Non renvoi
N° M 23-83.178 F-D
N° 00292
7 FÉVRIER 2024
RB5
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 FÉVRIER 2024
MM. [S] [W], [U] [N] et [H] [G] ont présenté chacun, par mémoires spéciaux reçus, pour la première, le 15 novembre 2023, pour la deuxième, le 16 novembre 2023 et, pour la troisième, le 6 décembre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion des pourvois formés par eux contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 17 mai 2023, qui a condamné, le premier, pour corruption active d'un magistrat et trafic d'influence actif, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et trois ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, le deuxième, pour corruption active d'un magistrat, trafic d'influence actif et violation du secret professionnel, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et trois ans d'interdiction professionnelle et le troisième, pour recel, corruption passive par un magistrat et trafic d'influence passif, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et trois ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des observations ont été produites.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat M. [U] [N], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [S] [W], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [H] [G], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gillis, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. [U] [N] est ainsi rédigée :
« En édictant les dispositions combinées des articles 99-3 (dans leur version issue de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010), 99-4 (dans leur version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004), 100-5 alinéas 1 et 3 (dans leur version issue de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010) et 100-7 (dans leur version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004) du code de procédure pénale – en ce qu'elles permettent au juge d'instruction de procéder ou de faire procéder à des réquisitions et exploitations de fadettes d'avocat sans prévoir, par contraste avec le dispositif légal désormais en vigueur, des garanties légales suffisantes et adaptées à la particulière sensibilité et confidentialité de ces données liées au secret professionnel de l'avocat –, le législateur a-t-il, d'une part, porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense et, d'autre part, a méconnu sa propre compétence en affectant ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ? ».
2. Les questions prioritaires de constitutionnalité posées pour MM. [S] [W] et [H] [G] sont ainsi rédigées :
« Les dispositions des articles 99-3, 99-4, 100-5 alinéas 1er et 3, et 100-7 du code de procédure pénale, dans leur version applicable aux faits, qui permettent de procéder à des réquisitions et exploitations de fadettes d'avocats sans garanties, sont-elles contraires au droit au respect de la vie privée et aux droits de la défense consacrés par les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ».
3. Les articles 99-3 et 100-5, alinéas 1 et 3, du code de procédure pénale, dans leur version issue de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010, ainsi que les articles 99-4 et 100-7 du même code, dans leur version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, à l'exception du deuxième alinéa de l'article 99-4 et du premier alinéa de l'article 100-7, qui sont relatifs respectivement aux réquisitions prévues par le deuxième alinéa de l'article 60-2 du code de procédure pénale et aux interceptions sur la ligne d'un parlementaire, sont applicables à la procédure.
4. Les mots « aux réquisitions prévues par le premier alinéa de l'article 60-2 » figurant au premier alinéa de l'article 99-4 dans sa version issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 ont été déclarés conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2022-1000 QPC du 17 juin 2022.
5. En revanche, le surplus des dispositions contestées n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. Les questions, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.
7. Les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux pour les motifs qui suivent.
8. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la recherche des auteurs d'infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et les droits de la défense, protégés par les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En revanche, aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats.
9. En premier lieu, l'article 99-3 du code de procédure pénale permet au juge d'instruction ou à l'officier de police judiciaire par lui commis de requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l'instruction, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique. Il permet donc d'obtenir les factures détaillées de la ligne téléphonique d'un avocat. Toutefois, en adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions.
10. En deuxième lieu, la réquisition de données de connexion intervient à l'initiative du juge d'instruction, magistrat du siège dont l'indépendance est garantie par la Constitution, ou d'un officier de police judiciaire qui y a été autorisé par une commission rogatoire délivrée par ce magistrat.
11. D'une part, ces dispositions ne permettent la réquisition de données de connexion que dans le cadre d'une information judiciaire. Le juge d'instruction ne peut informer, en tout état de cause, qu'en vertu d'un réquisitoire du procureur de la République ou, sauf en matière contraventionnelle, dans les conditions prévues aux articles 85 et suivants du code de procédure pénale, à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile.
12. D'autre part, dans le cas où la réquisition de données de connexion est mise en uvre par un officier de police judiciaire en exécution d'une commission rogatoire, cette commission rogatoire, datée et signée par le magistrat, précise la nature de l'infraction, objet des poursuites, et fixe le délai dans lequel elle doit être retournée avec les procès-verbaux dressés pour son exécution par l'officier de police judiciaire. Ces réquisitions doivent se rattacher directement à la répression de cette infraction et sont, conformément à l'article 152 du code de procédure pénale, mises en uvre sous la direction et le contrôle du juge d'instruction.
13. En outre, conformément aux articles 175-2 et 221-1 du code de procédure pénale, la durée de l'information ne doit pas, sous le contrôle de la chambre de l'instruction, excéder un délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l'exercice des droits de la défense.
14. En troisième lieu, les factures détaillées d'une ligne téléphonique utilisée par un avocat ne permettent pas de connaître le contenu des échanges entre un avocat et son client.
15. En dernier lieu, il est indifférent, pour l'appréciation de la constitutionnalité des dispositions contestées, que le législateur ait désormais prévu des garanties spécifiques pour le recueil de données de connexion émises par un avocat.
16. Dès lors, l'article 99-3 du code de procédure pénale, en ce qu'il permet de recueillir les factures détaillées d'une ligne téléphonique utilisée par un avocat, procède à une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée et ne méconnaît ni ce dernier droit ni les droits de la défense.
17. Par voie de conséquence, pour les mêmes motifs, cet article n'est pas entaché d'incompétence négative au motif qu'il ne prévoirait pas des garanties suffisantes s'agissant du recueil des factures détaillées de la ligne téléphonique d'un avocat dans le cadre d'une information judiciaire.
18. S'agissant des articles 100-5, alinéas 1 et 3, et 100-7, alinéas 2 à 4, du code de procédure pénale, ceux-ci ne permettent pas à un juge d'instruction d'obtenir les factures détaillées de la ligne téléphonique d'un avocat. Par ailleurs, ils ne sauraient en tout état de cause être le siège de l'incompétence négative dénoncée. La question est donc dénuée de caractère sérieux à leur égard.
19. Il n'y a pas lieu en conséquence de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du sept février deux mille vingt-quatre.
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