Tribunal administratif de Paris

Jugement du 21 mai 2024 n° 2119345

21/05/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 septembre 2021 et le 13 novembre 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Junot distribution, représentée par la S.C.P. Nataf et Planchat, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge, en droits, intérêts de retard et majorations, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er mai 2015 au 30 avril 2019, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2016, 2017, 2018 et 2019, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), taxe additionnelle à cette cotisation et frais de gestion auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2016, 2017 et 2018 ainsi que des amendes prononcées sur le fondement de l'article 1729 H du code général des impôts au titre des exercices clos en 2016, 2017, 2018 et 2019 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que, s'agissant des traitements informatiques réalisés, tant au titre de la période du 1er mai 2015 au 31 janvier 2016 que de la période du 1er février 2016 au 30 avril 2019, le service a méconnu les dispositions du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales ;

- la procédure d'imposition est irrégulière, faute pour le service de l'avoir informée de l'origine et de la teneur des informations techniques qu'il a utilisées dans le cadre des traitements informatiques effectués et d'avoir fait droit à sa demande tendant à la communication des spécifications fonctionnelles et technique du logiciel de caisse ;

- le chef de rectification relatif aux prestations de service facturées par la société Bajehold est contesté dès lors que ces prestations sont réelles et ont été engagées dans l'intérêt de la société ;

- c'est à tort que le service a assorti les impositions en litige d'une majoration pour manœuvres frauduleuses, dès lors que l'élément matériel comme l'élément intentionnel motivant cette majoration ne sont pas établis ;

- le service ne pouvait assortir les impositions en litige d'une majoration pour manœuvres frauduleuses dès lors que la société n'a pas été invitée à présenter des observations quant à l'application de cette majoration avant l'envoi de la proposition de rectification ;

- il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la régularité des opérations de visite et de saisie menées sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 7 mars 2022 et le 22 novembre 2023, l'administrateur général des finances publiques en charge de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique) conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- dès lors que la cour d'appel de Paris a confirmé la régularité de l'ensemble des opérations de saisie diligentées sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, la demande de sursis à statuer est irrecevable ;

- les moyens soulevés par la SARL Junot distribution ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 21 janvier 2024, et un mémoire complémentaire, enregistré le 8 mars 2024, la SARL Junot distribution demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

Elle soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la conformité de ces dispositions au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment des principes constitutionnels des droits de la défense et de l'égalité devant la loi ;

- le respect du principe constitutionnel des droits de la défense doit permettre l'information et la communication, non seulement des documents qui ont permis de fonder le rehaussement, mais aussi des documents obtenus de tiers pouvant être utiles à la défense du contribuable, en respectant un délai suffisant pour laisser au contribuable le temps de préparer sa défense ;

- la différence existant entre l'application de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales par le juge de l'impôt provoque une discrimination contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

Par un mémoire en réponse à la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, enregistré le 7 mars 2024, l'administrateur de l'Etat en charge de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique) conclut au rejet de cette demande de transmission.

Il soutient que la question posée est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lenoir,

- et les conclusions de M. Guiader, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Junot distribution, qui exerce une activité d'exploitation de supermarchés et magasins d'alimentation générale, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er mai 2015 au 30 avril 2019, après qu'une procédure de visite et de saisie, en application des dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, avait été menée le 23 mai 2019, en exécution d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny du 21 mai de la même année. Au terme de ce contrôle, par une proposition de rectification en date du 23 décembre 2019 ayant donné lieu à échanges contradictoires, le service a fait connaître à la société son intention de lui réclamer des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis des intérêts de retard et majoration de 80% pour manœuvres frauduleuses, au titre de la période du 1er mai 2015 au 30 avril 2019, de mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés assortis des intérêts de retard et majoration de 80% pour manœuvres frauduleuses, au titre des exercices clos en 2016, 2017, 2018 et 2019, de l'assujettir à la cotisation sur la valeur ajoutée, taxe additionnelle à cette cotisation et frais de gestion, assortie des intérêts de retard, au titre des exercices clos en 2016, 2017 et 2018 et de prononcer à son encontre des amendes sur le fondement de l'article 1729 H du code général des impôts au titre des exercices clos en 2016, 2017, 2018 et 2019. Ces impositions ayant été mises en recouvrement par avis en date du 30 novembre 2020, la SARL Junot distribution a présenté une réclamation préalable en date du 21 janvier 2021, qui a fait l'objet d'une décision de rejet en date du 9 juillet 2021. Par la requête susvisée, la SARL Junot distribution demande la décharge des impositions ainsi maintenues à sa charge.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L.76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. "

4. La SARL Junot distribution soutient, d'une part, qu'en n'exigeant pas de l'administration qu'elle communique les renseignements et documents obtenus de tiers dans un délai suffisant pour permettre au contribuable de préparer sa défense, les dispositions de l'article L. 76 B méconnaissent le principe du respect des droits de la défense. Elle soutient, d'autre part, qu'eu égard à l'évolution de la jurisprudence de l'Union européenne et à sa prise en compte par le juge de l'impôt, l'étendue des garanties offertes aux contribuables au titre des dispositions de l'article L. 76 B diffère selon que ceux-ci sont redevables de la taxe sur la valeur ajoutée ou d'une autre imposition, occasionnant une différence de traitement non justifiée.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition.

6. La SARL Junot distribution ne peut utilement soutenir que les dispositions de l'article L. 76 B méconnaîtrait les droits de la défense protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que la procédure administrative d'établissement de l'impôt n'est pas soumise à ces principes.

7. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

8. D'autre part, aux termes de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt C-199/11 Europese Gemeenschap c/ Otis NV et autres du 6 novembre 2012, que le principe de protection juridictionnelle effective figurant à cet article 47 est constitué de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, les droits de la défense, le principe d'égalité des armes, le droit d'accès aux tribunaux ainsi que le droit de se faire conseiller, défendre et représenter. S'agissant du respect des droits de la défense invoqués dans un litige fiscal portant sur une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-189/18 Glencore Agriculture Hungary du 16 octobre 2019, que ce principe a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative et qu'une violation du droit d'accès au dossier commise lors de la procédure administrative n'est pas, en principe, régularisée du simple fait que l'accès au dossier a été rendu possible au cours de la procédure juridictionnelle concernant un éventuel recours visant à l'annulation de la décision contestée. La Cour de justice a également jugé dans ce même arrêt que, dans un tel litige de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, le respect des droits de la défense n'impose pas à l'administration fiscale une obligation générale de fournir un accès intégral au dossier dont elle dispose, mais exige que l'assujetti ait la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision, lesquels incluent en principe non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense.

9. La SARL Junot distribution soutient que l'exigence de communication assurée au bénéfice de l'assujetti prévue au point qui précède a pour conséquence d'organiser une rupture d'égalité entre les contribuables, selon qu'ils sont redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, au titre de laquelle les Etats membres mettent en œuvre le droit de l'Union européenne, ou d'une autre imposition. Toutefois, la société requérante ne saurait utilement soutenir que cette circonstance révèle une différence de traitement entre contribuables dans l'interprétation jurisprudentielle conférée aux dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales dès lors que la garantie prévue au point qui précède est relative au principe de protection juridictionnelle effective figurant à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

10. Il suit de là que les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme contraires aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui ne présente pas de caractère sérieux.

Sur les conclusions à fin de décharge :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

S'agissant des traitements informatiques :

Quant à la période du 1er mai 2015 au 31 janvier 2016 :

11. Aux termes du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales : " En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : / a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; / b) Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. () ; / c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration, dans les quinze jours suivant la formalisation par écrit de son choix, les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L'administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification mentionnée à l'article L. 57. / Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui ou sous le contrôle desquels les opérations sont réalisées. L'administration détruit, avant la mise en recouvrement, les copies des fichiers transmis. "

12. Il résulte de l'instruction que, par un courrier remis en main propre en date du 30 octobre 2019, le service a indiqué à la SARL Junot distribution la nature des investigations souhaitées dans le cadre des traitements informatiques envisagés quant à la période du 1er mai 2015 au 31 janvier 2016 et demandé à ce que la société formule un choix parmi les options prévues au titre des dispositions qui précèdent. Il résulte de l'instruction que le gérant de la SARL Junot distribution a fait le choix de l'option c du II de l'article 47 A du livre des procédures fiscales en date du 5 novembre 2019, en indiquant, s'agissant de la mise à disposition de l'administration des copies de documents, données et traitements soumis à contrôle : " fichiers saisis lors des opérations L. 16 B ". Aucune sauvegarde de fichiers de caisse n'ayant été trouvée par le service pour la période au titre de laquelle celui-ci envisageait des traitements informatiques au sens des dispositions qui précèdent dans le cadre de la procédure de visite et de saisie diligentée au titre des dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, il a été pris acte par courrier en date du 22 novembre 2019 que la société n'avait conservé aucune donné de caisse au titre de la période du 1er mai 2015 au 31 janvier 2016. Dans ces conditions, en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que n'auraient pas été respectées par le service les dispositions qui précèdent dans le cadre des traitements informatiques envisagés pour la période du 1er mai 2015 au 31 janvier 2016, ainsi que le fait valoir la SARL Junot distribution sans, au demeurant, assortir ce moyen de précisions quant aux faits de l'espèce.

Quant à la période du 1er février 2016 au 30 avril 2019 :

13. Aux termes du VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " L'administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies, y compris celles qui procèdent des traitements mentionnés au troisième alinéa, qu'après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en œuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 47. / () En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés saisie dans les conditions prévues au présent article, l'administration communique au contribuable, au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76, sous forme dématérialisée ou non au choix de ce dernier, la nature et le résultat des traitements informatiques réalisés sur cette saisie qui concourent à des rehaussements, sans que ces traitements ne constituent le début d'une procédure de vérification de comptabilité. Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui, et sous le contrôle desquels, les opérations sont réalisées ".

14. La SARL Junot distribution soutient que, dès lors que les traitements informatiques diligentés par le service, au titre des dispositions qui précèdent et pour la période du 1er février 2016 au 30 avril 2019, se sont poursuivis après la réception de l'avis de vérification de comptabilité en date du 30 septembre 2019, le service était tenu de lui faire bénéficier des garanties propres aux dispositions du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales. Toutefois, il résulte de l'instruction que les pièces saisies par le service le 23 mai 2019 ont régulièrement fait l'objet des traitements informatiques prévus par les dispositions précitées du VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. Dans ces conditions, la SARL Junot distribution ne peut utilement se prévaloir de ce qu'elle n'a pas bénéficié des garanties prévues par les dispositions du II de l'article L. 47 A du même livre, lesquelles relèvent d'une procédure distincte qui ne trouvait pas à s'appliquer en l'espèce et sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que des traitements informatiques aient pu être concomitants des opérations de vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, ainsi qu'elle le soutient.

S'agissant du défaut de réponse à la demande de communication sollicitée :

15. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. "

16. Par un courrier en date du 22 janvier 2020, la SARL Junot distribution a sollicité, au titre des dispositions qui précèdent, la communication du " code source du logiciel de caisse XMPS ", des " spécifications fonctionnelles et techniques qui ont permis de générer les résultats du logiciel XMPS " et des " algorithmes de nature à justifier les traitements informatiques qui fondent les traitements informatiques ". Toutefois, il résulte de l'instruction, ainsi que l'a fait valoir le service dans sa réponse à ce courrier en date du 5 février 2020, que les redressements notifiés n'ont pas été fondés sur ces éléments mais résultent uniquement de l'examen des données informatiques de la société. Par suite, les documents dont la communication était sollicitée n'entrait pas dans le champ des dispositions qui précèdent. Il résulte au demeurant des termes de la proposition de rectification en date du 23 décembre 2019 que le service, en application des dispositions du L. 76 B, a communiqué le 22 novembre 2019 les documents qui avaient été saisis dans le cadre de la procédure diligentée dans le cadre des dispositions de l'article L. 16 B, sur CD-ROM. Le moyen doit par suite être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

17. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts et de l'article 230 de l'annexe II à ce code, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.

18. Pour remettre en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les prestations facturées à la SARL Junot distribution par la société Bajehold, à hauteur d'un montant total de 42 000 euros au titre de la période du 1er mai 2015 au 30 avril 2019, le service a relevé que, malgré les demandes qui avaient été adressées en ce sens à la SARL Junot distribution en date des 13 et 27 novembre 2019, aucun élément justificatif susceptible de matérialiser l'existence des prestations ainsi rémunérées n'avait été communiqué. Le service a en outre, relevé, dans sa réponse aux observations du contribuable en date du 7 septembre 2020 que les sociétés Junot distribution et Bajehold étaient étroitement liées dès lors que ces sociétés ont un gérant en commun. La SARL Junot distribution soutient que les prestations facturées par la société Bajehold correspondent, d'une part, aux frais supportés par cette dernière dans sa mission d'assistance à diverses sociétés constituant " un groupe de fait " dont la SARL Junot distribution et, d'autre part, aux prestations définies par une convention de prestation de services prévoyant des missions de " stratégie et coordination de la filiale, ressources humaines, veille stratégique, marketing et communication, comptabilité, contrôle de gestion, juridique, fiscal, finances et trésorerie ", que l'animation effectuée par la société Bajehold a permis aux sociétés qui en sont ses " filiales " dans le groupe de fait de prospérer et que les prestations ne sauraient être réalisées par M. A seul eu égard à son temps de travail mais sont également assumées par son épouse et sa mère. Toutefois la SARL Junot distribution ne se prévaut d'aucun commencement de preuve au soutien de ses allégations, susceptible d'établir la réalité des prestations effectuées par la société Bajehold. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que la SARL Junot distribution ne pouvait bénéficier d'aucun droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures de la société Bajehold.

S'agissant de l'impôt sur les sociétés :

19. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant () notamment : /1° Les frais généraux de toute nature () ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

20. Il résulte de ce qui a été dit au point 18 que c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déduction par la SARL Junot distribution du résultat de ses exercices clos en 2016, 2017, 2018 et 2019 des charges correspondant aux honoraires facturés par la société Bajehold, au motif que ces charges devaient être regardées comme dépourvues de contrepartie effective.

En ce qui concerne les pénalités :

21. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : () / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses () ". Il résulte de ces dispositions que l'administration peut appliquer la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses prévue par le c) de l'article 1729 du code général des impôts, si l'intéressé a fait usage d'artifices destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

22. En premier lieu, aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les sanctions fiscales ne peuvent être prononcées avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations ". L'article L. 80 E du même livre dispose que : " La décision d'appliquer les majorations et amendes prévues aux articles 1729, 1732,1735 ter et 1740 A bis du code général des impôts est prise par un agent de catégorie A détenant au moins un grade fixé par décret qui vise à cet effet le document comportant la motivation des pénalités. "

23. La SARL Junot distribution soutient qu'eu égard au grade de l'agent ayant signé la proposition de rectification en date du 23 décembre 2019, ce document constituait une décision d'application de la majoration prévue à l'article 1729 n'ayant pas respecté le délai prévu par les dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales. Toutefois, la circonstance que le document par lequel l'administration a fait connaître au contribuable ou redevable concerné la sanction qu'elle se propose d'appliquer aurait été signé par un agent dont le grade est conforme aux dispositions de l'article L. 80 E ne saurait avoir pour effet de modifier la nature de ce document. En outre, la SARL Junot distribution ne saurait utilement invoquer les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 100-1 du même code qu'il ne régit les relations entre le public et l'administration qu'en l'absence de dispositions spéciales applicables, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Le moyen doit par suite être écarté comme inopérant.

24. En second lieu, pour assortir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et cotisations supplémentaires mises à la charge de la SARL Junot distribution au titre de la période vérifiée d'une majoration pour manœuvres frauduleuses, le service, s'appuyant sur les données saisies dans le cadre de la procédure saisie diligentée conformément à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, a relevé que les écritures comptables de la société avaient établies sur le fondement des états " tableaux d'analyse " produits par le logiciel de caisse XMPS. A partir des données de ce logiciel, et en particulier des tickets de synthèse quotidiens identifiés, le service a reconstitué le montant des recettes journalières effectives de la société. Comparant les recettes ainsi obtenues à celles enregistrées en comptabilité sur le fondement des " tableaux d'analyse ", le service a relevé des écarts, correspondant à un multiplicateur d'une même somme de 309,98 euros, systématiques s'agissant des jours pour lesquels un ticket de synthèse était présent, à l'exception d'un jour au titre de l'exercice clos en 2018. Cet écart a ainsi été relevé, eu égard aux données disponibles, pour 149 jours au titre de l'exercice 2017, pour un montant de 284 563, 07 euros, et 295 jours au titre de l'exercice clos en 2018, pour un montant de 326 408,94 euros. Sur ce fondement, le service a considéré que la différence observée entre les données des états produits par le logiciel XMPS mobilisés, soit les " tableaux d'analyse " d'une part et les tickets de synthèse d'autre part, révélaient l'utilisation d'une fonctionnalité permissive de ce logiciel et que l'absence de discordance relevée s'agissant d'une journée de l'exercice clos en 2018 démontrait le caractère organisé et volontaire de la dissimulation de recettes ainsi conduite par la SARL Junot distribution. La société Junot distribution, dont la comptabilité a au surplus été regardée comme dépourvue de caractère probant eu égard à ce qui a été dit ainsi qu'à l'absence partielle de données de comptabilité au titre de l'exercice clos en 2016, se borne à soutenir que les discordances relevées pourraient être expliquées par d'autres raisons que celles retenues par le service et à se prévaloir de la circonstance, en elle-même dépourvue d'incidence sur le bien-fondé de la pénalité appliquée par le service, que le gérant de la société n'intervient pas directement sur les caisses de la société. Dans ces conditions, le service doit être regardé comme établissant le bien-fondé de la majoration pour manœuvres frauduleuses dont elle a assorti les impositions en litige.

25. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin de décharge présentées par la SARL Junot distribution doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la SARL Junot distribution demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Junot distribution est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société à responsabilité limitée Junot distribution et à l'administrateur général des finances publiques en charge de la direction spécialisée de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).

Délibéré après l'audience du 6 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rohmer, président,

Mme Dousset, première conseillère,

M. Lenoir, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024.

Le rapporteur,

A. LENOIR

Le président,

B. ROHMERLa greffière,

S. CAILLIEU-HELAIEM

La République mande et ordonne au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

C