Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 juillet 2022 et 20 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, La Cimade, service œcuménique d'entraide et la Ligue des droits de l'Homme demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction INTV2139319J du 12 janvier 2022 du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer relative au renforcement de la lutte contre la délinquance et l'immigration clandestine à Mayotte ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et au ministre des outre-mer de prendre les mesures d'organisation nécessaires pour assurer le respect du droit européen dans un délai de trois mois à compter de la décision à venir ;
3°) de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation des articles 13, 15 à 18 de la directive 2008/115/UE du 16 décembre 2008 au regard des articles 1er, 4, 6, 19 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 61-1 et 73 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 ;
- le décret n° 2023-1167 du 11 décembre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les associations La Cimade et Ligue des droits de l'Homme demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'instruction INTV2139319J du 12 janvier 2022 du ministre de l'intérieur et du ministre des outre-mer relative au renforcement de la lutte contre la délinquance et l'immigration clandestine à Mayotte. Eu égard à leur argumentation et aux moyens qu'elles soulèvent, les requérantes doivent être regardées comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes II.B, II.D et III de cette instruction.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article L. 551-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, comprennent les prestations et l'allocation prévues aux chapitres II et III ". En vertu de l'article L. 552-1 du même code : " Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : / 1° Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 2° Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code ". En vertu de l'article L. 553-1 du même code : " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L. 551-9 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources. Le versement de cette allocation est ordonné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". S'agissant toutefois des demandeurs d'asile dont la demande est enregistrée à Mayotte, l'article L. 591-4 du même code prévoit que : " Pour l'application du présent livre à Mayotte : / 1° Le 1° de l'article L. 552-1 n'est pas applicable ; 2° L'article L. 553-1 est ainsi rédigé : / " Art. L. 553-1. - Le demandeur d'asile dont la demande est enregistrée à Mayotte peut bénéficier d'un hébergement dans une structure mentionnée au 2° de l'article L. 552-1 et des aides matérielles. " ; / 3° Les articles L. 553-2 et L. 553-3 ne sont pas applicables ". Ces dispositions adaptent ainsi à la situation particulière de Mayotte le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en prévoyant, d'une part, que l'hébergement de ces personnes n'est pas assuré par des centres d'accueil mais par certaines structures d'hébergement qu'elles énumèrent et, d'autre part, que les dispositions relatives à l'allocation pour demandeur d'asile ne sont pas applicables et que s'y substitue le versement " d'aides matérielles ".
4. Par les dispositions du paragraphe II.D de l'instruction attaquée, dont les requérantes demandent l'annulation pour excès de pouvoir, les ministres de l'intérieur et des outre-mer se sont bornés à évoquer les nouvelles modalités d'enregistrement et d'instruction des demandes d'asile à Mayotte, telles qu'envisagées dans un projet de décret à publier, en précisant les délais applicables, les documents à fournir ainsi que les formalités à respecter pour les demandeurs et l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Toutefois, l'instruction contestée, qui ne régit pas les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile à Mayotte, ne comporte aucune référence aux dispositions de l'article L. 591-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas pour objet de prescrire à ses destinataires de mettre en œuvre ces dispositions. Dès lors, les dispositions de cet article L. 591-4, dont les requérantes contestent la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, à savoir le droit constitutionnel d'asile proclamé par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le droit à la dignité et le droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants résultant du premier alinéa du même Préambule ainsi que l'article 73 de la Constitution, ne peuvent être regardées comme applicables au présent litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérantes.
Sur la légalité de l'instruction attaquée :
En ce qui concerne les dispositions du paragraphe II.B de l'instruction relatives à la procédure de refus ou de retrait de titre de séjour :
5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires () qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret ". En vertu de l'article R. 312-7 du même code : " Les instructions ou circulaires qui n'ont pas été publiées sur l'un des supports prévus par les dispositions de la présente section ne sont pas applicables et leurs auteurs ne peuvent s'en prévaloir à l'égard des administrés. / A défaut de publication sur l'un de ces supports dans un délai de quatre mois à compter de leur signature, elles sont réputées abrogées ". Enfin, en vertu de l'article R. 312-8 du même code : " () les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont publiées sur un site relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation ".
6. Par l'instruction attaquée, les ministres de l'intérieur et des outre-mer ont invité le préfet de Mayotte à faire usage de la possibilité de retirer ou de refuser les titres de séjour aux ressortissants étrangers qui troublent l'ordre public, " conformément à la circulaire du 29 septembre 2020 du ministre de l'intérieur ". Si cette circulaire n'a pas fait l'objet d'une publication en vertu des dispositions du code des relations entre le public et l'administration citées au point précédent, cette circonstance est en tout état de cause sans incidence sur la légalité de l'instruction attaquée, les dispositions du code des relations entre le public et l'administration n'ayant pas pour effet d'interdire à l'auteur d'une circulaire ou d'une instruction de réitérer des circulaires ou instructions antérieures. Par suite, le moyen tiré de ce que l'instruction attaquée serait entachée d'illégalité au motif qu'elle fait référence à une circulaire n'ayant pas fait l'objet d'une publication ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne les dispositions du paragraphe II.B de l'instruction relatives au régime des mesures d'éloignement :
7. D'une part, aux termes de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ". Selon l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. / Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. / Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ". En vertu de l'article 13 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier : " 1. Le ressortissant concerné d'un pays tiers dispose d'une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l'article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d'indépendance. / 2. L'autorité ou l'instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l'article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l'exécution, à moins qu'une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. / 3. Le ressortissant concerné d'un pays tiers a la possibilité d'obtenir un conseil juridique, une représentation juridique et, en cas de besoin, une assistance linguistique. / 4. Les États membres veillent à ce que l'assistance juridique et/ou la représentation nécessaires soient accordées sur demande gratuitement conformément à la législation ou à la réglementation nationale applicable en matière d'assistance juridique et peuvent prévoir que cette assistance juridique et/ou cette représentation gratuites sont soumises aux conditions énoncées à l'article 15, paragraphes 3 à 6, de la directive 2005/85/CE ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 651-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, spécialement applicable à Mayotte : " L'étranger qui demande au tribunal administratif l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet peut assortir son recours d'une demande de suspension de son exécution, sans préjudice des dispositions du 1° de l'article L. 761-9. / En conséquence, les articles L. 614-1 à L. 614-18, à l'exception de l'article L. 614-13, ne sont pas applicables à Mayotte. Toutefois, les dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 614-11 sont applicables à la tenue de l'audience mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 522-1 du code de justice administrative lorsque l'étranger a saisi le tribunal administratif d'une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code ". Enfin, aux termes de l'article L. 761-9 du même code : " L'éloignement effectif de l'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut intervenir à Mayotte : / 1° Si l'autorité consulaire le demande, avant l'expiration du délai d'un jour franc à compter de la notification de cette décision ; / 2° Si l'étranger a saisi le tribunal administratif d'une demande sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d'une audience publique en application du deuxième alinéa de l'article L. 522-1 du même code, ni, si les parties ont été informées d'une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande ".
9. En premier lieu, l'instruction attaquée rappelle, conformément aux dispositions des articles L. 651-6 et L. 761-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'elle cite, que le recours contre une décision portant obligation de quitter le territoire français n'est revêtu d'un caractère suspensif que lorsque l'étranger en fait la demande au juge des référés, cette décision pouvant ainsi être exécutée si l'étranger n'a introduit qu'un recours en annulation sans l'assortir d'une demande de suspension de son exécution. Si le recours contre l'obligation de quitter le territoire français est par lui-même dépourvu de caractère suspensif, l'article L. 761-9 prévoit, lorsque la personne qui en fait l'objet saisit le juge des référés du tribunal administratif de la procédure de référé prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative, que la mise en œuvre des mesures d'éloignement forcé est différée jusqu'à ce que le juge ait informé les parties de la tenue ou non d'une audience ou, en cas de tenue d'une audience, jusqu'à ce qu'il ait statué, de telle sorte que les étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français soient mis à même d'exercer utilement les voies de recours qui leur sont ouvertes, ainsi que l'impliquent les exigences découlant du droit au recours effectif garanti tant par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 13 de la directive du 16 décembre 2008. Ces dispositions garantissent ainsi aux étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement forcé à Mayotte le droit d'exercer un recours effectif susceptible de permettre l'intervention du juge en temps utile, alors même que le recours dirigé contre cette mesure est par lui-même dépourvu de caractère suspensif. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions des articles L. 651-6 et L. 761-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaîtraient le droit à un recours effectif et, par conséquent, que l'instruction attaquée serait entachée d'illégalité pour rappeler l'application de ces articles L. 651-6 et L. 761-9.
10. En deuxième lieu, dès lors que les dispositions de ces articles L. 651-6 et L. 761-9 prévoient, ainsi qu'il a été dit au point 9, une voie de recours, y compris en référé, devant les juridictions administratives contre une décision portant obligation de quitter le territoire français, les requérantes ne peuvent utilement soutenir que ces dispositions méconnaîtraient le droit d'exercer un recours devant une instance indépendante garanti par les dispositions de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 13 de la directive du 16 décembre 2008.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Sont admises au bénéfice de l'aide juridictionnelle les personnes physiques de nationalité française et les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne. / Les personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement en France sont également admises au bénéfice de l'aide juridictionnelle. / Toutefois, l'aide juridictionnelle peut être accordée à titre exceptionnel aux personnes ne remplissant pas les conditions fixées à l'alinéa précédent, lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d'intérêt au regard de l'objet du litige ou des charges prévisibles du procès. / L'aide juridictionnelle est accordée sans condition de résidence aux étrangers lorsqu'ils sont mineurs, témoins assistés, mis en examen, prévenus, accusés, condamnés ou parties civiles, lorsqu'ils bénéficient d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil ou lorsqu'ils font l'objet de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ainsi qu'aux personnes faisant l'objet de l'une des procédures prévues aux articles L. 222-1 à L. 222-6, L. 312-2, L. 511-1, L. 511-3-1, L. 511-3-2, L. 512-1 à L. 512-4, L. 522-1, L. 522-2, L. 552-1 à L. 552-10 et L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou lorsqu'il est fait appel des décisions mentionnées aux articles L. 512-1 à L. 512-4 du même code () ".
12. Il résulte des dispositions citées au point 11 que l'aide juridictionnelle peut être demandée par tout justiciable et lui est accordée s'il satisfait aux conditions de son attribution. Si le deuxième alinéa de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 subordonne l'octroi de l'aide juridictionnelle, s'agissant des personnes de nationalité étrangère qui ne sont pas ressortissantes des Etats membres de l'Union européenne, à la condition qu'elles résident habituellement et régulièrement en France, les dispositions du troisième alinéa du même article permettent d'accorder l'aide juridictionnelle, à titre exceptionnel, aux personnes de nationalité étrangère qui ne remplissent pas ces conditions, lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d'intérêt au regard de l'objet du litige ou des charges prévisibles du procès. En outre, les dispositions du quatrième alinéa prévoient que la condition de résidence ne s'applique pas à l'ensemble des procédures énumérées par cet alinéa, en particulier, lorsqu'intervient une obligation de quitter le territoire français dans les conditions posées par l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 611-1 du même code. Ces dispositions, eu égard aux aménagements qu'elles apportent à la condition tenant à la résidence régulière et habituelle en France des personnes de nationalité étrangère qui demandent l'aide juridictionnelle, ne peuvent être regardées comme portant d'atteintes substantielles au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction alors qu'au demeurant, la personne à laquelle l'aide juridictionnelle n'a pas été accordée dispose d'une voie de recours contre le refus qui lui a été opposé, conserve le droit d'agir devant une juridiction et peut bénéficier, en cas de succès, du remboursement des frais et dépens qu'elle a engagés. Par suite, le moyen tiré de ce que les personnes faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français à Mayotte ne pourraient bénéficier, y compris lorsqu'elles recourent à la procédure de référé prévue à l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une assistance juridique en méconnaissance des dispositions de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 13 de la directive du 16 décembre 2008 doit être écarté.
En ce qui concerne les dispositions du paragraphe II.B de l'instruction relatives au placement en rétention administrative :
13. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 16 de la directive du 16 décembre 2008 : " La rétention s'effectue en règle générale dans des centres de rétention spécialisés () ". En vertu de l'article 17 de la même directive : " 1. Les mineurs non accompagnés et les familles comportant des mineurs ne sont placés en rétention qu'en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible. / 2. Les familles placées en rétention dans l'attente d'un éloignement disposent d'un lieu d'hébergement séparé qui leur garantit une intimité adéquate. / 3. Les mineurs placés en rétention ont la possibilité de pratiquer des activités de loisirs, y compris des jeux et des activités récréatives adaptés à leur âge, et ont, en fonction de la durée de leur séjour, accès à l'éducation ". Selon l'article 18 de la même directive : " 1. Lorsqu'un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d'un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire, l'État membre en question peut, aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste, décider () de prendre des mesures d'urgence concernant les conditions de rétention dérogeant à celles énoncées à l'article 16, paragraphe 1, et à l'article 17, paragraphe 2. / 2. Lorsqu'il recourt à ce type de mesures exceptionnelles, l'État membre concerné en informe la Commission () ".
14. D'autre part, aux termes de l'article L. 741-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable à Mayotte en vertu de l'article L. 761-8 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de l'instruction attaquée : " L'étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l'objet d'une décision de placement en rétention. Il ne peut être retenu que s'il accompagne un étranger placé en rétention (). / () La durée de rétention d'un étranger accompagné d'un mineur est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l'organisation du départ. Dans tous les cas, le placement en rétention d'un étranger accompagné d'un mineur n'est possible que dans un lieu de rétention administrative bénéficiant de chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à l'accueil des familles () ". Selon l'article R. 744-1 du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article R. 744-8, les étrangers retenus en application du présent titre sont placés ou maintenus dans des établissements dénommés " centres de rétention administrative " () ". Aux termes de l'article R. 744-8 du même code : " Lorsqu'en raison de circonstances particulières, notamment de temps ou de lieu, des étrangers retenus () ne peuvent être placés immédiatement dans un centre de rétention administrative, le préfet peut les placer dans des locaux adaptés à cette fin, dénommés " locaux de rétention administrative " () ". En vertu de l'article R. 744-11 du même code : " Les locaux de rétention administrative doivent disposer des équipements suivants : / 1° Des chambres collectives non mixtes, accueillant au maximum six personnes ; / 2° Des équipements sanitaires en libre accès comprenant des lavabos, douches et cabinets d'aisance (). / Les locaux de rétention administrative susceptibles d'accueillir des familles disposent en outre de lieux d'hébergement séparés, spécialement équipés, comportant une pièce de détente et dotés notamment de matériels de puériculture adaptés, ainsi que d'un espace de promenade à l'air libre ". L'article R. 761-5 du même code, dans sa version applicable à la date de l'instruction attaquée, prévoit, à son 8°, qu'à Mayotte, les étrangers peuvent être maintenus dans ces locaux pendant une durée n'excédant pas vingt-quatre heures. Ce même article prévoit, à son 9°, que les dispositions de l'article R. 744-11 ne sont pas applicables à Mayotte pour une durée de cinq ans à compter du 16 décembre 2018. Durant cette période, les locaux de rétention administrative doivent néanmoins disposer de lieux d'hébergement ou de repos, d'équipements sanitaires en libre accès, de matériels nécessaires à la restauration ainsi que d'équipements permettant l'exercice effectif de leurs droits par les intéressés.
15. En premier lieu, postérieurement à l'introduction de la présente requête, est intervenu le décret du 11 décembre 2023 qui a remplacé le 9° de l'article R. 761-5 relatif aux normes d'accueil en local de rétention administrative à Mayotte par les dispositions suivantes : " 9° Pour une durée de quatre ans à compter de la publication du décret n° 2023-1167 du 11 décembre 2023 relatif aux normes d'accueil en local de rétention administrative à Mayotte, l'article R. 744-11 est ainsi rédigé : Art. R. 744-11.- Les locaux de rétention administrative doivent disposer de lieux d'hébergement ou de repos, d'équipements sanitaires en libre accès comprenant des lavabos, douches et cabinets d'aisance, des matériels nécessaires à la restauration, ainsi que d'une pharmacie de secours, sans préjudice de la possibilité d'accès, si nécessaire, à l'antenne médicale la plus proche aux fins d'une évaluation médicale. Ces locaux doivent également disposer des équipements permettant l'exercice effectif de leurs droits par les intéressés, notamment un téléphone en libre accès. Ainsi que le prévoit le sixième alinéa de l'article L. 741-5, ils ne peuvent accueillir des étrangers accompagnés d'un mineur que dans des chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à l'accueil des familles. / L'étranger retenu peut recevoir les visites des autorités consulaires, de sa famille, d'un médecin et des membres habilités d'associations. Il peut s'entretenir confidentiellement avec son avocat dans les conditions prévues aux articles L. 744-5 et R. 744-15 ". Il résulte de cette modification que les dispositions du paragraphe II.B de l'instruction attaquée qui, interprétant cet article R. 761-5, prévoient que " Les règles relatives aux équipements des locaux de rétention administrative sont spécifiques à Mayotte jusqu'au 14 décembre 2023 (art. R. 761-5 9° du CESEDA) ", sont ainsi devenues caduques. Dès lors, les conclusions de la requête tendant à l'annulation de ce passage de l'instruction ont perdu leur objet.
16. En deuxième lieu, en invitant le préfet de Mayotte à placer les étrangers ne présentant pas de garanties propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement dans un centre de rétention administrative et, " si cela ne peut être le cas ", dans un local de rétention administrative, les auteurs de l'instruction attaquée se sont bornés à rappeler les dispositions des articles R. 744-1 et R. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il ressort que le placement en rétention est fait, par principe, dans un centre de rétention administrative, et, dans certaines circonstances particulières, liées par exemple à l'heure de l'interpellation de la personne ou à la distance à parcourir pour la placer en rétention, dans un local de rétention administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que l'instruction attaquée méconnaîtrait les dispositions citées au point 14 doit être écarté.
17. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 744-10 du code : " Les locaux de rétention mentionnés à l'article R. 744-8 sont créés, à titre permanent ou pour une durée déterminée, par arrêté préfectoral précisant si le local est susceptible d'accueillir des familles ". L'instruction attaquée n'ayant ni pour objet ni pour effet de créer ou de prolonger le fonctionnement de locaux de rétention administrative, de telles décisions relevant d'un arrêté du représentant de l'Etat à Mayotte, il ne peut utilement être soutenu dans le cadre du présent litige que les décisions de création ou de prolongation de ces locaux méconnaîtraient les dispositions de l'article R. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faute d'être justifiées par des circonstances particulières de temps et de lieu. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que ces décisions de création ou de prolongation méconnaîtraient l'article 18 de la directive du 16 décembre 2008, faute d'avoir fait l'objet d'une information de la Commission européenne et de ne pas se limiter à des situations exceptionnelles et de courte durée, est inopérant.
En ce qui concerne les dispositions du paragraphe II.D de l'instruction relatives au traitement de la demande d'asile :
18. En premier lieu, au paragraphe II.D de l'instruction attaquée, les ministres de l'intérieur et des outre-mer se sont, ainsi qu'il a été dit au point 4, bornés à évoquer les nouvelles modalités d'enregistrement et d'instruction des demandes d'asile à Mayotte telles qu'envisagées dans un projet de décret à publier. L'administration n'étant jamais tenue de prendre une circulaire pour interpréter l'état du droit existant ni davantage de répondre à la demande dont l'objet est de faire donner instruction aux autorités subordonnées d'appliquer les règles de droit à une situation déterminée, obligation à laquelle ces autorités sont en tout état de cause tenues, il ne saurait être utilement reproché aux ministres de n'avoir pas prévu, dans l'instruction attaquée, de dispositions indiquant au préfet et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration les modalités de fourniture des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile.
19. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 de la directive du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils présentent leur demande de protection internationale. / 2. Les États membres font en sorte que les mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil assurent aux demandeurs un niveau de vie adéquat qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale. / Les États membres font en sorte que ce niveau de vie soit garanti dans le cas de personnes vulnérables, conformément à l'article 21, ainsi que dans le cas de personnes placées en rétention. / () 5. Lorsque les États membres octroient les conditions matérielles d'accueil sous forme d'allocations financières ou de bons, le montant de ceux-ci est fixé en fonction du ou des niveaux établis dans l'État membre concerné, soit par le droit, soit par la pratique, pour garantir un niveau de vie adéquat à ses ressortissants. Les États membres peuvent accorder aux demandeurs un traitement moins favorable que celui accordé à leurs ressortissants à cet égard, en particulier lorsqu'une aide matérielle est fournie en partie en nature ou lorsque ce ou ces niveaux appliqués à leurs ressortissants visent à garantir un niveau de vie plus élevé que celui exigé pour les demandeurs au titre de la présente directive ". En droit interne, ainsi qu'il a été dit au point 3, l'article L. 591-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile adapte à la situation particulière de Mayotte le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile.
20. La compatibilité d'une disposition législative avec les stipulations d'un traité international ou d'une règle du droit de l'Union européenne ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte réglementaire que si ce dernier a été pris pour son application ou si elle en constitue la base légale. En l'espèce, les dispositions de l'instruction attaquée, qui, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 18, n'évoquent pas les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile à Mayotte posées par l'article L. 591-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'ont pas été prises pour l'application de cet article et cet article ne constitue pas leur base légale. Il suit de là que les requérantes ne peuvent utilement invoquer, par la voie de l'exception, l'incompatibilité des dispositions de l'article L. 591-4 avec celles de l'article 17 de la directive du 26 juin 2013.
En ce qui concerne les dispositions du paragraphe III de l'instruction relatives à la lutte contre les fraudes à l'état civil et aux reconnaissances frauduleuses de paternité :
21. D'une part, aux termes de l'article 316 du code civil : " Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. / La reconnaissance n'établit la filiation qu'à l'égard de son auteur. / Elle est faite dans l'acte de naissance, par acte reçu par l'officier de l'état civil ou par tout autre acte authentique. / L'acte de reconnaissance est établi sur déclaration de son auteur, qui justifie : / 1° De son identité par un document officiel délivré par une autorité publique () ". En vertu de l'article 316-1 du même code : " Lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l'audition par l'officier de l'état civil de l'auteur de la reconnaissance de l'enfant, que celle-ci est frauduleuse, l'officier de l'état civil saisit sans délai le procureur de la République et en informe l'auteur de la reconnaissance. / Le procureur de la République est tenu de décider, dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine, soit de laisser l'officier de l'état civil enregistrer la reconnaissance ou mentionner celle-ci en marge de l'acte de naissance, soit qu'il y est sursis dans l'attente des résultats de l'enquête à laquelle il fait procéder, soit d'y faire opposition. / () A l'expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître à l'officier de l'état civil et aux intéressés, par décision motivée, s'il laisse procéder à l'enregistrement de la reconnaissance ou à sa mention en marge de l'acte de naissance de l'enfant. / L'auteur de la reconnaissance, même mineur, peut contester la décision de sursis ou de renouvellement de celui-ci devant le tribunal judiciaire, qui statue dans un délai de dix jours à compter de sa saisine. En cas d'appel, la cour statue dans le même délai ".
22. D'autre part, aux termes de l'article L. 114-8 du code des relations entre le public et l'administration : " I. - Les administrations échangent entre elles toutes les informations ou les données strictement nécessaires pour traiter une demande présentée par le public ou une déclaration transmise par celui-ci en application d'une disposition législative ou d'un acte réglementaire. / L'administration chargée de traiter la demande ou la déclaration fait connaître à la personne concernée les informations ou les données qui sont nécessaires à cette fin et celles que l'administration se procure directement auprès d'autres administrations françaises, qui en sont à l'origine ou qui les détiennent en raison de leur mission () ".
23. Enfin, aux termes de l'article 7 du décret du 15 juillet 2020 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude et à la création d'une mission interministérielle de coordination anti-fraude : " La coordination en matière de lutte contre la fraude au niveau local s'organise autour du comité opérationnel départemental anti-fraude qui a pour missions, en fonction des orientations des actions prioritaires et en tenant compte des spécificités de chaque territoire : / - de déterminer les actions coordonnées à mettre en place entre partenaires en matière de lutte contre la fraude portant atteinte aux prélèvements obligatoires fiscaux et aux prélèvements sociaux ou à d'autres recettes des collectivités publiques ainsi qu'aux prestations sociales (). / (). Le comité peut aussi être saisi () de toute situation susceptible de justifier l'organisation d'une action coordonnée ; / - de veiller aux échanges opérationnels d'informations entre les services de l'Etat concernés, d'une part, et entre ces derniers et les organismes de protection sociale, d'autre part () ". Aux termes de l'article 8 de ce décret : " Le comité est présidé conjointement par le préfet et le procureur de la République près le tribunal judiciaire (). Il fixe notamment les grandes orientations en matière de contrôles coordonnés et d'échanges de renseignements (). / Il est composé de représentants des services de l'Etat, de magistrats et de représentants des organismes locaux de protection sociale () / Lorsqu'il se réunit en formation restreinte, (), il est présidé par le procureur de la République territorialement compétent pour la mise en œuvre des actions coordonnées et des échanges de renseignements ayant une éventuelle incidence pénale. Il comprend alors, outre un représentant du préfet, les services de l'Etat et des organismes de protection sociale dont les compétences sont requises pour l'examen de questions ou le suivi de procédures dont il se saisit ".
24. En premier lieu, le paragraphe III de l'instruction attaquée invite le préfet de Mayotte à mobiliser le comité opérationnel départemental anti-fraude concernant les fraudes aux prestations sociales qui sont favorisées par des fraudes à l'état civil. En invitant le préfet dans ce cadre, et " pour améliorer le dispositif de lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité et les mariages de complaisance ", à " développer les partenariats nécessaires avec les maires des communes afin que l'information opérationnelle dont ils disposent pour établir, grâce à leur connaissance de terrain, la réalité de l'entretien d'un enfant puisse être utilisée ", et en précisant qu'" afin de faciliter l'identification de la fraude lors de l'enregistrement des reconnaissances de paternité en mairie ", le préfet veillera " à communiquer aux maires des communes qui les sollicitent, les informations concernant la situation du parent étranger au regard du droit au séjour ", les auteurs de l'instruction attaquée n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, imposé ni ajouté aucune condition préalable de régularité de séjour à la reconnaissance de paternité. Ils n'ont pas davantage prescrit que l'irrégularité du séjour devrait conduire ou même inciter l'officier d'état civil à considérer la reconnaissance de paternité comme frauduleuse. Par suite, les moyens tirés de ce que les ministres de l'intérieur et des outre-mer auraient méconnu les dispositions applicables à la reconnaissance de paternité, notamment les articles 316 et 316-1 du code civil, ou qu'ils auraient entaché l'instruction attaquée d'incompétence, doivent être écartés.
25. En deuxième lieu, par de telles dispositions, les auteurs de l'instruction attaquée ont entendu rappeler au préfet de Mayotte la possibilité d'apporter aux maires des réponses aux demandes qui leur sont adressées et d'alerter ces derniers, en leur qualité d'officier d'état civil, sur des situations susceptibles de faire l'objet d'une suspicion de fraude quant à la procédure de reconnaissance à l'état civil. Ce faisant, ils n'ont pas méconnu les dispositions de l'article L. 114-8 du code des relations entre le public et l'administration.
26. En troisième lieu, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'instruction méconnaîtrait le principe d'égalité ou créerait une discrimination, la procédure de reconnaissance de paternité applicable à Mayotte demeurant identique pour l'ensemble des enfants, sans qu'il soit opéré de distinction selon la nationalité ou la situation de leurs parents au regard du droit au séjour.
27. En quatrième et dernier lieu, si les auteurs de l'instruction attaquée ont invité le préfet de Mayotte, " dans l'instruction administrative des dossiers, à proposer aux personnes dont des indices laissent penser qu'elles auraient effectué une reconnaissance de paternité dans un but exclusivement migratoire de produire volontairement un test de paternité afin de prouver leur bonne foi ", l'initiative de procéder à un tel examen est laissée à l'auteur de la reconnaissance de paternité, de sorte qu'elle ne peut être ni imposée ni ordonnée par le préfet. Par suite, le moyen tiré de ce que par l'instruction attaquée, les ministres de l'intérieur et des outre-mer auraient illégalement conféré au préfet le pouvoir d'ordonner la réalisation d'un test de paternité alors qu'une telle prérogative n'appartient qu'au juge, doit être écarté.
28. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'instruction qu'elles attaquent. Leurs conclusions à fin d'injonction doivent en conséquence être rejetées. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par La Cimade, service œcuménique d'entraide et autre.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de La Cimade et autre tendant à l'annulation des dispositions du paragraphe II.B de l'instruction du 12 janvier 2022 relatives au 9° de l'article R. 761-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de La Cimade, service œcuménique d'entraide et autre est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à La Cimade, service œcuménique d'entraide, première dénommée pour l'ensemble des requérantes, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 avril 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 22 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
Code publication