Conseil d'Etat

Décision du 19 juillet 2023 n° 469875

19/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier d'Argentan à lui verser la somme de 35 998,04 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat prévue par les dispositions de l'article L. 1243-8 du code du travail et de l'indemnité compensatrice de congés payés prévue par les dispositions de l'article L. 1242-16 du code du travail. Par un jugement n° 2002083 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22NT00422 du 28 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. A contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 20 décembre 2022 et les 15 février et 29 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Argentan la somme de 3 000 euros au titre de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code de la santé publique ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bénabent, avocat de M. A et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier d'Argentan ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier d'Argentan a recruté à plusieurs reprises M. A au cours des années 2019 et 2020, en qualité de praticien contractuel, afin d'assurer des remplacements au sein du service de gériatrie de cet établissement. A l'issue de son dernier contrat, conclu le 21 février 2020, l'intéressé a sollicité le bénéfice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8 du code du travail et de l'indemnité compensatrice de congés payés prévue à l'article L. 1242-16 du même code. M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'il a formé contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier d'Argentan soit condamné à lui verser la somme de 35 998,04 euros au titre de ces indemnités.

Sur l'indemnité de fin de contrat :

2. Aux termes de l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Le personnel des établissements publics de santé comprend, outre les agents relevant de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, les personnels enseignants et hospitaliers mentionnés à l'article L. 952-21 du code de l'éducation et les personnels mentionnés à l'article L. 6147-9 qui y exercent : / () / 2° Des médecins, des odontologistes et des pharmaciens recrutés par contrat dans des conditions déterminées par voie réglementaire () ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1243-8 du code du travail, rendu applicable aux praticiens contractuels par l'article R. 6152-418 du code de la santé publique : " Lorsque, à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation ". Aux termes du 3° de l'article L. 1243-10 du même code, l'indemnité de fin de contrat n'est pas due " lorsque le salarié refuse d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d'une rémunération au moins équivalente ".

3. Lorsqu'un praticien contractuel, employé dans le cadre de contrats à durée déterminée, est recruté comme praticien hospitalier dans le cadre du statut prévu au 1° de l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, la relation de travail se poursuit dans des conditions qui doivent être assimilées, pour l'application de l'article L. 1243-8 du code du travail, à celles qui résulteraient de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée. Lorsque l'établissement a déclaré vacant un emploi de praticien hospitalier relevant de la spécialité du praticien contractuel, un refus de ce dernier de présenter sa candidature sur cet emploi, alors qu'il a été déclaré admis au concours national de praticien des établissements publics de santé prévu à l'article R. 6152-301 du code de la santé publique, doit être assimilé au refus d'une proposition de contrat à durée indéterminée au sens du 3° de l'article L. 1243-10 du code du travail. Par suite, sous réserve qu'eu égard aux responsabilités et conditions de travail qu'il comporte l'emploi vacant puisse être regardé comme identique ou similaire à celui précédemment occupé en qualité de contractuel et qu'il soit assorti d'une rémunération au moins équivalente, l'indemnité de fin de contrat n'est pas due en pareille hypothèse. En revanche, il en va différemment du praticien contractuel qui n'a pas été reçu au concours national de praticien des établissements publics de santé, soit qu'il ne s'y est pas présenté, soit qu'il y a échoué, et qui n'est ainsi pas inscrit sur la liste d'aptitude à la fonction de praticien hospitalier mentionnée à l'article R. 6152-308 du code de la santé publique.

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le centre hospitalier d'Argentan :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. En posant une question prioritaire de constitutionnalité sur une disposition législative, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition.

6. Le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 27 août 1789, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

7. Le centre hospitalier d'Argentan soutient que les dispositions contestées du 3° de l'article L. 1243-10 du code du travail, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, portent atteinte au principe d'égalité devant la loi entre établissements publics de santé au motif que la dispense de versement de l'indemnité de fin de contrat qu'elles prévoient ne s'applique pas lorsque le praticien contractuel qu'ils emploient s'abstient de se présenter au concours national de praticien des établissements publics de santé. Toutefois, ces dispositions traitant l'ensemble des établissements publics de santé de façon identique, le grief soulevé ne présente pas un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne les moyens du pourvoi :

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue du contrat à durée déterminée conclu le 21 février 2020 avec M. A, le centre hospitalier d'Argentan a déclaré vacant un poste de praticien hospitalier titulaire dans sa spécialité afin de rendre possible son recrutement s'il se présentait et était reçu au concours de praticien hospitalier titulaire. En se fondant, pour juger que M. A ne pouvait prétendre au bénéfice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8 du code du travail cité ci-dessus, sur la circonstance que l'intéressé s'est abstenu de présenter sa candidature à ce concours, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'une telle abstention ne saurait être assimilée au refus d'une proposition de contrat à durée indéterminée au sens du 3° de l'article L. 1243-10 du code du travail, également cité ci-dessus, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

10. Si le centre hospitalier d'Argentan demande, à titre subsidiaire, que soit substitué au motif retenu par l'arrêt attaqué celui tiré de ce que l'indemnité de fin de contrat était incluse dans la rémunération de M. A dès lors que cette dernière dépassait le plafond de rémunération prévu par l'article R. 6152-416 du code de la santé publique, la circonstance que le centre hospitalier ait consenti à M. A une rémunération supérieure au maximum réglementaire est toutefois sans influence sur le droit de percevoir une indemnité de fin de contrat que l'intéressé tient des dispositions citées au point 2.

Sur l'indemnité compensatrice de congés payés :

11. Aux termes de l'article L. 1242-16 du code du travail, rendu applicable aux praticiens contractuels par l'article R. 6152-418 du code de la santé publique : " Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée déterminée a droit à une indemnité compensatrice de congés payés au titre du travail effectivement accompli durant ce contrat, quelle qu'ait été sa durée, dès lors que le régime des congés applicable dans l'entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement. / Le montant de l'indemnité, calculé en fonction de cette durée, ne peut être inférieur au dixième de la rémunération totale brute perçue par le salarié pendant la durée de son contrat. / L'indemnité est versée à la fin du contrat, sauf si le contrat à durée déterminée se poursuit par un contrat de travail à durée indéterminée ".

12. Il ressort des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que M. A ne pouvait prétendre au bénéfice de l'indemnité compensatrice de congés payés prévue à l'article L. 1243-16 du code du travail cité au point précédent, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la circonstance que celui-ci n'alléguait pas ne pas avoir été en mesure de prendre effectivement ses congés. Par suite, et en tout état de cause, manque en fait le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en faisant reposer sur M. A la charge de la preuve que le régime des congés applicable au sein du centre hospitalier d'Argentan ne lui permettait pas de les prendre effectivement.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il y ait lieu, pour les motifs mentionnés au point 10, de faire droit à la demande de substitution de motif présentée par le centre hospitalier d'Argentan, M. A est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il statue sur ses conclusions relatives au versement de l'indemnité de fin de contrat.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Argentan la somme que demande M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ni de mettre à la charge de M. A la somme que demande, au même titre, le centre hospitalier d'Argentan.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le centre hospitalier d'Argentan.

Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 28 octobre 2022 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. A relatives au versement de l'indemnité de fin de contrat.

Article 3 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Nantes.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier d'Argentan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B A, au centre hospitalier d'Argentan et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 19 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Joachim Bendavid

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras

Code publication

B