Cour de cassation

Arrêt du 7 février 2024 n° 23-90.022

07/02/2024

Non renvoi

N° A 23-90.022 F-D

N° 00290

7 FÉVRIER 2024

RB5

QPC PRINCIPALE : NON-LIEU À RENVOI AU CC

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 7 FÉVRIER 2024

Le tribunal judiciaire de Paris, par jugement en date du 15 novembre 2023, reçu le 21 novembre 2023 à la Cour de cassation, a transmis une question prioritaire de constitutionnalité dans la procédure suivie contre M. [O] [R] et la société [1], des chefs de favoritisme, corruption et recel.

Des observations ont été produites.

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société [1], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« Les dispositions des articles 495-7, 495-9 et 495-11 du code de procédure pénale, en tant qu'elles autorisent le Ministère public à faire usage de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité afin d'opérer un traitement judiciaire partiel d'un dossier pénal consistant à dissocier l'examen de la responsabilité pénale des auteurs et coauteurs d'une infraction principale de celle des individus prévenus de faits connexes qualifiés de complicité, recel et blanchiment de ladite infraction portent-elles atteinte aux principes constitutionnels de la présomption d'innocence, des droits de la défense et d'une bonne administration de la justice quand des mentions figurant dans l'ordonnance d'homologation initiale, décision de justice ayant force de chose jugée en application des dispositions de l'article 495-11 du code de procédure pénale, présentent expressément les personnes - n'ayant pas bénéficié d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité - en qualité d'auteurs d'un délit principal ou lorsque les individus prévenus de faits connexes qualifiés de complicité, de recel ou de blanchiment d'une infraction principale antérieurement constatée lors de la mise en oeuvre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité sont ensuite appelés à comparaître devant le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale et confrontés à l'existence du même acte juridictionnel ainsi qu'au risque de faire l'objet de décisions définitives et inconciliables ? ».

2. Toutefois, dans son mémoire distinct, la société [1] a formulé la question prioritaire de constitutionnalité dans les termes suivants :

« Les articles 41-1-2, 495-7, 495-9 et 495-11 CPP, permettant au Procureur d'obtenir dans une affaire des décisions judiciaires anticipées et partielles via la possibilité de conclure des CJIP ou des CRPC et d'obtenir leurs décisions d'homologation, avec une personne désignée comme coauteur, receleur ou complice de l'infraction principale, obtenant ainsi sa reconnaissance des faits et/ou sa déclaration de culpabilité avant toute audience devant la formation du Tribunal saisie du dossier, alors que le prévenu à cette audience, accusé dans la procédure d'être l'auteur, coauteur, complice ou receleur de l'infraction principale, soutient son innocence dans cette procédure, en opposition avec les faits admis et jugés lors de la CRPC ou la CJIP sont-ils conformes à la constitution et notamment au principe de l'impartialité objective - en ce que cela donne aux justiciables l'image d'une décision à venir ne pouvant s'affranchir de cette culpabilité reconnue par d'autres mais impliquant directement le prévenu -, de la présomption d'innocence et des droits de la défense - puisque ces décisions d'homologation des CRPC ou de CJIP et les accords ainsi homologués, présentent et préjugent les prévenus comme auteurs, complices ou receleurs des infractions reconnues par les personnes ayant accepté ces accords - et de l'indépendance du juge judiciaire en ce que la formation du Tribunal saisie au fond se trouve liée par l'autorité d'une décision de culpabilité à laquelle elle n'a pas participé ? ».

3. Si la question peut être reformulée par le juge à effet de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, il ne lui appartient pas d'en modifier l'objet et la portée. Dans une telle hypothèse, il y a lieu de considérer que la Cour de cassation est régulièrement saisie et se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité telle qu'elle a été soulevée dans le mémoire distinct produit devant la juridiction qui la lui a transmise.

4. Les dispositions législatives contestées, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 pour la première, de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 pour la deuxième et de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 décembre 2019 pour les troisième et quatrième, sont applicables à la procédure et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

5. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

6. La question posée ne présente pas un caractère sérieux.

7. En premier lieu, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte à la présomption d'innocence, ni au respect des droits de la défense, pour les motifs qui suivent.

8. D'une part, l'ordonnance d'homologation de la peine proposée dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et l'ordonnance de validation de la convention judiciaire d'intérêt public, ne modifient pas la charge, pour le ministère public, d'établir que sont réunis les éléments constitutifs de l'infraction poursuivie devant le tribunal correctionnel. En effet, si l'ordonnance d'homologation a les effets d'un jugement de condamnation, l'autorité de chose jugée qui lui est attachée ne vaut qu'à l'égard de la partie qu'elle concerne. De même, l'ordonnance de validation, dont l'objet est de valider la proposition de convention, après avoir seulement vérifié le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l'amende et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements, n'emporte pas déclaration de culpabilité et n'a ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation.

9. D'autre part, devant le tribunal correctionnel, le prévenu conserve entiers les droits de la défense qu'il tient notamment de l'article préliminaire du code de procédure pénale, et peut, en cas de condamnation, faire appel du jugement rendu à son encontre.

10. En second lieu, ces dispositions ne portent pas davantage atteinte à l'indépendance et à l'impartialité du tribunal correctionnel, dès lors que l'ordonnance d'homologation et l'ordonnance de validation sont rendues par un juge extérieur à la procédure diligentée à l'encontre du prévenu poursuivi devant cette juridiction par suite de la disjonction des poursuites. De plus, la loi ne prévoit pas que l'ordonnance de validation de la convention judiciaire d'intérêt public, qui n'emporte pas déclaration de culpabilité et n'a ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation, doive se prononcer sur la commission des faits.

11. Il n'y a pas lieu en conséquence de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du sept février deux mille vingt-quatre.

Code publication

n