Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 30 avril 2024 n° 2303108

30/04/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2023, Mme A B ép. Ruimy, représentée par Me Soubeyran-Viotto, demande au tribunal :

1°) de prononcer la restitution, assortie des intérêts moratoires, des contributions sociales prélevées sur les produits d'assurance-vie souscrits par Mme C épouse B, soit 141 993,21 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les dépens, la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que les dispositions du c) du 3° du II de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, sur lesquelles se fonde l'imposition contestée, sont contraires à la Constitution.

Par un mémoire en défense, enregistrée le 18 septembre 2023, le directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête comme mal fondée.

Par des mémoires distincts, enregistrés les 14 mars et 5 juin 2023, Mme B demande au tribunal, à l'appui de ses conclusions en restitution, de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du c) du 3° du II de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale.

Elle soutient que :

- les dispositions contestées sont applicables au litige ;

- ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

- la question posée présente un caractère sérieux ; en effet, les dispositions en cause, en ce qu'elles conduisent à mettre à la charge tant du souscripteur que du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie une imposition sur des revenus qu'ils n'ont pas perçus, entraînent une rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques posé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2023, le directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise conclut à ce que soit rejetée la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité posée.

Il soutient que cette question ne présente pas de caractère sérieux.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5

- le code des assurances ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Huon, président-rapporteur,

- et les conclusions de M. Chabauty, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D B, qui avait souscrit, le 22 décembre 2000, un contrat d'assurance-vie, dénommé Multisupport 459, auprès de la société Sogecap est décédée le 20 octobre 2020. Son époux est décédé le 6 décembre suivant sans avoir le temps d'accepter ou de renoncer expressément au bénéfice du contrat. C'est ainsi que la société Sogecap, outre qu'elle a procédé à la liquidation du prélèvement de l'article 990 I du code général des impôts, a, par lettre du 22 avril 2022, notifié aux héritiers de Mme B les prélèvements sociaux appliqués aux produits de l'assurance-vie, en vertu du c) du 3° du II de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale. Aux termes d'une réclamation du 1er août 2022, Mme A B, fille de la défunte, a notamment demandé la restitution de ces prélèvements sociaux. Cette réclamation ayant fait l'objet d'un rejet implicite, l'intéressée réitère ses prétentions devant le juge de l'impôt.

Sur la demande de transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

3. D'une part, aux termes de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale : " I.- Lorsqu'ils sont payés à des personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts, les produits de placements sur lesquels sont opérés les prélèvements prévus au II de l'article 125-0 A, aux II, III, second alinéa du 4° et deuxième alinéa du 9° du III bis de l'article 125 A et au I de l'article 125 D du même code, ainsi que les produits de placements mentionnés au I des articles 125 A et 125-0 A du même code retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu lorsque la personne qui en assure le paiement est établie en France, sont assujettis à une contribution à l'exception de ceux ayant déjà supporté la contribution au titre des articles L. 136-3 et L. 136-4 du présent code ou des 3° et 4° du II du présent article () / II.- Sont également assujettis à la contribution selon les modalités prévues au premier alinéa du I, pour la part acquise à compter du 1er janvier 1997 et, le cas échéant, constatée à compter de cette même date en ce qui concerne les placements visés du 3° au 9° : (); / 3° Les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation, ainsi qu'aux placements de même nature mentionnés à l'article 125-0 A du code général des impôts, quelle que soit leur date de souscription, à l'exception des produits attachés aux contrats mentionnés à l'article 199 septies du même code : () / c) Lors du dénouement des bons ou contrats ou lors du décès de l'assuré. L'assiette de la contribution est calculée déduction faite des produits ayant déjà supporté la contribution au titre des a et b nets de cette contribution () / V.- La contribution visée au premier alinéa du I et aux II et IV ci-dessus est assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A du code général des impôts () ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 132-12 du code des assurances : " Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l'assuré " ; aux termes de l'article L. 132-13 de ce code : " Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant ".

5. L'article L 136-7 du code de la sécurité sociale soumet aux prélèvements sociaux les produits des bons ou contrats de capitalisation et placements de même nature, tels les contrats d'assurance-vie, visés à l'article 125-0 A du code général des impôts. L'article 18 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010 a institué, au c) du 3° du II de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, un nouveau fait générateur d'imposition aux prélèvements sociaux des produits des contrats d'assurance vie pour y soumettre, en cas de dénouement du contrat par le décès de l'assuré, les produits qui ne l'avaient pas été de son vivant. Ces dispositions s'appliquent aux produits des contrats d'assurance-vie dénoués par le décès de l'assuré à compter du 1er janvier 2010, quelle que soit la date de conclusion du contrat ou de versement des primes.

6. Mme B soutient que les dispositions du c) du 3° du II de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques posé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles conduisent à mettre à la charge tant du souscripteur que du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie une imposition sur des revenus qu'ils n'ont pas perçus.

7. Toutefois, en premier lieu, il ressort des dispositions en cause que les prélèvements sociaux deviennent exigibles lors du dénouement du contrat d'assurance-vie, que ce dernier résulte de son rachat par l'assuré ou du décès de ce dernier, et frappent non pas des gains réalisés par le bénéficiaire du contrat, mais uniquement ceux réalisés jusqu'au dénouement du contrat par l'assuré. Ce dernier est le seul redevable des contributions litigieuses, qui, en vertu du V de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, sont prélevées sur les sommes à transmettre au bénéficiaire, lequel se voit ainsi transmettre, outre le capital, les produits y attachés minorés desdites contributions. Ainsi, dès lors que le bénéficiaire perçoit un montant net des contributions sociales dues par le souscripteur, dont le niveau est, par hypothèse, indépendant des facultés contributives dudit bénéficiaire, et tandis qu'il est constant que la somme versée au bénéficiaire est identique à celle qu'aurait perçue le souscripteur si le contrat avait été dénoué du vivant de celui-ci, il ne saurait être sérieusement soutenu que les dispositions contestées mettraient à la charge du bénéficiaire du contrat des impositions qui excéderaient ses facultés contributives.

8. En second lieu, les dispositions contestées ne méconnaissent pas davantage les facultés contributives du souscripteur dès lors qu'à l'occasion du dénouement du contrat, par rachat ou décès de l'assuré, l'assiette des prélèvements sociaux est arrêtée déduction faite des produits ayant déjà supporté ces prélèvements, de sorte que l'imposition finalement due par le contribuable est seulement assise sur les bénéfices ou revenus qu'il a effectivement retirés de ce contrat, étant, par ailleurs relevé que cette imposition n'est pas progressive mais proportionnelle à ces seuls bénéfices ou revenus et, par suite, indépendante de la capacité contributive de leur redevable appréciée dans son ensemble.

9. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Sur les conclusions aux fins de restitution et d'application des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

10. A l'appui de ses conclusions en restitution, Mme B s'est bornée à soulever la question prioritaire de constitutionalité analysée ci-dessus. Dès lors, ainsi qu'il vient d'être dit, qu'il n'y a pas lieu de transmettre cette question au Conseil d'Etat, ces conclusions, ainsi, par voie de conséquence, que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Enfin, en l'absence de dépens, la demande présentée à ce titre doit également être rejetée.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.

Article 2 : La requête de Mme B est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B ép. Ruimy et au directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 16 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Huon, président,

Mme Richard, première conseillère,

Mme Froc, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

L'assesseure la plus ancienne

signé

A. RICHARD

 

 

Le président

signé

C. HUON

La greffière

signé

A. TAINSA

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.