Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

Jugement du 5 avril 2024 n° 2115614

05/04/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Paris le 30 septembre 2021, M. A B représenté par Me Planchat, avocat, demande à ce Tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujettie au titre de l'année 2017, ainsi que des majorations et intérêts de retard correspondants, pour un montant total de 14 100 euros ;

2°) de mettre à la charge de la l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. B soutient que :

- il peut utilement invoquer, dès lors qu'il a été imposé à raison de revenus réputés distribués, l'irrégularité de la procédure de vérification de comptabilité dont a fait l'objet la société distributrice, qui doit entraîner l'inopposabilité des informations et documents recueillis lors de ce contrôle ;

- l'administration fiscale ne pouvait pas, sur le fondement de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales, demander à la société Porsche Distribution, au titre de son droit de communication, une évaluation du prix du véhicule acquis par le requérant, qui ne peut être regardée comme un document en possession de l'entreprise interrogée.

Par l'ordonnance n° 2120837 du 14 décembre 2021, le président du Tribunal administratif de Paris a transmis au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement de l'article R. 351-3 du code de justice administrative, le dossier de la requête de M. B.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 juin 2022, la directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête.

La directrice départementale des finances publiques du Val-d'Oise fait valoir que les moyens invoqués par M. B ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 17 janvier et 16 février 2024, M. B demande au Tribunal, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2° du 7. de l'article 158 du code général des impôts.

M. B soutient que :

- les dispositions contestées méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- l'intervention de la décision de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 décembre 2023 (n°26604/16) constitue une circonstance de droit nouvelle justifiant la transmission de sa question.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2024, le directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise conclut qu'il n'y a pas lieu pour le Tribunal de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Le directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise fait valoir que les conditions de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas remplies.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Villette, conseiller ;

- et les conclusions de M. Prost, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. À la suite de la vérification de comptabilité de la SARL Centre Relaxations Soins Chiropractiques, dont M. B était le gérant et associé majoritaire, l'administration fiscale a notifié à ce dernier, par une proposition de rectification du 18 octobre 2019, selon la procédure contradictoire, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvement sociaux au titre de l'année 2017, à raison de sommes regardées comme des revenus distribués par la SARL Centre Relaxations Soins Chiropractiques et imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. La réclamation du 19 juillet 2021, présentée par le requérant en vue d'obtenir le dégrèvement de ces impositions supplémentaires a été rejetée par l'administration fiscale par une décision du 28 septembre 2021. M. B demande au Tribunal de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2017, ainsi que des majorations et intérêts de retard correspondants.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". En vertu des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, susvisée, le Tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes du 7. de l'article 158 du code général des impôts : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1, 25. Ces dispositions s'appliquent : () 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice () ". Aux termes du 1. de l'article 109 du même code : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices () ". Aux termes de l'article 111 de ce code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : () c. les rémunérations et avantages occultes () ".

4. Par la décision n° 2019-793 QPC du 28 juin 2019, le Conseil constitutionnel a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré conformes à la Constitution la référence " c " et les mots " et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice " figurant au 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dans ses rédactions résultant respectivement de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 et de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013. Si, par son arrêt Waldner c. France du 7 décembre 2023 (n °26604/16), la Cour européenne des droits de l'homme a pu retenir la violation des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans une affaire mettant en cause, non pas la majoration d'assiette en litige dans la présente instance, mais la majoration de 25 % alors prévue au 1° du 7. de l'article 158 du code général des impôts qui s'appliquait aux contribuables titulaires de revenus imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles soumis à un régime réel d'imposition, et qui n'étaient pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréée, cet arrêt ne saurait constituer, eu égard à sa portée, une circonstance nouvelle de nature à justifier que la conformité des dispositions du 2° du 7 de l'article 158 du code général des impôts à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel.

5. Par suite, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du 2° du 7. de l'article 158 du code général des impôts porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

6. En vertu du principe d'indépendance des procédures de rectification menées à l'encontre, d'une part, d'une société de capitaux, telle la SARL Centre Relaxations Soins Chiropractiques, et, d'autre part, de son associé, M. B, les irrégularités de la procédure de rehaussement suivie à l'encontre de la société sont sans incidence sur l'imposition personnelle de son associé à raison des revenus distribués entre ses mains sur le fondement des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts. Par suite, M. B, qui ne conteste pas spécifiquement le montant des sommes regardées comme lui ayant été distribuées, ne peut utilement soutenir que l'administration fiscale aurait, dans le cadre de la vérification de comptabilité de la SARL Centre Relaxations Soins Chiropractiques, irrégulièrement mis en œuvre son droit de communication, en méconnaissance de l'article L. 85 du livre des procédures fiscales.

7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de décharge présentées par M. B doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Les conclusions présentées à ce titre par la M. B doivent, par suite, être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.

Article 2 : La requête de M. B est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et au directeur départemental des finances publiques du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Kelfani, président, Mme Louazel, conseillère, et M. Villette, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 avril 2024.

Le rapporteur,

signé

G. VILLETTE

Le président,

signé

K. KELFANI

La greffière,

signé

A. CHANSON

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C