Renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 471674, par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 juin et 7 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'association France Energie Eolienne demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 28 décembre 2022 de la ministre de la transition énergétique et du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, fixant le prix seuil pris en application de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 38 de la loi du 16 août 2022.
2° Sous le n° 471713, par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 juin et 7 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société PSTW demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 28 décembre 2022 de la ministre de la transition énergétique et du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, fixant le prix seuil pris en application de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 38 de la loi du 16 août 2022.
3° Sous le n° 471778, par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 juin et 7 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société TTR Energy et les sociétés Akuo Energy, Boralex Europe, CEH Clean Energies Holding, EOS Wind France, H2air, JP Energie Environnement, Neoen, QEIF General Partner, UNITe, Valeco, Valorem, Volskwind, Voltalia, VSB Green Yield One et W.E.B. Parc Eolien des Vallées demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du
28 décembre 2022 de la ministre de la transition énergétique et du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, fixant le prix seuil pris en application de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 38 de la loi du 16 août 2022.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- le règlement du Conseil de l'Union européenne n° 2022/1854 du 6 octobre 2022 sur une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 ;
- la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'association France Energie Eolienne, et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société TTR Energy et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. Les trois questions prioritaires de constitutionnalité sont dirigées contre les mêmes dispositions. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par une même décision.
2. Le syndicat France Hydro Electricité et les sociétés Enerparc, Parc Eolien des Useroles, Sydela Energie 44 et wpd onshore France sont intervenus en demande dans le cadre de l'action principale et justifient d'un intérêt suffisant à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au soutien de laquelle ils interviennent. Par suite, leurs interventions sont recevables.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
4. Aux termes de l'article 38 de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 : " Le présent article s'applique à tous les contrats offrant un complément de rémunération conclus en application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l'énergie qui prévoient une limite supérieure aux sommes dont le producteur est redevable lorsque la prime à l'énergie mensuelle est négative. / A compter du 1er janvier 2022 inclus, par dérogation à l'article R. 314-49 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2021-1691 du 17 décembre 2021 relatif à l'obligation de transmission d'une attestation de conformité aux prescriptions mentionnées à l'article R. 311-43 du code de l'énergie et portant modification de la partie réglementaire du code de l'énergie relative à la production d'électricité et à la vente de biogaz et aux cahiers des charges mentionnés à l'article L. 311-10-1 dudit code, les contrats mentionnés au premier alinéa du présent article sont ainsi modifiés : / 1° Un arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget détermine, pour chaque année comprise entre 2022 et la date de fin des contrats, un prix seuil. Le projet d'arrêté est soumis pour avis à la Commission de régulation de l'énergie. Cet avis est rendu public. Lorsque, pour un mois donné, le tarif de référence utilisé pour le calcul du complément de rémunération est supérieur ou égal à ce prix seuil, si la prime à l'énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de la somme correspondante pour l'énergie produite et celle-ci n'est pas comptabilisée au titre des montants perçus et versés par le producteur ; / 2° Lorsque, au contraire, le tarif de référence est strictement inférieur au prix seuil, alors, pour le mois considéré : / a) Si le prix de marché de référence de l'électricité calculé selon les modalités prévues par le contrat est inférieur ou égal au prix seuil, les stipulations prévues par le contrat pour le calcul du complément de rémunération et pour le calcul des montants perçus et versés s'appliquent ; / b) Si le prix de marché de référence de l'électricité calculé selon les modalités prévues par le contrat est strictement supérieur au prix seuil, les stipulations relatives au calcul du complément de rémunération s'appliquent en considérant que le prix de marché de référence de l'électricité utilisé pour le calcul de la prime est égal au prix seuil. De plus, le producteur est redevable des sommes égales au volume d'électricité injecté sur les réseaux publics d'électricité durant le mois, multiplié par la différence entre le prix de marché de référence, calculé selon les modalités prévues par le contrat, et le prix seuil. Ces sommes ne sont pas comptabilisées au titre des montants perçus et versés par le producteur ".
5. Par ces dispositions applicables à compter du 1er janvier 2022, le législateur a modifié les contrats en cours conclus par les producteurs d'énergie de source renouvelable et Electricité de France, soit à la suite d'appels d'offres, en application de l'article L. 311-12 du code de l'énergie, soit sur demande, en application de l'article L. 314-18 du même code, et prévoyant le versement par Electricité de France d'un complément de rémunération lorsque le prix du marché auquel les producteurs vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé, selon le cas, soit par le contrat soit par arrêté, et, à l'inverse, le reversement par les producteurs, lorsque le tarif de référence est inférieur au prix du marché, du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, dans la limite du montant total des aides perçues, depuis le début du contrat, au titre du complément de rémunération. Ainsi, désormais, en application des dispositions contestées, le reversement dû par les producteurs à Electricité de France à raison d'un prix de marché supérieur au tarif de référence n'est plus, dans certaines hypothèses, plafonné au montant total des aides perçues depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération, la mise en œuvre et le niveau de ce " déplafonnement " étant fonction d'un prix dit " seuil " déterminé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget pour chaque année, de l'année 2022 à l'année de fin des contrats en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi.
6. Les requérantes soutiennent, en premier lieu, que, par ces dispositions, le législateur a porté, rétroactivement et jusqu'au terme des contrats en cours, atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ainsi qu'à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des situations légalement acquises qui découlent des articles 4 et 16 de la même Déclaration, que cette atteinte n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général suffisant, quand bien même il aurait été allégué au cours des débats parlementaires que la très forte augmentation des prix de l'électricité au cours de l'année 2022 avait créé au profit des producteurs un effet d'aubaine excédant une rémunération raisonnable des capitaux investis et qu'elle est disproportionnée, notamment en comparaison de la mesure décidée par le règlement du Conseil de l'Union européenne du 6 octobre 2022, plafonnant de façon obligatoire les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d'électricité de source renouvelable à un maximum de 180 euros par MWh pour la période comprise entre le 1er décembre 2022 et le 30 juin 2023 et mise en œuvre par les dispositions de l'article 54 de la loi de finances pour 2023 relatives à la contribution sur la rente infra-marginale de la production d'électricité.
7. Elles soutiennent, en second lieu, qu'en renvoyant, sans aucun encadrement, au pouvoir réglementaire le soin de déterminer, pour les années 2022 à 2042, le prix " seuil " annuel qui détermine les conditions de mise en œuvre du mécanisme de " déplafonnement " institué par les dispositions législatives contestées, le législateur a méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution et que cette méconnaissance a, par elle-même, concouru aux atteintes mentionnées au point 6 en tant, notamment, qu'elle ne garantirait pas de façon effective le partage des recettes que le législateur aurait entendu, par les dispositions en cause, instituer entre les producteurs et l'Etat.
8. Les questions soulevées à l'encontre des dispositions de l'article 38 de la loi du 16 août 2022, qui sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, présentent un caractère sérieux et doivent être renvoyées au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions du syndicat France Hydro Electricité et des sociétés Enerparc, Parc Eolien des Useroles, Sydela Energie 44 et wpd onshore France sont admises.
Article 2 : Les questions mettant en cause la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 38 de de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 sont renvoyées au Conseil constitutionnel.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur les conclusions des requêtes n°s 471674, 471713 et 471778 tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 décembre 2022 fixant le prix seuil pris en application de l'article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association France Energie Eolienne, à la société PSTW, à la société TTR Energy pour l'ensemble des requérants sous le n° 471778, au syndicat France Hydro Electricité et, pour l'ensemble des intervenants sous le n° 471778, à la société Enerparc, à la ministre de la transition énergétique et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 juillet 2023 où siégeaient :
Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 26 juillet 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Laurence Chancerel
La République mande et ordonne à la Première ministre, à la ministre de la transition énergétique, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chacun, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
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