Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 décembre 2022, le 23 décembre 2022, le 2 janvier 2023, le 12 janvier 2023 et le 13 janvier 2023, M. C B doit être regardé comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur régional des finances publiques de la Martinique a rejeté sa demande du 11 août 2022 tendant, d'une part, au bénéfice d'aides financières au titre du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19, pour les mois de novembre 2021, décembre 2021, janvier 2022, février 2022 et, d'autre part, à ce qu'une procédure disciplinaire soit engagée à l'encontre d'un agent du service qui a suivi son dossier ;
2°) d'enjoindre au directeur régional des finances publiques de la Martinique de lui verser les sommes qui lui sont dues au titre du fonds de solidarité précité, sous astreinte d'une somme de 150 euros par jour de retard.
Il soutient que :
- les décrets n° 2022-74 et n° 2022-348 des 28 janvier 2022 et 12 mars 2022, qui ont modifié le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, méconnaissent la Constitution et notamment l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
- ces deux décrets sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation et d'erreur de droit, compte tenu d'une insuffisante conciliation du droit à la santé et du droit à la sécurité matérielle ;
- empêché de travailler en raison de l'obligation vaccinale instaurée par la loi, il ne saurait subir une diminution des aides financières dues à son entreprise ;
- la décision de refus qui lui a été opposée en réponse à sa demande du 11 août 2022 n'est pas suffisamment motivée ;
- les " lois vaccinales " sont inconstitutionnelles et ont entravé son activité d'organisation d'évènements culturels ;
- l'agent en charge de son dossier au sein des services de la direction régionale des finances publiques de la Martinique a agi à son égard de façon discriminatoire et doit par conséquent être sanctionné.
Un mémoire distinct produit par M. B a été enregistré le 13 janvier 2023, demandant la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des lois n°s 2021-689, 2021-1040 et 2022-46, respectivement promulguées le 31 mai 2021, le 5 août 2021 et le 22 janvier 2022, en tant qu'elles mettent en place un " passe sanitaire " et un " passe vaccinal ".
La procédure a été communiquée au directeur régional des finances publiques de la Martinique qui n'a pas produit d'observations en défense.
La procédure a été communiquée à la secrétaire générale du Gouvernement et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique, qui n'ont pas produit d'observations.
Le mémoire récapitulatif produit par M. B en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, a été enregistré le 12 janvier 2024 et n'a pas été communiqué.
M. B a produit d'autres mémoires, enregistrés le 9 janvier 2024, le 15 mars 2024 et le 18 mars 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue le 9 novembre 2023 en application d'une ordonnance du 9 octobre 2023.
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, par un courrier du 4 avril 2024, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur des moyens d'ordre public relevés d'office tirés :
- de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation dirigées contre une décision rejetant une demande tendant à ce que soit engagée une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent public, à défaut d'un intérêt à agir du requérant ;
- de l'irrecevabilité, pour tardiveté, des conclusions nouvelles présentées dans le mémoire du requérant enregistré le 18 mars 2024.
Par un mémoire enregistré le 11 avril 2024, M. B a présenté des observations en réponse aux moyens d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 ;
- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d'un fonds de solidarité ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité ;
- le décret n° 2022-74 du 28 janvier 2022 ;
- le décret n° 2022-348 du 12 mars 2022 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. de Palmaert,
- et les conclusions de M. Lancelot, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B a créé en juillet 2019 une entreprise individuelle pour son activité de coiffeur conseil, consistant notamment en l'organisation de conférences rémunérées autour d'un ouvrage dont il est l'auteur. Son activité de conférencier ayant été interrompue par la crise sanitaire du covid-19, M. B a bénéficié d'aides financières versées au titre du fonds de solidarité à destination des entreprises, à hauteur de 19 468 euros. Il a sollicité le versement de nouvelles aides au titre de ce même fonds, pour les mois de novembre 2021, décembre 2021, janvier 2022 et février 2022. Ces demandes ont été rejetées par le directeur régional des finances publiques de la Martinique, de même que le recours gracieux formé ensuite par M. B contre ces refus. Par la présente requête, M. B demande l'annulation des décisions lui ayant refusé le bénéfice du fonds de solidarité pour les mois de novembre 2021 à février 2022, ensemble la décision refusant d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de l'agent qui a suivi son dossier au sein de la direction régionale des finances publiques de la Martinique.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
3. M. B soutient que les lois n°s 2021-689, 2021-1040 et 2022-46, respectivement promulguées les 31 mai 2021, 5 août 2021 et 22 janvier 2022, méconnaissent la Constitution en tant qu'elles mettent en place un " passe sanitaire " et un " passe vaccinal ". Il demande en conséquence le renvoi au Conseil d'Etat de cette question prioritaire de constitutionnalité.
4. Il ressort des pièces du dossier que le mémoire introductif d'instance de M. B concluait à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 40 000 euros en réparation des préjudices qu'il prétend avoir subis en lien avec ces trois lois qu'il qualifie de " lois vaccinales ", la mise en place du " passe sanitaire " puis du " passe vaccinal " l'ayant selon lui empêché de reprendre son activité professionnelle de conférencier. Toutefois, après avoir été informé par le greffe du tribunal que de telles conclusions doivent à peine d'irrecevabilité être présentées avec le ministère d'un avocat, M. B, par un mémoire enregistré le 2 janvier 2023, a modifié ses conclusions. Abandonnant ses conclusions indemnitaires, le requérant demande désormais principalement l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision par laquelle le directeur régional des finances publiques de la Martinique a rejeté sa demande tendant au bénéfice du fonds de solidarité pour les mois de novembre 2021 à février 2022. Or, ce nouveau litige, bien que relatif à la mise en œuvre d'un dispositif d'aide aux entreprises pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire du covid-19, est dénué de tout rapport avec la mise en place, par les trois lois contestées, du " passe sanitaire " et du " passe vaccinal ". Les dispositions législatives contestées ne sont ainsi pas applicables au présent litige, le fonds de solidarité ayant au demeurant été instauré par d'autres dispositions législatives. En tout état de cause, les dispositions contestées par M. B ont été jugées conforme à la Constitution par le conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de ses décisions n°s 2021-819 DC du 31 mai 2021, n° 2021-824 DC du 5 août 2021 et n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. B tendant à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée soit renvoyée au Conseil d'Etat pour transmission au Conseil constitutionnel.
Sur la recevabilité :
6. En premier lieu, la décision par laquelle une autorité administrative inflige, dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire, une sanction à un agent placé sous ses ordres a pour seul objet de tirer, en vue du bon fonctionnement du service, les conséquences que le comportement de cet agent emporte sur sa situation vis-à-vis de l'administration. Dès lors, un tiers est dépourvu d'intérêt à déférer au juge de l'excès de pouvoir la décision par laquelle l'autorité administrative met en œuvre, ou refuse de mettre en œuvre, l'action disciplinaire à l'encontre d'un agent. Il s'ensuit que les conclusions de M. B, tendant à l'annulation de la décision du directeur régional des finances publiques de la Martinique de ne pas engager de poursuites disciplinaires à l'encontre de l'agent du service qui a été son interlocuteur, sont irrecevables et doivent être rejetées.
7. En second lieu, M. B a présenté de nouvelles conclusions dans son mémoire enregistré le 18 mars 2024, soutenant désormais que les montants des aides financières dont il a bénéficié en 2021 étaient insuffisants, demandant que lui soit versé en conséquence la somme de 33 093 euros. Ces conclusions nouvelles, présentées plus de deux mois après l'enregistrement de la requête, et au demeurant postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue le 9 novembre 2023, sont irrecevables. Par suite, elles doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation.
Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".
9. En l'espèce, il n'est pas démontré ni même soutenu que M. B aurait demandé au directeur régional des finances publiques de la Martinique la communication des motifs pour lesquels ce dernier a refusé de le faire bénéficier du fonds de solidarité au titre des mois de novembre 2021, décembre 2021, janvier 2022 et février 2022. Par suite, à supposer qu'il ait été soulevé par le requérant, le moyen tiré de ce que la décision implicite de refus attaquée n'est pas motivée est inopérant et ne peut qu'être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : " La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. / Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. ".
11. Pour contester la légalité des décisions lui ayant refusé les aides financières sollicitées, M. B excipe de l'inconstitutionnalité des décrets du 28 janvier 2022 et du 12 mars 2022 susvisés en tant qu'ils prévoient de nouvelles conditions d'éligibilité au fonds de solidarité, selon lui moins favorables aux entreprises que pour les mois antérieurs, en méconnaissance d'un droit de rang constitutionnel à la " sécurité matérielle ". Il ressort toutefois des dispositions de l'article 3-30 du décret du 30 mars 2020 susvisé, tel que modifié par les deux décrets contestés par le requérant, que le dispositif d'aide financière a été maintenu pour de nombreuses entreprises, même si ce soutien était désormais principalement réservé aux entreprises ayant subi une interdiction d'accueillir du public. M. B fait valoir qu'il a été empêché de reprendre son activité professionnelle au motif que, ayant fait le choix de ne pas se faire vacciner, l'absence de " passe sanitaire " aurait compromis sa reprise d'activité. Toutefois, un tel choix a été fait en toute liberté par M. B qui, au demeurant, ne soutient pas souffrir de contre-indications médicales à la vaccination. Ce choix ne le privait en rien des aides sociales, qu'il a perçues de la caisse des allocations familiales ainsi que cela ressort des pièces du dossier. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'en modifiant les conditions d'éligibilité des entreprises au fonds de solidarité, les deux décrets auraient porté atteinte au droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence au sens de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Ces deux décrets ne sont pas davantage entachés d'erreur manifeste d'appréciation ou d'erreur de droit. Il s'ensuit qu'en refusant de faire bénéficier M. B du fond de solidarité au titre des mois de novembre 2021, décembre 2021, janvier 2022 et février 2022, le directeur régional des finances publiques de la Martinique n'a pas entaché d'illégalité sa décision. Il s'ensuit que les conclusions à fin d'annulation de la requête doivent être rejetées dans cette mesure de même que, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.
Article 2 : La requête de M. B est rejetée.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C B et au directeur régional des finances publiques de la Martinique.
Copie en sera adressée au secrétaire général du Gouvernement et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Laso, président,
M. de Palmaert, premier conseiller,
Mme Monnier-Besombes, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.
Le rapporteur,
S. de Palmaert
Le président,
J-M. Laso
La greffière,
M. A
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.