesures d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre du service départemental d'incendie et de secours de la Drôme, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par service départemental d'incendie et de secours de la Drôme au même titre.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de M. D est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le service départemental d'incendie et de secours de la Drôme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C D et au service départemental d'incendie et de secours de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Vial-Pailler, président,
Mme Fourcade, première conseillère,
Mme Pollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024
Le président-rapporteur,
C. VIAL-PAILLER
L'assesseure la plus ancienne dans l'ordre du tableau,
F. FOURCADE
Le greffier,
G. MORAND
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2106488
Code publication