Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
I. Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 décembre 2023, 17 mars et le 10 avril 2024 sous le n° 2300575, la SARL Société Australe d'Animation Touristique (SAAT), représentée par Maîtres Tehio et Julié, demande au tribunal :
1°) l'annulation de la décision implicite de rejet née le 27 juin 2023 du silence conservé pendant six mois par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur la réclamation de la société SAAT, reçue le 27 décembre 2022, tendant à la décharge de l'intégralité des cotisations de taxe sur les spectacles, jeux et divertissements, au titre du 1er janvier 2020 au 30 novembre 2022 ;
2°) la décharge de l'intégralité des cotisations de taxe sur les spectacles et produits du jeu, en droits et pénalités, au titre du 1er janvier 2020 au 30 novembre 2022 et des intérêts y afférents ;
3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 1 000 000 francs CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL SAAT soutient que :
- les cotisations litigieuses procèdent de dispositions législatives du CINC (articles 626 et 897 du CINC) qui sont contraires aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques et qui portent atteinte au principe de la liberté d'entreprendre ;
- ces impositions ont été prises sur le fondement de ces dispositions qui sont inconventionnelles car contraire au principe d'égalité garanti par l'article 20 de la Charte européenne des droits fondamentaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2024, la Nouvelle Calédonie conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir, à titre principal, que la requête est irrecevable et, à titre subsidiaire, qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 12 avril 2024, la province Sud conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
II. Par des mémoires distincts, enregistrés le 18 décembre 2023, le 17 mars, le 10 avril et le 11 avril 2024, sous le n° 2300574, présentés en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la SARL Société Australe d'Animation Touristique (SAAT), représentée par Maîtres Tehio et Julié, demande au tribunal :
1°) de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité suivante : " les dispositions de l'article 626 A/ et celles de l'article 897 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie relatifs à la taxe sur les spectacles et les produits des jeux sont-elles contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment aux articles 4, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ' " ;
2°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 1 000 000 francs CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les conditions à la transmission sont remplies ;
- le Conseil constitutionnel n'a jamais examiné la conformité des dispositions du A de l'article 626 du CINC ;
- le " changement des circonstances " de fait ou et de droit depuis le précédent contrôle de constitutionnalité justifie, conformément à l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, que le Conseil constitutionnel réexamine la constitutionnalité des dispositions de l'article 897 du CINC ;
- l'accroissement du caractère confiscatoire de cette imposition, constitutif d'une violation de l'égalité devant les charges publiques garantie par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, constitue un changement de circonstances de droit ;
- les dispositions législatives contestées manifestent une méconnaissance, par le législateur, du principe d'égalité devant la loi, du principe d'égalité devant les charges publiques, et, en tout état de cause, de la liberté d'entreprendre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2024, la Nouvelle-Calédonie conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 15 mars 2024, la province Sud conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;
- le code des impôts de Nouvelle-Calédonie ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Prieto, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Peuvrel, rapporteure publique,
- et les conclusions de Me Tehio, avocat de la requérante, de M. A, représentant la Nouvelle-Calédonie et de Mme B, représentant la province Sud.
Considérant ce qui suit :
1. En vertu de ses statuts, la SARL Société Australe d'Animation Touristique (SAAT) a notamment pour objet " l'acquisition, la création, l'aliénation, l'échange, la prise à bail ou location et l'exploitation, directe ou indirecte, de maisons de jeux en tout genre ou de casinos, et plus spécialement, d'un établissement de jeux de " Bingo " () ".
2. La SAAT demande au tribunal l'annulation de la décision implicite de rejet née le 27 juin 2023 du silence conservé pendant six mois par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur la réclamation de la société SAAT, reçue le 27 décembre 2022, tendant à la décharge de l'intégralité des cotisations de taxe sur les spectacles, jeux et divertissements, au titre du 1er janvier 2020 au 30 novembre 2022, ainsi que la décharge de l'intégralité des cotisations de taxe sur les spectacles et produits du jeu, en droits et pénalités, au titre du 1er janvier 2020 au 30 novembre 2022 et des intérêts y afférents.
3. Par des mémoires distincts, la SAAT demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 626 A/ et celles de l'article 897 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie relatifs à la taxe sur les spectacles et les produits des jeux.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l'article 626 A/ et celles de l'article 897 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie relatifs à la taxe sur les spectacles et les produits des jeux :
4. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".
5. Aux termes de l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : " Les lois du pays ont force de loi dans le domaine défini à l'article 99. Elles ne sont susceptibles d'aucun recours après leur promulgation. / Les dispositions d'une loi du pays peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-12 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. / Les dispositions d'une loi du pays intervenues en dehors du domaine défini à l'article 99 ont un caractère réglementaire. Lorsqu'au cours d'une procédure devant une juridiction de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire, la nature juridique d'une disposition d'une loi du pays fait l'objet d'une contestation sérieuse, la juridiction saisit, par un jugement qui n'est susceptible d'aucun recours, le Conseil d'Etat qui statue dans les trois mois. Il est sursis à toute décision sur le fond jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la nature de la disposition en cause. () ". Aux termes de l'article 99 de la même loi organique : " Les délibérations par lesquelles le congrès adopte des dispositions portant sur les matières définies à l'alinéa suivant sont dénommées : "lois du pays". Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la présente loi : ().
6. La SAAT soutient qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l'article 626 A/ et celles de l'article 897 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie relatifs à la taxe sur les spectacles et les produits des jeux sont contraires aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques et de la liberté d'entreprendre.
7. En premier lieu, aux termes de l'article 623 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie : " Sont soumis à la taxe sur les produits des jeux, les jeux d'argent définis à l'article 626. () ". Aux termes de l'article 626 A : " Les tarifs d'imposition sont fixés comme suit :
A/ Cercles et maisons de jeux. Tarif : 0,5 % du produit net des jeux d'argent pratiqués.
S'y ajoutent : 1) pour le jeu de Bingo un complément de taxe égal à 0,1 % de la valeur totale des cartons vendus, 2) sur le produit des machines à sous un complément de taxe égal à 0,1 %, sans que ces prélèvements puissent être admis en déduction pour la détermination du produit net des jeux. Le produit net des jeux d'argent s'entend : - en ce qui concerne l'ensemble des recettes, à l'exception de celles procurées par les junket-tours et du Texas hold'em Poker, du produit brut des jeux, augmenté du total des pourboires reçus et diminué des salaires, charges sociales et rémunérations autres que celles versées aux membres du conseil d'administration ; - en ce qui concerne les recettes provenant des junket-tours et du Texas hold'em Poker, du produit brut des jeux, diminué de l'ensemble des frais spécialement engagés pour la réalisation de ces opérations. ".
8. Lorsque la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions d'une délibération ou d'un arrêté du congrès de Nouvelle-Calédonie, qui ne relèvent pas du domaine de la loi, ces dispositions, dès lors qu'elles sont réglementaires ne sont, par suite, pas au nombre des dispositions législatives susceptibles d'être renvoyées au Conseil constitutionnel en application de l'article 61-1 de la Constitution et de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique. La question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée ne peut faire l'objet d'une transmission au Conseil d'Etat, sans préjudice de l'examen par le juge des moyens soulevés à l'appui du recours pour excès de pouvoir formé contre les textes en cause mettant en cause la conformité à la Constitution de ces dispositions réglementaires.
9. Les lois du pays peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité à condition d'avoir été adoptées dans le respect des articles 100 à 103 de la loi organique et de n'avoir pas fait l'objet d'une décision constatant qu'elles seraient intervenues hors du domaine que leur impartit l'article 99 de cette même loi organique. En l'espèce, les dispositions de l'article désormais codifié au A/ de l'article 626 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie résultent de textes antérieurs à la loi organique du 19 mars 1999, à savoir la délibération n° 396 du 27 avril 1972 relative à la taxe sur les spectacles, jeux et divertissements et les délibérations modificatives n° 263 du 22 décembre 1987 portant diverses dispositions d'ordre fiscal, en son article 3, et n° 30 du 22 décembre 1989 relative au budget 1990 du Territoire et portant diverses dispositions financières et fiscales, en son article 17. Ainsi, les délibérations de " l'assemblée territoriale " de la Nouvelle-Calédonie, prises avant la loi organique statutaire de 1999 qui institue les lois du pays, présentent la nature d'acte administratif susceptible d'être soumis au juge administratif, alors même que certaines de leurs dispositions relèvent aujourd'hui de la loi du pays. Dans ces conditions, les dispositions réglementaires de l'article 626 A en cause ne sont donc pas au nombre de celles dont le Conseil constitutionnel peut contrôler la conformité à la Constitution en application de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
10. En second lieu, aux termes de l'article 897 : " Les assemblées des provinces sont autorisées à percevoir des centimes additionnels à des impôts dans les limites suivantes : 30 centimes sur la contribution des patentes ; 30 centimes sur la contribution foncière ; 50 centimes sur les droits de licence ; 1.300 centimes sur la contribution téléphonique ; 10 ou 20 centimes sur les droits d'enregistrement afférents aux mutations à titre onéreux d'immeubles, de droits immobiliers, calculés sur la base d'un taux de 10% ; 10 ou 20 centimes sur les droits d'enregistrement afférents aux mutations à titre onéreux de fonds de commerce, de droits mobiliers assimilés et aux cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière. Ces centimes sont calculés sur la base du taux de 10% ; sur l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, calculé sur la base d'un taux de 10%, dans la limite fixée à l'article R 897.1. Les assemblées de province sont autorisées à percevoir des centimes additionnels sur la taxe sur les spectacles et les produits des jeux afférents au produit net des jeux d'argent dans les limites fixées par délibération du congrès. Les centimes sur la taxe sur les spectacles et sur le produit des jeux et sur les compléments de cette taxe sont votés et perçus par la province où se situe le cercle ou la maison de jeux visés au A de l'article 626 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie. Ces centimes sont calculés sur la base d'un taux de : - 40% sur la taxe sur les spectacles et sur les produits des jeux afférente au produit net des jeux d'argent défini au A/ de l'article 626 ; - 4,5 % sur le complément de taxe sur les spectacles et sur les produits des jeux afférente à la vente de cartons pour le jeu de bingo, visé au A/ de l'article 626 ; - 5 % sur le complément de la taxe sur les spectacles et les produits des jeux afférente au produit des machines à sous, visé au A/ de l'article 626. Les centimes additionnels provinciaux ne s'appliquent pas aux mutations à titre onéreux de droits miniers et aux conventions totalement exonérées de droits proportionnels d'enregistrement. En ce qui concerne la contribution des patentes, les assemblées des provinces peuvent décider de soustraire de la base de calcul des centimes additionnels tout ou partie du montant des exportations visées à l'article 227. En ce qui concerne la contribution téléphonique, les assemblées de province peuvent décider d'exonérer de la moitié ou de la totalité des centimes additionnels à cet impôt, les personnes âgées de soixante ans révolus dont les ressources personnelles sont inférieures ou égales au plafond ouvrant droit à l'aide sociale aux personnes âgées, ainsi que les handicapés dont les ressources personnelles sont inférieures ou égales aux plafonds ouvrant droit aux aides sociales aux adultes handicapés et adultes lourdement handicapés, prévus par la délibération cadre relative à l'aide médicale et aux aides sociales susvisée "
11. Les dispositions précitées de l'article 897 du CINC ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 2014-5 LP du 27 février 2015 du Conseil constitutionnel qui a jugé que les dispositions de cette loi du pays ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle ni aucune autre disposition de la loi organique du 19 mars 1999.
12. La société SAAT soutient que la mise en place à compter du 1er janvier 2015 de la contribution calédonienne de solidarité (CCS) sur le produit net des jeux (article 726 du CINC) et la simplification à compter du 1er janvier 2017 de la base imposable de la taxe communale sur les jeux constitue un changement de circonstances et aurait accru le caractère confiscatoire de l'imposition devant conduire à un réexamen de la constitutionnalité de l'article 897 du CINC.
13. Il résulte toutefois de l'instruction que la CCS et le prélèvement sur les jeux au profit de la ville de Nouméa ne partagent pas la même assiette que les centimes additionnels provinciaux et constituent des impositions distinctes. Au demeurant, le prélèvement communal de 10% sur les jeux procède d'un cahier des charges signé entre la ville de Nouméa et la société SAAT en application de la délibération n° 26/CP de l'assemblée du territoire du 23 juillet 1985 et se trouve repris à l'article 890 du CINC par la délibération n° 91/CP du 20 septembre 1996. En outre, l'évolution des recettes fiscales résultant d'une détérioration de la situation des finances publiques locales ne constitue pas un changement de circonstances qui justifierait, en lui-même, un réexamen des dispositions en cause.
14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée au Conseil d'Etat.
Sur la requête n°2500574 :
Sur les conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet née le 27 juin 2023 du silence conservé pendant six mois par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur la réclamation de la société SAAT, reçue le 27 décembre 2022, tendant à la décharge de l'intégralité des cotisations de taxe sur les spectacles, jeux et divertissements, au titre du 1er janvier 2020 au 30 novembre 2022 :
15. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. En outre, toute personne participant au même pari ou au même jeu doit être assujettie à l'impôt dans les mêmes conditions.
16. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, s'agissant de la taxe spéciale sur le produit des jeux, les jeux du casino et celui du bingo sont taxés sur une même base imposable constituée par le produit net des jeux pour la taxe spéciale sur le produit des jeux et 40% de ce produit net pour les centimes additionnels et un taux unique de 40,5% (0,5 % de taxe spéciale sur le produit des jeux et 40 % de centimes additionnels provinciaux).
17. Si une différence notable opère pour le seul complément de la taxe spéciale sur le produit des jeux dès lors que le jeu du bingo est imposé sur la totalité des cartons vendus alors que les machines à sous sont imposées sur le produit brut des jeux, l'écart qui en résulte est en partie compensé par un taux de taxation plus élevé pour le casino à hauteur de 5,1% contre un taux de 4,6 pour le bingo. En outre, en vertu des annexes 17 et 18 de l'arrêté n°748 bis modifié du 26 août 2003 portant réglementation des établissements de jeux de hasard, le taux de redistribution des mises entre les jeux de bingo se situe à 65% contre 85% pour le jeu des machines à sous. Enfin, ces deux jeux présentent des caractéristiques différentes, la nature du gain étant connue à l'avance dans le jeu de bingo alors que la dimension aléatoire caractérise celui des machines à sous. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée porte atteinte au principe d'égalité.
18. En deuxième lieu, aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789, " pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que, pour des motifs d'intérêt général, le législateur édicte des mesures différenciées à condition qu'il se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts poursuivis et qu'il n'en résulte pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Pour apprécier le caractère confiscatoire d'une imposition, il convient de prendre en compte l'ensemble des impositions pesant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable et il n'y a pas lieu de prendre en compte, dans l'appréciation de ce caractère confiscatoire, les diverses impositions auxquelles est assujettie cette société pour d'autres opérations.
19. En l'espèce, la société requérante soutient que le taux d'imposition cumulé du produit net des jeux du bingo serait égal à 84,66%, présenté comme la somme des impôts et taxes résultant de la taxe sur les produits des jeux, du complément de taxe à la taxe sur les produits des jeux, des centimes additionnels provinciaux, de la CCS, du prélèvement communal, et de la part représentative de l'impôt sur les sociétés appliqué sur le produit net des jeux. Il résulte toutefois de l'instruction que ce résultat est obtenu par l'addition d'impôts et taxes présentant des bases imposables multiples. Ainsi, le complément de taxe de 0,1% applicable sur la seule valeur totale des ventes de cartons de bingo et les centimes additionnels provinciaux n'ont pas pour base le produit net mais une base théorique de l'impôt principal égal au produit net des jeux auquel est appliqué le taux de 40%. Le résultat obtenu, mis en rapport avec les centimes additionnels votés dans la limite de 100 par la province concernée, détermine le montant de l'imposition provinciale. S'agissant de l'impôt sur les sociétés, le bénéfice imposable est le bénéfice net défini aux articles 181 et 18 II du code des impôts de Nouvelle-Calédonie est déterminé selon les règles fixées par les articles 9 à Lp. 36-3, qui sont sans rapport avec les impositions relatives à la taxe sur le produit des jeux et les centimes additionnels. Dans ces conditions, par les motifs invoqués, la société requérante n'établit pas que la décision attaquée porterait atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
20. En dernier lieu, la liberté d'entreprendre, qui n'est ni générale ni absolue, s'exerce dans le cadre d'une réglementation instituée par la loi. Seuls les prélèvements faisant peser sur les acteurs économiques des sujétions particulières de nature à contraindre leur activité, peuvent porter atteinte à cette liberté.
21. En l'espèce, d'une part, les dispositions fiscales en litige ont seulement pour objet de fixer les taux et modalités de taxation tant de la taxe sur les produits des jeux que des centimes additionnels et non d'encadrer ou de remettre en cause la réglementation des jeux de hasard. D'autre part, en créant des centimes additionnels au profit des provinces, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a dans le même temps abaissé le taux de la taxe sur les produits des jeux. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée porte atteinte au principe de la liberté d'entreprendre.
22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la Nouvelle-Calédonie, que les conclusions aux fins d'annulation et de décharge de la requête doivent être écartées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société requérante doivent dès lors être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SARL Société Australe d'Animation Touristique.
Article 2 : La requête n°2300574 de la SARL Société Australe d'Animation Touristique est rejetée.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Société Australe d'Animation Touristique, à la Nouvelle-Calédonie et à la province Sud.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Délibéré après l'audience du 18 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Sabroux, président,
M. Prieto, premier conseiller,
M. Briquet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2024.
Le rapporteur,
G. PRIETOLe président,
D. SABROUX Le greffier de chambre,
J. LAGOURDE
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
pc
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