Irrecevabilité
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 19 avril 2022, Mme C D et M. B A, représentés par Me Couhault, demandent au tribunal :
1°) à titre principal, de prononcer la décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2018 et, à titre subsidiaire, de reconnaître leur bonne foi et de leur accorder, en conséquence, à titre gracieux, la décharge de cette même cotisation ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils ont présenté une réclamation contentieuse auprès de l'administration fiscale et auraient ainsi dû bénéficier du sursis de paiement ;
- le refus du crédit d'impôt modernisation du recouvrement aboutit à un assujettissement simultané à l'impôt sur les revenus non exceptionnels 2018 et à l'impôt sur les revenus 2020 qui méconnaît les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions des articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- compte tenu de leur bonne foi, ils auraient dû bénéficier du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement, conformément au point 70 du BOI-IR-PAS-50-10-30-10-70.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2022, le directeur départemental des finances publiques des Yvelines conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la contestation présentée par les requérants portant sur l'octroi du crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement relève du contentieux et, à ce titre, il est admis qu'ils auraient dû bénéficier du sursis de paiement de l'imposition contestée ;
- le moyen tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité protégé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe constitutionnel d'égalité devant les charges fiscales est irrecevable car il relève d'une question prioritaire de constitutionnalité et aurait donc dû faire l'objet d'un mémoire distinct ;
- le moyen tiré de la bonne foi des requérants n'est pas fondé.
Par ordonnance du 21 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 avril 2024.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghiandoni,
- et les conclusions de Mme Mathé, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. À l'issue d'un contrôle sur pièces, Mme D et M. A se sont vu notifier, par une proposition de rectification du 24 août 2021 établie selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, une cotisation d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de l'année 2018, assorties de majorations et pénalités qui a été mise en recouvrement le 31 octobre 2021. Par une réclamation du 5 avril 2022, Mme D et M. A ont sollicité le bénéfice d'un crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement au titre de l'année 2018 ainsi que la décharge de l'imposition en litige. Cette réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet gracieux le 6 avril 2022, puis d'une décision de rejet le 11 avril suivant. Par la requête visée ci-dessus, Mme D et M. A sollicitent la décharge de cette imposition ou sa remise gracieuse.
2. Aux termes du A du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 : " Les contribuables bénéficient, à raison des revenus non exceptionnels entrant dans le champ du prélèvement mentionné à l'article 204 A du code général des impôts, tel qu'il résulte de la présente loi, perçus ou réalisés en 2018, d'un crédit d'impôt modernisation du recouvrement destiné à assurer, pour ces revenus, l'absence de double contribution aux charges publiques en 2019 au titre de l'impôt sur le revenu. ". Aux termes du L de cet article : " 1. L'administration fiscale peut demander au contribuable des justifications sur tous les éléments servant de base à la détermination du montant du crédit d'impôt prévu au A ou du crédit d'impôt complémentaire prévu au 3 du E du présent II sans que cette demande constitue le début d'une procédure de vérification de comptabilité ou d'une procédure d'examen de situation fiscale personnelle. () Lorsque le contribuable s'est abstenu de répondre à la demande de justifications ou de compléments, l'administration fiscale peut remettre en cause le montant du crédit d'impôt prévu au A ou du crédit d'impôt complémentaire prévu au 3 du E selon les procédures d'imposition d'office prévues aux articles L. 65 et suivants du livre des procédures fiscales. / 3. Seuls les revenus déclarés spontanément par le contribuable sont pris en compte dans le calcul du montant du crédit d'impôt prévu au A et du crédit d'impôt complémentaire prévu au 3 du E. ".
3. En premier lieu, il est constant que Mme D et M. A n'ont pas déclaré leurs revenus au titre de l'année 2018 en dépit de la mise en demeure régulièrement adressée le 13 juillet 2021 et que leur imposition a été établie selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 66 de livre de procédure fiscale. Dans ces conditions, les revenus perçus en 2018 ne pouvaient, en application du 3 du L de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 précité, être pris en compte dans le calcul du montant du crédit d'impôt modernisation du recouvrement. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a refusé aux requérants le bénéfice du crédit d'impôt sollicité sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que les requérants qui n'ont pas déclaré spontanément leurs revenus se trouvent dans une situation différente.
4. En deuxième lieu, en vertu des stipulations de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".
5. Mme D et M. A font valoir, dans leur requête, que l'imposition à l'impôt sur le revenu dont ils ont fait l'objet au titre de l'année 2018 à la suite du contrôle sur pièces en litige est de nature à entrainer un " paiement excessif, voire confiscatoire " de l'impôt, en méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, les dispositions du paragraphe II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 précitées fixent les modalités de la transition entre les règles antérieures de paiement de l'impôt sur le revenu et le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu instauré à compter des revenus de l'année 2018, afin que les contribuables ne paient pas, en 2019, l'impôt sur le revenu dû à la fois sur les revenus de l'année 2018 et sur ceux de l'année 2019, en instituant un crédit d'impôt de modernisation du recouvrement ayant pour objet d'effacer le montant de l'impôt dû au titre de 2018 correspondant aux revenus non exceptionnels de cette année. Ainsi, les contribuables qui, comme Mme D et M. A, entrent dans le champ d'application du L du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 et n'ont ainsi pas bénéficié du crédit d'impôt de modernisation du recouvrement, n'ont pas pour autant subi une double imposition de leurs revenus à l'impôt sur le revenu au titre de la même année, ni n'ont été indûment assujettis à l'impôt. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'imposition en litige ou, à supposer le moyen soulevé, les dispositions du L du II de l'article 60 de la loi du 29 décembre 2016 précitées, méconnaissent les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. En troisième lieu, Mme D et M. A invoquent une " mesure de tolérance " prévue au paragraphe 70 des commentaires administratifs publiés au bulletin officiel des finances publiques le 10 février 2020 sous la référence BOI-IR-PAS-50-10-30-10 qui prévoit que : " Afin de prendre en compte les difficultés qu'ont pu rencontrer les contribuables face aux modalités particulières de la déclaration de revenus de l'année 2018, année de transition dans la mise en œuvre du PAS, les contribuables de bonne foi dont la déclaration de revenus de l'année 2018 présente des erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisances déclaratives révélées à l'occasion d'une procédure contraignante, pourront également, par mesure de tempérament, bénéficier du CIMR et, le cas échéant, du crédit d'impôt complémentaire. ".
7. A supposer que, ce faisant, ils puissent être regardés comme se prévalant du paragraphe n° 70 de la documentation administrative référencée BOI-IR-PAS-50-10-30-10, au demeurant postérieure à l'année d'imposition en litige, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ce paragraphe ne peut être lu indépendamment des paragraphes suivants de cette doctrine, qui excluent expressément toute mesure de tempérament pour les contribuables, tels que Mme D et M. A, faisant l'objet d'une procédure d'imposition d'office. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
8. En quatrième lieu, la circonstance que Mme D et M. A aient, lors de leur réclamation préalable, formulé une demande de sursis de paiement à laquelle l'administration fiscale a refusé de faire droit est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition et le bien-fondé de l'imposition en litige.
9. En dernier lieu, à supposer le moyen soulevé, en l'absence de présentation de leur moyen dans un mémoire distinct, Mme D et M. A ne sont pas recevables à critiquer la constitutionnalité des dispositions précitées de la loi du 29 décembre 2016, qui relève d'une question prioritaire de constitutionnalité.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par Mme D et M. A ne peut qu'être rejetée dans toutes ses conclusions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D et M. A est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme C D, M. B A et au directeur départemental des finances publiques des Yvelines.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Ouardes, président,
Mme Bartnicki, première conseillère,
Mme Ghiandoni, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.
La rapporteure,
Signé
S. Ghiandoni
Le président,
Signé
P. OuardesLa greffière,
Signé
V. Retby
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.