Tribunal administratif de Grenoble

Jugement du 4 juin 2024 n° 2107098

04/06/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2021, Mme B A, doit être regardée comme demandant au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 23 septembre 2021 par laquelle le président du centre intercommunal d'action sociale (CIAS) de la communauté d'agglomération du pays voironnais l'a suspendue de ses fonctions et interrompu le versement de sa rémunération ;

2°) d'enjoindre au CIAS de la communauté d'agglomération du pays Voironnais de rétablir le versement de son traitement, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge du CIAS de la communauté d'agglomération du pays voironnais une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est fondée sur le décret n°2021-1059 du 7 août 2021 lui-même illégal ;

- la décision attaquée constitue une sanction et a été édictée en méconnaissance des garanties disciplinaires prévues à l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- elle méconnaît l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- elle méconnaît l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2021, le CIAS de la communauté d'agglomération du pays voironnais, représentée par Me Verne, conclut à l'irrecevabilité de la requête à titre principal, et à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable en ce qu'elle tend à obtenir la suspension de l'arrêté ;

- aucun des moyens soulevés par Mme A n'est fondé.

Par ordonnance du 26 août 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 19 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1 juin 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C,

- les conclusions de M. Argentin, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Par décision du 23 septembre 2021, le président du CIAS de la communauté d'agglomération du pays voironnais a suspendu de ses fonctions sans traitement Mme A, titulaire du grade d'agent social principal de 2ème classe, qui exerce les fonctions d'auxiliaire de vie au sein du service de l'aide à domicile aux personnes âgées et handicapées (ADPAH) dépendant de ce centre, à compter du 29 septembre 2021 jusqu'à production par l'intéressée d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination répondant aux conditions définies par le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié. Par la présente requête, Mme A doit être regardée comme demandant l'annulation de la décision du 23 septembre 2021.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la COVID-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; () ". L'article 13 de la même loi dispose quant à lui que : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. () 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication () ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. () B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la COVID-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (). La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public ". Il résulte de ces dispositions que toute personne soumise à l'obligation vaccinale qu'elles instituent et refusant de s'y conformer se place dans l'impossibilité de poursuivre son activité professionnelle.

Sur le vice de procédure entachant d'illégalité la sanction disciplinaire :

3. La requérante soutient que la décision attaquée a le caractère d'une sanction et a été édictée en méconnaissance des garanties disciplinaires prévues à l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Il ressort des énonciations de la décision en litige que la suspension infligée à Mme A n'est pas fondée sur l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, mais sur l'article 14 de la loi du 5 août 2021. Il s'agit d'une mesure spécifique prise dans l'intérêt du service pour des raisons d'ordre public afin de protéger la santé des personnes. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait l'article 30 de la loi précitée en ce qu'elle ne prévoit pas de limites de temps est inopérant. En tout état de cause, la décision attaquée précise que la suspension des fonctions prendra fin lors de la production par la requérante d'un justificatif de schéma vaccinal complet et la suspension a donc bien été prononcée avec une limite de temps. Par ailleurs, lorsque l'autorité administrative suspend un agent public de ses fonctions ou de son contrat de travail en application des dispositions contestées et interrompt, en conséquence, le versement de sa rémunération, elle ne prononce pas une sanction mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité. Cette mesure, qui ne révèle aucune intention répressive, ne saurait, dès lors, être regardée comme une sanction déguisée. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que cette suspension présenterait le caractère d'une sanction qui a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant et doit être écarté.

Sur le moyen selon lequel le conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé la constitutionnalité de la loi :

4. La requérante conteste le principe même de l'obligation vaccinale posé, pour certaines catégories d'agents publics, par la loi du 5 août 2021. Le moyen qu'elle entend soulever, tiré de l'inconstitutionnalité de cette loi, n'a pas été présenté dans un mémoire distinct, conformément aux dispositions prévues par l'article R. 771-3 du code de justice administrative relatives à la question prioritaire de constitutionnalité. Il est, par suite, irrecevable et ne peut dès lors qu'être écarté.

Sur l'illégalité du décret du 7 août 2021 :

5. Le moyen selon lequel le décret n°2021-1059 7 août 2021, qui vient modifier le décret n°2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise, est illégal est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Au demeurant, le principe de l'obligation vaccinale ne résulte pas du décret en cause, mais uniquement de la loi du 5 août 2021, dont l'article 12 rappelé ci-dessus a institué une obligation de vaccination contre la Covid-19 pour les professionnels au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l'exercice de leur activité professionnelle ainsi qu'à celles qui travaillent au sein des mêmes locaux, obligation qui s'impose, en particulier, aux professionnels médicaux et paramédicaux exerçant en établissement ou en libéral.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir, que les conclusions à fin d'annulation présentées par la requérante doivent être rejetées. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées aux fins d'injonctions comprenant, notamment, celles tendant au reversement des salaires sur la période en litige.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CIAS de la communauté d'agglomération du pays voironnais, qui n'est pas la partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par le centre intercommunal d'action sociale (CIAS) de la communauté d'agglomération du pays voironnais.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre intercommunal d'action sociale (CIAS) de la communauté d'agglomération du pays voironnais présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et au centre intercommunal d'action sociale la communauté d'agglomération du pays voironnais.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. C, président- rapporteur,

Mme Frapolli, première conseillère,

Mme Fourcade, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.

Le président-rapporteur,

C. C

L'assesseur la plus ancienne dans l'ordre du tableau,

I. FRAPOLLI

Le greffier,

G. MORAND

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2107098

Code publication

C