Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 29 mai 2024 n°21PA05115

29/05/2024

Non renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A C a fait l'objet, au titre des années 2003 à 2011, de compléments d'imposition à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales, assortis de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses.

Par un jugement n° 1905200 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. C.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le numéro 21PA05115 les 15 septembre et 12 octobre 2021, le 13 janvier 2022, les 26 mai et 26 septembre 2023 et le 15 avril 2024, M. C, représenté par Me Planchat, avocat, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 15 juillet 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de désigner un expert informatique en vue de faire remettre les fichiers informatiques saisis au domicile de M. B et les extractions effectuées par l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) ayant permis d'établir les fiches de synthèse BUP 5090108191 et BUP 5090288548, de vérifier que ces fiches ont été confectionnées à partir de ces fichiers et en conformité avec eux, et de donner un avis sur la fiabilité des données mentionnées dans ces fiches ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont manqué à leur office en n'ordonnant pas, et en ne versant pas au contradictoire, les données informatiques ayant permis l'établissement par l'administration des fiches de synthèse ayant permis l'établissement des redressements en litige ;

- la proposition de rectification du 20 décembre 2013 est insuffisamment motivée, en tant qu'elle vise les redressements issus des revenus tirés de la détention de participations dans, ou de la distribution de bénéfices par, six sociétés dont M. C est gérant ou associé ;

- les impositions 2003 à 2008, afférentes aux revenus d'avoirs détenus sur des comptes non déclarés ouverts en Suisse, étaient prescrites à la date d'envoi des propositions de rectification ; l'arrêt de la Cour du 29 novembre 2018 n° 17PA00880 est sur ce point revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- s'agissant des revenus d'avoirs sur des comptes à l'étranger, les dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ne peuvent être invoquées pour prolonger le délai de reprise, l'administration disposant d'éléments suffisants lui permettant d'établir les insuffisances d'imposition en litige avant l'ouverture de l'information judiciaire ; les dispositions du 4ème alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peuvent être invoquées pour prolonger le droit de reprise, l'arrêt de la Cour du 29 novembre 2018 n° 17PA00880 étant revêtu de l'autorité de la chose jugée au titre des années 2008 à 2011 et, pour ces années et l'année 2006, la fiche de synthèse individuelle BUP 5090108191 (profil 3456 BB) ne faisant apparaître aucune variation d'avoirs, et l'administration n'établissant pas son obligation fiscale à raison des avoirs sur les comptes ouverts au nom de la société Thrumbo Management Corp. ;

- s'agissant des autres revenus, non visés par la plainte fiscale, les dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ne peuvent être invoquées pour prolonger le droit de reprise ;

- les éléments à l'origine des redressements ayant été obtenus dans des conditions illicites tant au regard de l'entraide judiciaire prévue par la convention franco-suisse et des prérogatives légales de l'administration, que des conditions d'exercice par cette dernière du droit de communication, ils ne peuvent être regardés comme probants et n'ont pu dès lors servir de fondement aux impositions en litige ;

- les fiches individuelles établies par l'administration à la suite du retraitement des données transmises par l'autorité judiciaire ne peuvent lui être opposées ;

- la détermination des bases d'imposition a méconnu les dispositions de l'article 1649 A du code général des impôts ; les bases d'imposition ne pouvaient être déterminées à partir de la seule extrapolation des données des comptes litigieux relatives à l'année 2006 ; il ne peut être regardé comme ayant utilisé les comptes en cause au cours des années en litige ; il ne peut être imposé à raison des avoirs sur les comptes détenus par la société Thrumbo Management Corp. ;

- les pénalités appliquées sont dépourvues de fondement et ont été appliquées de manière discriminatoire, au regard des personnes ayant régularisé leur situation quant aux comptes ouverts à l'étranger et non déclarés, en méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1 du 1er protocole additionnel à cette convention.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 février 2022 et le 13 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.

Un mémoire distinct, portant question prioritaire de constitutionnalité, présenté pour M. C par Me Planchat, a été enregistré le 27 décembre 2023. M. C demande à la Cour de transmettre la question ainsi soulevée au Conseil d'Etat afin qu'elle soit renvoyée au Conseil Constitutionnel.

Il soutient que l'application du coefficient de 1,25, sur le fondement de l'article 158,7,2° du code général des impôts, à l'assiette des suppléments d'impositions, établis au titre des années 2009 et 2010 sur le fondement des articles 109,1 1° et 111 c. du code général des impôts à raison des revenus réputés distribués par la société à responsabilité limitée (SARL) 3I, méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, l'intervention de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France, constituant une circonstance de droit nouvelle autorisant le réexamen de la question.

Par des observations en réponse au mémoire distinct mentionné, enregistrées le 6 mai 2024, le ministre des finances, de la relance et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à transmission.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- la décision du Conseil Constitutionnel n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010 ;

- l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux (...) ".

2. Alors que la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 158,7,2°, seules en cause dans le présent litige, a été reconnue par la décision du Conseil Constitutionnel n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010, visée ci-dessus, l'arrêt invoqué de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a trait aux dispositions, d'objet distinct, de l'article 158,7,1°, et réserve au demeurant les situations exclusives de bonne foi, ne peut être regardé comme une circonstance de droit nouvelle autorisant le réexamen de la question de constitutionnalité en litige. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée doit être regardée comme étant dépourvue de caractère sérieux.

3. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C.

O R D O N N E :

Article 1er: Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité de M. C.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A C et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Fait à Paris, le 29 mai 2024.

Le président de la 9ème chambre,

S. CARRERE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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