Tribunal administratif de Strasbourg

Jugement du 11 juillet 2023 n° 2200543

11/07/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, respectivement enregistrés le 26 janvier 2022, le 29 avril 2022 et le 17 mai 2022, Mme B A, représentée par Me Paillot, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 26 novembre 2021 par laquelle la directrice de l'agence régionale de santé du Grand Est lui a notifié une interdiction d'exercer sa profession pour non-respect de l'obligation vaccinale à la covid-19 ;

2°) d'enjoindre, à titre principal, à la directrice de l'agence régionale de santé du Grand Est de lui délivrer une autorisation de poursuite de son activité professionnelle et, à titre subsidiaire, de l'autoriser à recourir aux services d'un remplaçant afin d'assurer la continuité des soins nécessaires à ses patients ;

3°) de condamner l'Etat au versement de la somme de 23 000 euros assortie des intérêts légaux en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi suite à l'interdiction d'exercer dont elle a fait l'objet ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la décision est une sanction qui aurait dû intervenir à l'issue d'une procédure contradictoire ;

- la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée au droit à la continuité des soins de ses patients ;

- la décision attaquée est disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi et alors que ce dernier peut être atteint par d'autres mesures moins contraignantes ;

- la loi du 5 août 2021, qui sert de fondement à la décision attaquée, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ;

- la loi du 5 août 2021 méconnaît le droit à un consentement libre et éclairé de tout vaccin en phase d'essais cliniques tel que prévu par le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil européen du 16 avril 2014 et la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- la loi du 5 août 2021 constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et méconnaît la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de vaccination obligatoire ;

- la loi du 5 août 2021 méconnait le droit au travail et à une rémunération tels que prévus par les stipulations de la convention sur la politique de l'emploi de l'Organisation internationale du travail conclue à Genève le 9 juillet 1964, de l'article 1er de la Charte sociale européenne révisée du 3 avril 1996, de l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 26 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne ;

- la loi du 5 août 2021 méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sous le spectre des stipulations de l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention.

Par des mémoires en défense, respectivement enregistrés le 14 avril 2022 et le 13 mai 2022, la directrice de l'agence régionale de santé du Grand Est conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil européen du 16 avril 2014 ;

- la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- la charte sociale européenne, signée le 18 octobre 1961 à Turin ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention sur la politique de l'emploi de l'Organisation internationale du travail conclue à Genève le 9 juillet 1964 ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Devys, rapporteure,

- les conclusions de M. Lusset, rapporteur public,

- et les observations de Me Paillot, représentant Mme A.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A est infirmière libérale exerçant à Petit-Rederching (57410). Suite au contrôle diligenté par l'agence régionale de santé du Grand Est, elle a été informée, le 26 novembre 2021, de l'interdiction d'exercer son activité compte tenu de la méconnaissance de l'obligation vaccinale prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Elle demande au tribunal d'annuler cette décision et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 23 000 en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : () 2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ; () ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. () / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. / Pour les autres personnes concernées, les agences régionales de santé compétentes accèdent aux données relatives au statut vaccinal de ces mêmes personnes, avec le concours des organismes locaux d'assurance maladie. () / IV. - Les employeurs et les agences régionales de santé peuvent conserver les résultats des vérifications de satisfaction à l'obligation vaccinale contre la covid-19 opérées en application du deuxième alinéa du II, jusqu'à la fin de l'obligation vaccinale. Les employeurs et les agences régionales de santé s'assurent de la conservation sécurisée de ces documents et, à la fin de l'obligation vaccinale, de la bonne destruction de ces derniers. V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité. Les agences régionales de santé compétentes sont chargées de contrôler le respect de cette même obligation par les autres personnes concernées () ". Et aux termes de l'article 14 de cette loi : " () / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / () / IV. - Les agences régionales de santé vérifient que les personnes mentionnées aux 2° et 3° du I de l'article 12 qui ne leur ont pas adressé les documents mentionnés au I de l'article 13 ne méconnaissent pas l'interdiction d'exercer leur activité prévue au I du présent article. V. - Lorsque l'employeur ou l'agence régionale de santé constate qu'un professionnel de santé ne peut plus exercer son activité en application du présent article depuis plus de trente jours, il en informe, le cas échéant, le conseil national de l'ordre dont il relève ".

3. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a institué une obligation de vaccination contre la covid-19 pour les professionnels de santé, y compris s'ils exercent en libéral. Le I de l'article 13 de la même loi prévoit que ces personnes sont tenues de justifier d'un certificat de statut vaccinal, d'un certificat de rétablissement valide ou d'un certificat médical de contre-indication. En vertu du B du I de l'article 14, à compter du 15 septembre 2021, elles ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises. Enfin, en vertu du IV de l'article 14, les agences régionales de santé vérifient que ces personnes ne méconnaissent pas l'interdiction d'exercer leur activité.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 26 novembre 2021 :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, la requérante soutient que la décision du 26 novembre 2021 est insuffisamment motivée et que l'agence régionale de santé du Grand-Est n'a pas tenu compte du courrier qu'elle lui a envoyé le 26 octobre 2021. Toutefois la décision attaquée comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Elle rappelle notamment l'application des dispositions légales susvisées qui faisaient obligation à Mme A de mettre à jour son schéma vaccinal contre la covid-19 et constate que cette dernière ne satisfait pas à cette obligation. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée ne peut qu'être écarté.

5. En second lieu, la requérante soutient que la décision attaquée a le caractère d'une sanction et qu'elle n'a pu bénéficier d'une procédure contradictoire avant l'édiction de la décision. Cependant, la mesure de suspension mise en œuvre par l'agence régionale de santé lorsqu'elle constate que le professionnel de santé ne peut plus exercer son activité en application du I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, s'analyse comme une mesure individuelle prise dans l'intérêt de la santé publique destinée à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 dans un objectif de maîtrise de la situation sanitaire, et n'a pas vocation à sanctionner un éventuel manquement ou agissement fautif commis par ce professionnel. Dès lors, une telle décision, qui se borne à constater que le professionnel de santé concerné ne remplit pas les conditions légales pour exercer son activité, ne présente pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'a pas à être précédée de la mise en œuvre des garanties procédurales attachées au prononcé d'une sanction administrative tenant à la mise en œuvre des droits de la défense. Ainsi, le moyen tiré par la requérante du vice de procédure ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4312-72 du code de la santé publique applicable aux infirmiers : " () L'infirmier prend toutes dispositions pour que soient assurées sur tous ces sites d'exercice, la qualité, la sécurité et la continuité des soins. () ".

7. Mme A soutient que la décision du 26 novembre 2021 porte atteinte au droit à la continuité des soins de ses patients. Toutefois, il résulte des dispositions susvisées que la continuité des soins est un devoir à la charge des praticiens de santé. Or la requérante s'est placée elle-même dans une situation d'interdiction d'exercice en ignorant l'obligation vaccinale qui était à sa charge. De plus, il ressort des pièces du dossier que l'agence régionale de santé a informé les soignants, par des courriers d'information qui leur ont été notifiés, de la mise en œuvre de la loi du 26 août 2021 et des dates à partir desquelles ils ne pourraient plus exercer s'ils ne respectaient pas l'obligation vaccinale. En outre, Mme A ne démontre pas avoir entrepris des démarches dans le but de trouver un remplaçant à ses patients ou les avoir orientés vers des collègues, ni que de telles démarches auraient été infructueuses. Un temps de latence a également été accordé avant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle ne l'informe, le 27 décembre 2021, que ses soins ne seraient plus remboursés. Ainsi, la requérante n'a pas été prise au dépourvu et a eu le temps de prévenir ses patients qu'elle ne pourrait plus assurer leur suivi. Enfin, elle ne démontre pas que ses patients auraient souffert d'une rupture dans la continuité de leurs soins. Dans ces conditions, le moyen ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, l'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 5 août 2021 que l'accès volontaire aux vaccins, qui était initialement l'approche privilégiée, n'a pas permis d'atteindre une couverture vaccinale suffisante, notamment parmi les soignants, pour endiguer les vagues épidémiques. En adoptant, pour l'ensemble des professionnels des secteurs sanitaire et médico-social, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale, protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des patients et notamment des personnes vulnérables (immunodéprimées, âgées), protéger également la santé des professionnels de santé, qui sont particulièrement exposés au risque de contamination compte tenu de leur activité, et diminuer ainsi le risque de saturation des capacités hospitalières. Par suite, et alors cette obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement, et malgré les mesures de prévention prises par la requérante, cette dernière ne peut soutenir que la décision attaquée est disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi et le moyen ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ".

10. Mme A, qui soutient que la décision attaquée méconnaît le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre, conteste en réalité le principe même de l'obligation vaccinale posé par la loi du 5 août 2021. Ce moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 n'a pas été présenté par un mémoire distinct. Il est par la suite irrecevable, et ne peut qu'être écarté.

11. En quatrième lieu, il est constant que les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament, qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce qui est soutenu, les vaccins ne sauraient dès lors être regardés comme des médicaments expérimentaux au sens de l'article L. 5121-1-1 du code de la santé publique. Est, par suite, inopérant le moyen tiré de ce qu'en imposant une vaccination par des médicaments expérimentaux, la loi du 5 août 2021 méconnaîtrait le droit à un consentement libre et éclairé de tout vaccin en phase d'essais cliniques tel que prévu par le règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil européen du 16 avril 2014 et la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine. Par suite, le moyen doit être écarté.

12. En cinquième lieu, la requérante soutient que la loi du 5 août 2021, qui constitue la base légale de la décision attaquée, méconnaîtrait le droit au travail et à une rémunération tel que prévu par les stipulations de la convention sur la politique de l'emploi de l'Organisation internationale du travail conclue à Genève le 9 juillet 1964, par les stipulations de l'article 1er de la Charte sociale européenne, par les stipulations de l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et par l'article 26 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

13. Toutefois, les stipulations de l'article 1er de la Charte sociale européenne ne produisent pas d'effet direct dans l'ordre juridique interne et ne peuvent donc être utilement invoquées. D'autre part, aux termes de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. () ". Or, ni la loi du 5 août 2021 ni la décision attaquée ne mettent en œuvre le droit de l'Union. La requérante ne peut ainsi utilement invoquer les stipulations de l'article 15 de cette même Charte relatives, notamment, au droit de toute personne à travailler et à exercer une profession librement. En outre, les dispositions de la loi du 5 août 2021 n'ayant pas pour effet d'entraver la libre circulation de Mme A sur le marché intérieur, cette dernière ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 26 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Enfin, si la requérante mentionne dans ses écritures la méconnaissance des stipulations de la convention sur la politique de l'emploi de l'Organisation internationale du travail conclue à Genève le 9 juillet 1964, elle ne vise aucune stipulation spécifique et n'assortit son moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du droit au travail et à une rémunération doit être écarté.

14. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

15. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.

16. L'article 14 de la loi du 5 août 2021 prévoit que seuls les soignants ayant satisfait à l'obligation vaccinale puissent continuer à exercer leur profession à compter du 15 septembre 2021. Dès lors, les soignants n'ayant pas satisfait à cette obligation voient leur activité interrompue jusqu'à la régularisation de leur situation. Eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi, l'interdiction temporaire de fonctions ainsi créée ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de cet objectif. En l'absence d'exercice de ces fonctions, la privation de rémunération engendrée n'apparaît pas davantage incohérente ou disproportionnée, l'intéressée disposant de la faculté d'exercer d'autres fonctions ou de régulariser sa situation. En privilégiant une mesure au caractère temporaire, et au regard de ce qui a été dit au point 8 du présent jugement le législateur n'a ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 1er de son protocole additionnel. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations par la loi du 5 août 2021 doit être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions en annulation présentées par Mme A doivent être rejetées. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction et d'indemnisation, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et à l'agence régionale de santé du Grand Est.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Faessel, président,

Mme Devys, première conseillère,

M. Cormier, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2023.

La rapporteure,

J. Devys

Le président,

X. FaesselLe greffier,

P. Souhait

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Un greffier,