Cour administrative d'appel de Marseille

Arrêt du 23 mai 2024 n° 23MA02556

23/05/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C B, épouse A a demandé au tribunal administratif de Marseille :

1°) d'annuler les poursuites diligentées à son encontre au titre de l'assiette et du recouvrement de l'impôt ;

2°) à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint au directeur des services fiscaux des Bouches-du-Rhône et au directeur général des finances publiques de lui communiquer, outre les documents d'assiette et de recouvrement afférents aux impositions mentionnées dans sa réclamation, les documents ayant permis les prises de garantie la concernant (bordereaux d'inscription), les notifications ou significations des avis de prise de garantie la concernant et les éventuels actes de renouvellement de ces garanties, avec significations ou notifications de ces derniers.

Mme B a également demandé par un mémoire distinct que soit transmise à la Cour de Cassation ou au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1413 du code civil.

Par une ordonnance n° 2104671 du 21 août 2023, la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Marseille a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B épouse A et a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 octobre 2023, Mme B épouse A, représentée par Me Marcou, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2104671 du 21 août 2023 de la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer le dégrèvement total des impositions qu'elle entend contester et le remboursement des prélèvements ou paiements forcés ;

3°) d'enjoindre à l'administration de lui communiquer l'intégralité des documents demandés en première instance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a a pas reçu la décision de rejet de sa réclamation préalable, qui n'a pas été adressée à son mandataire ;

- l'ordonnance attaquée n'étant pas signée, elle est réputée inexistante ;

- l'administration n'ayant pas répondu à sa réclamation d'assiette, aucune tardiveté ne pouvait être opposée à ses conclusions d'assiette ;

- elle est fondée à se prévaloir de la solidarité résultant de l'article 1413 du code civil ;

- le refus de transmission de sa question prioritaire de constitutionnalité n'est pas motivé et n'a pas été pris sans délai, ce qui entache d'irrégularité l'ordonnance ;

- elle conteste l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'impôt sur le revenu des années 1990 à 2000 et produira ses moyens après réception des pièces demandées ;

- les vérifications de comptabilité et les vérifications personnelles sont irrégulières en l'absence de notification des avis de vérification, en méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, et des avis de mise en recouvrement.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête et à la condamnation de Mme B épouse A à une amende pour recours abusif d'un montant de 10 000 euros.

Il soutient que :

- la requête d'appel est tardive ;

- c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de Mme B épouse A pour irrecevabilité manifeste, les conclusions d'assiette et de recouvrement étant tardives ;

- en outre, la réclamation d'assiette était dénuée de précisions et la requérante n'est pas solidaire au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- le juge administratif est incompétent pour statuer sur la régularité d'une procédure de saisie immobilière ;

- il est fondé à se prévaloir de l'autorité de chose jugée des décisions rendues par le juge administratif et le juge judiciaire.

Par un mémoire distinct, enregistré le 27 février 2024, Mme B, épouse A demande à la Cour, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1413 du code civil.

Elle soutient que ces dispositions ne sont pas conformes aux alinéas 3, 10 et 11 du Préambule de la Constitution, à l'objectif de valeur constitutionnelle consistant en la possibilité de toute personne de disposer d'un logement décent et au principe de responsabilité personnelle résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Une note en délibéré a été enregistrée le 15 mai 2024 pour Mme B, épouse A.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B, épouse A a demandé au tribunal administratif de Marseille l'annulation des poursuites diligentées à son encontre au titre de l'assiette et du recouvrement de l'impôt, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint au directeur des services fiscaux des Bouches-du-Rhône et au directeur général des finances publiques de lui communiquer, outre les documents d'assiette et de recouvrement afférents aux impositions mentionnées dans sa réclamation, les documents ayant permis les prises de garantie la concernant (bordereaux d'inscription), les notifications ou significations des avis de prise de garantie la concernant et les éventuels actes de renouvellement de ces garanties, avec significations ou notifications de ces derniers, et à ce que soit transmise à la Cour de Cassation ou au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1413 du code civil. Elle relève appel de l'ordonnance du 21 août 2023 par laquelle la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable, en application des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 742-5 du code de justice administrative : " La minute de l'ordonnance est signée du seul magistrat qui l'a rendue ".

3. La minute de l'ordonnance est signée par la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Marseille conformément aux dispositions précitées. Le moyen tiré de l'inexistence de cette ordonnance, faute de signature, manque ainsi en fait.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1691 bis du code général des impôts, reprenant les dispositions de l'article 1685 du même code, " I. Les époux () sont tenus solidairement au paiement : 1° De l'impôt sur le revenu lorsqu'ils font l'objet d'une imposition commune () ". Aux termes de l'article 1413 du code civil : " Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu ".

5. En application de ces dispositions, lorsque des époux sont mariés sous le régime de la communauté légale, et sauf le cas de fraude du débiteur et de mauvaise foi du créancier, toute dette fiscale née pendant la communauté du chef d'un époux constitue une dette de la communauté, dont le recouvrement peut être poursuivi sur les biens communs, alors même qu'aucune disposition de la loi fiscale ne prévoirait que les époux sont tenus solidairement au paiement de l'impôt en cause, et sauf la récompense éventuellement due à la communauté. Si l'article 1413 du code civil permet ainsi à l'administration de poursuivre sur les biens de la communauté le recouvrement d'une dette fiscale née du chef d'un époux en raison de son activité professionnelle, comme c'est le cas en l'espèce en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, il n'a ni pour objet ni pour effet d'instituer une solidarité au paiement de cette dette en matière de recouvrement ou de transformer l'imposition personnelle de l'un des époux en imposition commune en matière d'assiette.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme B, épouse A n'est pas recevable à contester, en matière d'assiette, la taxe sur la valeur ajoutée mise à la charge de son époux. En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, Mme B, épouse A n'identifie même pas les impositions communes aux époux qu'elle entendrait contester, ce qu'il n'appartient pas au juge de l'impôt de faire à sa place. L'ensemble des conclusions d'assiette est ainsi irrecevable.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 281-4 du livre des procédures fiscales : " Le chef de service ou l'ordonnateur mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 281 se prononce dans un délai de deux mois à partir du dépôt de la demande, dont il doit accuser réception () Si aucune décision n'a été prise dans ce délai ou si la décision rendue ne lui donne pas satisfaction, le redevable ou la personne tenue solidairement ou conjointement doit, à peine de forclusion, porter l'affaire devant le juge compétent tel qu'il est défini à l'article L. 281. Il dispose pour cela de deux mois à partir : a) soit de la notification de la décision du chef de service ou de l'ordonnateur mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 281 () La procédure ne peut, à peine d'irrecevabilité, être engagée avant ces dates ".

8. A supposer qu'en faisant valoir qu'elle n'aurait pas reçu la décision de rejet de sa réclamation en matière de recouvrement, Mme B, épouse A entend contester la tardiveté opposée à ses conclusions en matière de recouvrement par le premier juge, il résulte de l'instruction que la réclamation du 5 juin 2019 présentée par l'intéressée a été rejetée le 9 août 2019 par une décision qui mentionnait les voies et délais de recours applicables en matière de recouvrement, notifiée à l'adresse personnelle de l'intéressée par lettre recommandée, distribuée le 27 août 2019. Aucune disposition ni aucun principe ne subordonne le déclenchement du délai de recours à la notification de la décision de rejet de l'opposition à poursuites au mandataire du contribuable lorsque cette décision a été régulièrement notifiée au contribuable, alors de plus qu'en l'espèce, il ressort de la réclamation qu'elle ne mentionnait aucune élection de domicile. Les conclusions en recouvrement présentées par la demande enregistrée le 26 mai 2021 au greffe du tribunal administratif de Marseille étaient ainsi tardives.

9. En quatrième lieu, lorsque, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité qu'il a refusé de transmettre, un tribunal administratif a entaché sa décision d'irrégularité, le juge d'appel annule seulement la décision attaquée devant lui en tant qu'elle a statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Mme B, épouse A ne peut ainsi utilement se prévaloir d'irrégularités dans le traitement de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a présentée devant le tribunal administratif de Marseille pour demander l'annulation de l'ordonnance attaquée. Au demeurant, et en tout état de cause, d'une part, après avoir constaté et motivé l'irrecevabilité des conclusions présentées par Mme B, épouse A pour estimer que sa demande était manifestement irrecevable, le premier juge a jugé que cette demande devait être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité. L'ordonnance attaquée est ainsi suffisamment motivée. D'autre part, dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité a été effectivement examinée et qu'elle était sans incidence sur la solution du litige compte tenu de l'irrecevabilité de la demande, la circonstance que cette question n'a pas été examinée sans délai est en tout état de cause sans incidence.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre à la requête d'appel ni d'enjoindre à l'administration fiscale de communiquer les documents demandés, que Mme B épouse A n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 7ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

11. Par un mémoire distinct, Mme B, épouse A demande que soit transmise au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1413 du code civil, en faisant valoir qu'il n'est pas conforme aux alinéas 3, 10 et 11 du préambule de la Constitution, à l'objectif de valeur constitutionnelle consistant en la possibilité de toute personne de disposer d'un logement décent et au principe de responsabilité personnelle résultant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Dès lors que les conclusions de Mme B, épouse A en matière d'assiette et de recouvrement sont irrecevables, il n'y a pas lieu de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité, qui est sans incidence sur l'issue du litige, sans qu'il soit besoin d'examiner sa recevabilité.

Sur l'amende pour recours abusif :

12. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".

13. La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions du ministre tendant à ce que Mme B, épouse A soit condamnée à une telle amende ne peuvent qu'être rejetées. Toutefois, la requête de Mme B, épouse A, qui n'a d'autre objet que de retarder encore une procédure de saisie immobilière engagée devant le juge judiciaire à la suite d'un commandement émis depuis le 6 octobre 2004, en présentant des conclusions d'assiette et de recouvrement manifestement irrecevables, présente un caractère abusif au sens de l'article R. 741-12 du code de justice administrative. Il y a ainsi lieu de condamner Mme B, épouse A à payer une amende de 3 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B, épouse A demande au titre des frais qu'elle a exposés.

D E C I D E :

Article 1 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B, épouse A.

Article 2 : La requête de Mme B, épouse A est rejetée.

Article 3 : Les conclusions reconventionnelles du ministre sont rejetées.

Article 4 : Mme B, épouse A est condamnée à une amende de 3 000 euros, en application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C B, épouse A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer et au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mai 2024.

Code publication

C