Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 novembre 2023 et le 12 mars 2024, M. A B, représenté par Me Demars, doit être regardé comme demandant au tribunal :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation de l'arrêté du 1er mars 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant une interdiction de retour pour une durée de deux ans ;
2°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'Intérieur et des Outre-mer de lui envoyer une autorisation spéciale ou un visa l'autorisant à entrer sur le territoire français, dans un délai de quarante-huit heures, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) d'enjoindre sans délai au préfet du Puy-de-Dôme de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de refus d'abrogation de l'arrêté du 1er mars 2023 méconnaît les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit à un procès équitable ;
- elle méconnaît l'article 8 de la directive européenne du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales.
Par un mémoire distinct, enregistré le 27 novembre 2023, M. B demande au tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2, L. 612-3 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors qu'elles ne font pas obstacle au prononcé d'une mesure d'éloignement sans délai avec interdiction de retour alors que l'intéressé est convoqué devant une juridiction pénale.
M. B a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 et don préambule ;
- la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la directive 2016/343/UE du Parlement et du Conseil du 9 mars 2016 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Nivet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 1er mars 2023, le préfet du Puy-de-Dôme a prononcé à l'encontre de M. B, ressortissant algérien, une obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Au cours du mois de juin 2023, M. B a été éloigné vers son pays d'origine. Par courrier du 10 juillet 2023, il a demandé au préfet du Puy-de-Dôme d'abroger les décisions du 1er mars 2023 au motif qu'il devait comparaître le 29 novembre 2023 dans le cadre d'une affaire correctionnelle à laquelle il souhaitait être personnellement présent. Le silence gardé par l'administration sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. Par la présente requête, M. B demande au tribunal d'annuler cette décision implicite de rejet et, par un mémoire distinct, de transmettre au Conseil d'Etat, la question de la constitutionnalité des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2, L. 612-3 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 en tant qu'ils ne font pas obstacle au prononcé d'une mesure d'éloignement sans délai avec interdiction de retour alors que l'intéressé est convoqué devant une juridiction pénale.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
3. Les articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2, L. 612-3 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile régissent les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixant un délai de départ volontaire et fixant une interdiction de retour sur le territoire français. Le litige soulevé par M. B est relatif à une décision de refus d'abrogation d'une interdiction de retour sur le territoire français. Le régime de l'abrogation de l'interdiction de retour est régi par les dispositions L. 613-7 à L. 613-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les dispositions contestées au regard de la Constitution ne sont pas, par conséquent, applicables au présent litige. Ainsi, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2, L. 612-3 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. En premier lieu, l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle () ".
5. Le droit à un procès équitable et à un recours effectif garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'implique pas nécessairement que l'étranger soit autorisé à demeurer sur le territoire français pour répondre des procédures juridictionnelles qui le concernent dès lors, notamment, qu'il dispose de la faculté de se faire représenter par un conseil. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées au point précédent doit être écarté.
6. En second lieu, l'article 8 de la directive n° 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 prévoit que : " 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d'assister à leur procès. / 2. Les États membres peuvent prévoir qu'un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l'innocence du suspect ou de la personne poursuivie peut se tenir en son absence, pour autant que : / a) le suspect ou la personne poursuivie ait été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d'un défaut de comparution; ou / b) le suspect ou la personne poursuivie, ayant été informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté, qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit par l'État. () ". Il résulte de l'arrêt du 15 septembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'affaire C-420/20 que le paragraphe 2 de l'article 8 de la directive (UE) n° 2016/343 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation d'un Etat membre permettant la tenue d'un procès en l'absence du suspect ou de la personne poursuivie, alors que cette personne se trouve en dehors de cet Etat membre et dans l'impossibilité d'entrer sur le territoire de celui-ci, en raison d'une interdiction d'entrée adoptée à son égard par les autorités compétentes dudit État membre.
7. Aux termes de l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. ". Il résulte de ces dispositions qu'il est loisible à tout étranger résidant hors de France et faisant l'objet d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'en solliciter l'abrogation et ainsi, de demander à être légalement autorisé à revenir en France pour assister à son procès.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. B a été éloigné à destination de l'Algérie le 13 juin 2023 en exécution de l'arrêté du 1er mars 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans. Il a été convoqué à une audience du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand devant se tenir le 29 novembre 2023. Conformément aux dispositions précitées de l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il a sollicité, le 10 juillet 2023, l'abrogation de l'interdiction de retour sur le territoire français pour assister à son procès. Le requérant soutient que le refus implicite de sa demande méconnaît les stipulations de l'article 8 de la directive 2016/343/UE du Parlement et du Conseil du 9 mars 2016. Toutefois, ces dispositions, telles qu'interprétées par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union Européenne, concernent le déroulement des procédures pénales et sont sans incidence sur la possibilité pour un Etat membre de prendre des mesures de police à l'encontre de ressortissants étrangers en situation irrégulière. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaît l'article 8 de la directive du 9 mars 2016 doit être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. B doit être rejetée, et, par voie de conséquence, ses conclusions présentées à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.
Article 2 : La requête de M. B est rejetée.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera donnée pour information au préfet du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bentéjac, présidente,
M. Debrion, premier conseiller,
M. Nivet, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.
Le rapporteur,
C. NIVET
La présidente,
C. BENTÉJAC La greffière,
C. PETIT
La République mande et ordonne au préfet du Puy-de-Dôme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°230260
Code publication