Non renvoi
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Alix Textiles a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 24 juillet 2019, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 15 000 euros pour manquements à l'alinéa 9 du I de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication, pour une durée de six mois, de cette sanction administrative ou, à défaut, de réformer la décision du 24 juillet 2019 en ramenant l'amende administrative à de plus justes proportions.
Par un jugement n° 1908332 du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 mai 2022 et 22 février 2023, la société Alix Textiles, représentée par Me Thomé, demande à la Cour :
1°) à titre liminaire, de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle a soulevée au Conseil d'Etat et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de ce dernier ou de celle du Conseil constitutionnel ;
2°) à titre principal, d'annuler le jugement du 21 mars 2022 ainsi que la décision du 24 juillet 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
3°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement et de réduire à de plus justes proportions le montant de l'amende prononcée par la décision du 24 juillet 2019 ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 24 juillet 2019 en litige est insuffisamment motivée ;
- les dispositions de l'article L. 441-6 du code du commerce sur lesquelles la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) s'est fondée pour la sanctionner ne sont pas suffisamment claires s'agissant du point de départ du délai de réclamation des factures et de la notion d'émission de facture ;
- pour calculer le délai de retard, le procès-verbal de constat se fonde sur la différence entre la date d'émission de la facture et la date de réception effective de celle-ci sans tenir compte des éléments probants démontrant une réception tardive de certaines factures ;
- la DIRECCTE, qui devait analyser sa situation au jour de la notification de la sanction, aurait dû se fonder sur ses bilans clos au 31 décembre 2018 et publiés en avril 2019 et prendre en compte sa situation existante non pas au jour de la décision et de la notification mais à la date du constat des retards reprochés et au regard de la situation financière qui précédait ;
- la sanction que lui a infligée l'autorité administrative est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et s'avère disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire distinct, enregistré le 8 décembre 2022, la société Alix Textiles demande à la Cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision du 24 juillet 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'alinéa 9 du I de l'article L. 441-6 du code du commerce ainsi que des articles L. 441-9 et L. 441-10 du code de commerce issus de l'ordonnance n° 2019- 359 du 24 avril 2019.
Elle soutient qu'il y a lieu de déterminer si, en consacrant la date d'émission des factures comme point de départ de leur délai de paiement, le 9ème alinéa de l'article L. 441-6 du code de commerce alors en vigueur ne manque pas d'une part aux exigences de clarté de la loi découlant de l'article 34 de la Constitution et à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et d'autre part, aux exigences de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 selon lesquelles la garantie des droits doit être assurée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique fait valoir que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies.
Un courrier du 23 janvier 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 13 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, notamment son article 16 ;
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi organique 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;
- le code du commerce ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Meriaux, pour la société Alix Textiles, et de Mme A, pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un contrôle réalisé le 20 novembre 2018 par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur, il a été constaté, par procès-verbal du 15 avril 2019, que les délais de paiement par la société Alix Textiles de ses fournisseurs excédaient les délais maximaux prévus par les dispositions du I de l'article L. 441 6 du code de commerce. Après avoir informé le 29 avril 2019 la société du manquement relevé et recueilli ses observations du 27 juin 2019 sur le prononcé d'une éventuelle amende administrative à raison de cette méconnaissance des délais maximaux de paiement, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur lui a infligé, par décision du 24 juillet 2019, une amende administrative d'un montant de 15 000 euros et décidé de publier la décision de sanction sous forme de communiqué, par voie électronique, sur le site internet de la direction régionale pour une durée de six mois. La société Alix Textiles a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de cette décision, ou à défaut à sa réformation afin que l'amende soit ramenée à de plus justes proportions. Par le jugement du 21 mars 2022, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La société Alix Textiles fait appel de ce jugement.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la Cour, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
3. La société Alix Textiles soutient que les dispositions du 9ème alinéa de l'article L. 441-6 du code du commerce dans leur rédaction applicable au litige méconnaissent l'article 34 de la Constitution, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ainsi que l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Elle fait en effet grief à ces dispositions, leur caractère imprécis et peu intelligible.
4. Or, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010, si l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, sa méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée, ainsi que le fait la société, à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Il en va de même de l'article 34 de la Constitution qui n'institue pas, par lui-même, un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
5. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat, la question posée étant dépourvue de caractère sérieux.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne le cadre juridique :
6. Aux termes du 9ème du I de l'article L. 441-6 du code du commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. ". Aux termes du VI du même article : " Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article () ".
7. Aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce : " I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1. [] / IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. / Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende ".
En ce qui concerne la régularité de la sanction :
8. La décision du 24 juillet 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a infligé à la société Alix Textiles une sanction de 15 000 euros en application des dispositions de l'article L. 441-6 du code du commerce comporte tous les éléments de fait et de droit qui en constituent le fondement, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges. L'autorité administrative a pris soin d'indiquer les critères sur lesquels elle s'est fondée pour fixer son quantum en se référant notamment au nombre de factures payées avec retard ainsi que la situation financière de la contrevenante, sans qu'il ne puisse lui être reproché de ne pas avoir mentionné précisément les modalités de calcul de ce montant. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation manque en fait.
En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :
9. Il résulte des dispositions combinées du I et du IV de l'article L. 441-6 du code de commerce, citées au point 6, que tout dépassement du délai de paiement convenu entre une société et son fournisseur, et qui court à compter de l'émission de la facture, est constitutif d'un manquement qui justifie l'infliction d'une amende administrative. Toutefois, une sanction ne pouvant être infligée à une personne à raison de faits qui ne lui sont pas imputables, une entreprise peut utilement contester le principe ou le montant de l'amende qui lui est infligée en soutenant que le retard qui lui est reproché est en tout ou partie lié à un délai entre la date d'émission de la facture et la date de sa réception.
10. Par ailleurs, le montant de l'amende doit être fixé par référence au montant de l'avantage de trésorerie dont l'entreprise a bénéficié, et dont ses fournisseurs ont été corrélativement privés, du fait des retards de paiement, en tenant compte des autres circonstances, et notamment à la situation financière de l'acheteur au moment des faits reprochés. Conformément à la pratique de la majeure partie des services de la concurrence jusqu'en 2021, et aux lignes directrices établies par la direction générale le 2 décembre 2021, qui procèdent d'une exacte application de l'article L. 441-6 du code de commerce, le montant de l'avantage de trésorerie servant de base à la détermination du montant de l'amende est déterminé par référence au gain annuel en besoin de fonds de roulement, qui correspond au produit du montant des factures payées en retard par le retard moyen de paiement en jours, pondéré en fonction du montant des factures, et rapporté au nombre de jours de la période contrôlée.
11. Il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal établi par l'inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes chargée du contrôle que sur les soixante-dix lignes comptables vérifiées, il a été constaté que dix-neuf des soixante-douze factures de l'échantillon ont été payées avec retard.
12. La société appelante se prévaut de l'existence d'un décalage entre la date d'émission par le fournisseur de la facture et la date à laquelle elle a reçu cette facture. Toutefois, par la seule production de captures d'écran de son logiciel comptable, elle n'établit pas la réalité de ces allégations.
13. Alors que les dispositions du code du commerce fondant la sanction infligée à la société Alix Textiles visent à sanctionner tous les dépassements de délais de paiement, celle-ci ne saurait se prévaloir de ce que pour la facture émise par le fournisseur Brand Développement d'un montant de 116 444,16 euros, le dépassement constaté ne serait que d'une journée. De même, la circonstance que sur les dix-neuf factures en cause, douze, soit plus de 60 %, portent sur des montants modestes, inférieurs à 1 000 euros, n'est pas de nature à dispenser la société de toute sanction.
14. Il ressort du procès-verbal du contrôle que l'encours total des factures payées en retard s'élève à 154 666,24 euros. Ces factures ont été payées avec un retard moyen, pondéré en fonction de leur montant, de 15,42 jours. La durée du contrôle étant de trois cent quatre-vingt-quatre jours, le gain annuel en besoin de fonds de roulement s'établit donc à 6 210,82 euros (15,42 x 154 666,24 euros / 384). Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la société Alix Textiles est caractérisée par un nombre important de fournisseurs et spécialisée dans la reprise d'objets issus de surstocks, d'invendus ou de fin de collections, ou de liquidations. Elle fait valoir, sans être contredite, que le but premier de ses fournisseurs est de réduire leur stock. Il résulte par ailleurs de l'instruction que sur les dix-neuf factures pour lesquels un retard a été constaté, 60 % d'entre elles présentaient un montant inférieur à 1 000 euros et que la facture la plus élevée, à hauteur de 116 444,16 euros, n'a été réglée qu'avec un seul jour de retard. Eu égard à ces circonstances, la société Alix Textiles est fondée à soutenir que la sanction de 15 000 euros qui lui a été infligée est excessive. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ramener l'amende décidée par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi à la somme de 6 000 euros.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Alix Textiles est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont refusé de réduire le montant de l'amende prononcée par la décision du 24 juillet 2019.
Sur les frais liés au litige :
16. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros qui sera versée à la société Alix Textiles au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Alix Textiles.
Article 2 : Le jugement n° 1908332 du 21 mars 2022 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 3 : Le montant de l'amende prononcée à l'encontre de la société Alix Textiles par décision du 24 juillet 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur est ramené à la somme de 6 000 euros.
Article 4 : L'Etat versera à la société Alix Textiles une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la société Alix Textiles est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alix Textiles et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2023, où siégeaient :
- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juillet 2023.
No 22MA01517