Renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 25 janvier 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège de l'ordre judiciaire, avant qu'il soit statué sur la demande du garde des sceaux, ministre de la justice de voir prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de M. A B, a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 52 et 56 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, notamment ses articles 52 et 56 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. B ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article 52 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction issue de l'article 27 de la loi organique du 22 juillet 2010 relative à l'application de l'article 65 de la Constitution : " Au cours de l'enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause par un magistrat d'un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s'il y a lieu, le justiciable et les témoins. Il accomplit tous actes d'investigation utiles et peut procéder à la désignation d'un expert. / Le magistrat incriminé peut se faire assister par l'un de ses pairs, par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau. / La procédure doit être mise à la disposition de l'intéressé ou de son conseil quarante-huit heures au moins avant chaque audition ". Aux termes de l'article 56 de la même ordonnance, dans sa rédaction issue de l'article 18 de la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature : " Au jour fixé par la citation, après audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés () ".
3. En premier lieu, ces dispositions, qui figurent à la section II du chapitre VII de l'ordonnance du 22 décembre 1958, sont applicables au litige dont est saisi le Conseil supérieur de la magistrature statuant, comme conseil de discipline des magistrats du siège de l'ordre judiciaire, sur la demande du garde des sceaux, ministre de la justice tendant au prononcé d'une sanction disciplinaire à l'encontre d'un magistrat du siège.
4. En second lieu, si le Conseil constitutionnel, par ses décisions n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, a déclarés conformes à la Constitution, respectivement, les articles 52 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dans leur rédaction applicable au présent litige, le Conseil a, par sa décision ultérieure n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause les dispositions de l'ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires, jugé que le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, qui résulte de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition et implique que le professionnel faisant l'objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire.
5. Cette dernière décision constitue une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité à la Constitution des dispositions des articles 52 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Elle conduit à considérer que le moyen tiré de ce que ces dispositions, en tant qu'elles organisent l'audition du magistrat poursuivi dans le cadre d'une procédure disciplinaire sans prévoir qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux.
6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 52 et 56 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A B et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil supérieur de la magistrature.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Fabienne Lambolez, M. Cyril Roger-Lacan, Mme Nathalie Destais, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.
Rendu le 19 avril 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
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