Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B A a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge partielle et la restitution correspondante de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2020.
Par un mémoire distinct, M. A a également demandé au tribunal administratif de Nancy de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts dans sa version issue de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019.
Par un jugement no 2203225 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Nancy, après avoir refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée, a rejeté la demande de décharge présentée par M. A.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 juin 2023, M. A, représenté par Me Charliquart de la société ACD Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge et la restitution de l'imposition contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 500 euros hors taxes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'indemnité de rupture conventionnelle versée en décembre 2020 par l'office public de l'habitat (OPH) de la Métropole du Grand Nancy doit être regardée comme étant exonérée d'impôt sur le revenu en application des dispositions du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le quantum du litige s'établit à 43 156 euros ;
- les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.
Par des mémoires distincts, enregistrés les 29 juin 2023 et 10 août 2023, M. A, représenté par Me Charliquart, conteste devant la cour, en application des articles 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et R. 771-12 du code de justice administrative, le refus du tribunal administratif de transmettre au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité visée ci-dessus, décidé par le jugement du 4 mai 2023.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques ;
- la question posée présente un caractère nouveau, le Conseil constitutionnel n'ayant déjà déclaré conforme à la Constitution que le dernier alinéa du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts et non l'intégralité du 6° ;
- elle présente un caractère sérieux, la disposition contestée étant contraire au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques, tels que consacrés par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour de rejeter la contestation et la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité posée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2016-990 du 6 août 2015 ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
- le décret n° 2016-442 du 11 avril 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A, qui exerçait les fonctions de directeur général de l'office public de l'habitat (OPH) de la Métropole du Grand Nancy depuis le 1er avril 2014, a bénéficié d'une rupture conventionnelle de son contrat le 31 décembre 2020. Il a déclaré, au titre de ses revenus de l'année 2020, une somme brute de 122 821,76 euros correspondant à l'indemnité versée à cette occasion. Par une réclamation préalable formée le 12 juillet 2022, il a sollicité, à propos de cette indemnité, le bénéfice de l'exonération prévue par les dispositions du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts. Sa demande a été rejetée par une décision de l'administration fiscale du 9 septembre 2022. M. A relève appel du jugement du 4 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu mise à sa charge à raison de cette indemnité de rupture conventionnelle et à la restitution de l'imposition correspondante.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué qu'après avoir indiqué que M. A soutenait que les dispositions du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts méconnaissaient, dans leur intégralité, les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, les premiers juges ont cité les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont ils ont précisé la portée, puis énoncé les raisons pour lesquelles ils considéraient que la question prioritaire de constitutionnalité était dépourvue de caractère sérieux. Le tribunal administratif de Nancy n'a ainsi pas omis de se prononcer sur le moyen tiré de la contrariété de la disposition législative applicable au litige avec le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait, sur ce point, entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. D'une part, aux termes de l'article 80 duodecies du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " 1. Toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes. / Ne constituent pas une rémunération imposable : () ; 6° La fraction des indemnités prévues à l'article L. 1237-13 du code du travail versées à l'occasion de la rupture conventionnelle du contrat de travail d'un salarié, ainsi que la fraction des indemnités prévues aux articles 3 et 7-2 de l'annexe à l'article 33 du Statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie versées à l'occasion de la cessation d'un commun accord de la relation de travail d'un agent, lorsqu'ils ne sont pas en droit de bénéficier d'une pension de retraite d'un régime légalement obligatoire, qui n'excède pas : (). / Le présent 6° est applicable aux indemnités spécifiques de rupture conventionnelle versées en application des I et III de l'article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique : " () / III.- Les modalités d'application de la rupture conventionnelle aux agents recrutés par contrat à durée indéterminée de droit public et aux personnels affiliés au régime de retraite institué en application du décret n° 2004-1056 du 5 octobre 2004 relatif au régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, notamment l'organisation de la procédure, sont définies par décret en Conseil d'Etat. () ". Un décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique est intervenu pour définir les modalités de rupture conventionnelle applicables aux agents contractuels de la fonction publique territoriale.
5. Enfin, aux termes de l'article L. 421-12 du code de la construction et de l'habitation : " Le directeur général dirige l'activité de l'office dans le cadre des orientations générales fixées par le conseil d'administration. / Il est recruté par un contrat à durée indéterminée. Néanmoins, lorsque le directeur général est recruté par la voie du détachement, la durée du contrat est liée à celle du détachement. Un décret en Conseil d'Etat précise les principales caractéristiques du contrat et fixe notamment les conditions d'exercice des fonctions et de rémunération, le cas échéant les avantages annexes, ainsi que l'indemnité pouvant être allouée en cas de cessation de fonction. / () ". Aux termes de l'article L. 421-12-2 du même code : " L'office et le directeur général peuvent décider par convention des conditions de la rupture du contrat qui les lie. Le président et le directeur général conviennent des termes de la convention lors d'un entretien préalable à la rupture, au cours duquel chacun peut être assisté par la personne de son choix. La convention de rupture définit le montant de l'indemnité de rupture. Cette disposition n'est pas applicable aux fonctionnaires détachés dans l'emploi de directeur général. / Les conditions d'application du présent article, notamment la définition des modalités de calcul de l'indemnité de rupture, sont précisées par voie réglementaire ". C'est l'article R. 421-20-7 de ce code, tel qu'introduit par l'article 1er du décret du 11 avril 2016 relatif aux conventions de rupture des contrats des directeurs généraux des offices publics de l'habitat et modifiant le code de la construction et de l'habitation qui a précisé les modalités de la rupture conventionnelle pour les directeurs généraux d'OPH recrutés par contrat.
6. En premier lieu, s'ils exercent leurs fonctions dans des établissements publics locaux à caractère industriel et commercial, les directeurs généraux des offices publics de l'habitat ne sont pas soumis à un régime de droit privé mais sont, par exception, des agents de droit public. Leur situation est régie par les dispositions générales, de nature législative ou réglementaire, applicables aux agents contractuels de droit public de la fonction publique territoriale sous réserve des dispositions spéciales, notamment prévues par le code de la construction et de l'habitation, qui y dérogent.
7. En deuxième lieu, les dispositions du III de l'article 72 de la loi du 6 août 2019, telles que citées ci-dessus, consacrent le principe général admettant la faculté de recourir à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique pour tous les agents recrutés par contrat à durée indéterminée de droit public, sans prévoir d'exception. Si le principe de la rupture conventionnelle a déjà été reconnu pour les directeurs généraux d'OPH non recrutés par la voie du détachement par l'article L. 421-12-2 du code de la construction et de l'habitation créé par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, la règle ainsi fixée par cette loi spéciale, loin de déroger aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires, se trouve au contraire confirmée par la consécration du principe général posé par la loi du 6 août 2019. Le décret du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique, qui a précisé les modalités d'application de cette loi pour les agents contractuels des fonctions publiques étatique, hospitalière et territoriale, n'a ni modifié ni, au demeurant, abrogé les dispositions de l'article R. 421-20-7 du code de la construction et de l'habitation, qui prévoient les modalités applicables aux directeurs généraux d'OPH.
8. Il résulte de ce qui précède que les dispositions du III de l'article 72 de la loi du 6 août 2019 doivent être regardées comme visant la situation des directeurs généraux d'OPH dont les contrats à durée indéterminée de droit public sont rompus de manière conventionnelle, à l'instar notamment de celle des agents contractuels à durée indéterminée de la fonction publique territoriale.
9. Il s'ensuit que les dispositions du dernier alinéa du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts doivent être interprétées comme incluant dans le champ de l'exonération qu'elles prévoient les indemnités pour rupture conventionnelle allouées aux directeurs généraux d'OPH recrutés par contrats à durée indéterminée de droit public.
En ce qui concerne la contestation du refus de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité :
10. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " () Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission () ".
11. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du recours formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, ou directement par ce jugement. Saisie de la contestation de ce refus, la cour procède à cette transmission si la question prioritaire de constitutionnalité porte sur une disposition législative et si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
12. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les indemnités de rupture conventionnelle perçues par les directeurs généraux d'OPH ne font pas l'objet d'un traitement différent, au sens et pour l'application du dispositif d'exonération prévu au dernier alinéa du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts, de celles perçues par les autres agents contractuels de droit public visés par les dispositions du III de l'article 72 de la loi du 6 août 2019, ni par voie de conséquence avec les salariés du secteur privé ou encore avec les salariés soumis au statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie.
13. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l'interprétation du dispositif fiscal qui est faite aux points ci-dessus, la question prioritaire de constitutionnalité invoquée est sans objet et donc dépourvue de caractère sérieux. Par suite, M. A n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée devant lui.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'impôt :
14. Il résulte de l'instruction, notamment du bulletin de salaire du mois de décembre 2020, que M. A a exercé, sous contrat à durée indéterminée, entre le 1er avril 2014 et le 31 décembre 2020, les fonctions de directeur général de l'OPH de la Métropole du Grand Nancy, établissement public à caractère industriel et commercial rattaché à une collectivité territoriale. Il avait donc la qualité d'agent recruté par contrat à durée indéterminée de droit public au sens des dispositions précitées du III de l'article 72 de la loi du 6 août 2019. Dès lors, l'intéressé est fondé à se prévaloir du dernier alinéa du 6° du 1. de l'article 80 duodecies du code général des impôts, tel qu'interprété dans le présent arrêt, pour demander l'exonération, au titre de l'impôt sur le revenu, de l'indemnité de rupture conventionnelle qu'il avait perçue en décembre 2020. Par suite, c'est à tort que l'administration fiscale a refusé de lui accorder le bénéfice de l'exonération prévue par cette disposition.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge partielle, à hauteur de 43 156 euros, de la cotisation d'impôt sur le revenu dont il s'est acquitté.
Sur les frais de l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 4 mai 2023 est annulé.
Article 3 : M. A est déchargé de la cotisation primitive d'impôt sur le revenu mise à sa charge au titre de l'année 2020 à hauteur de 43 156 euros, qui lui sera restituée.
Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2024.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
No 23NC0212
Code publication