Conseil d'Etat

Décision du 13 mars 2023 n° 467225

13/03/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

 

La société MCC Axes a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des périodes allant du 1er septembre 2013 au 31 août 2016, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1901376, 1917137 du 9 mars 2021, ce tribunal a prononcé la décharge des pénalités dont les rappels de taxe sur la valeur ajoutée avaient été assortis sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts et rejeté le surplus de ses demandes.

Par un arrêt n° 21PA02442 du 1er juillet 2022, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société MCC Axes contre l'article 3 de ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 2 septembre, 2 décembre et 28 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société MCC Axes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante : " Les dispositions du i du 1° de l'article 132 de la directive 2006/112/CE doivent-elles être interprétées en ce sens que les prestations de soutien scolaire réalisées par des organismes de droit privé constituent des prestations de services d'éducation de l'enfance ou de la jeunesse ' " ;

3°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code de l'éducation ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société MCC Axes ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 février 2023, présentée par la société MCC Axes ;

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Le a du 1° du paragraphe 7 de l'article 261 du code général des impôts, pris pour la transposition des dispositions du i du 1 de l'article 132 et de l'article 133 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, exonère de la taxe sur la valeur ajoutée, par son premier alinéa, " les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée ".

3. La société MCC Axes soutient que ces dispositions, en ce qu'elles excluent du champ de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée qu'elles instituent les prestations de soutien scolaire délivrées par les organismes privés à but lucratif, notamment lorsque de telles prestations sont fournies en l'absence de concurrence avec d'autres opérateurs assujettis à cette taxe, portent atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de cette même Déclaration.

4. D'une part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts poursuivis sans que cette appréciation entraîne de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. En premier lieu, en exonérant de taxe sur la valeur ajoutée les services à caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus par les organismes privés sans but lucratif dont la gestion est désintéressée, le législateur a entendu favoriser l'accès à des prestations d'intérêt général aux prix les plus faibles. S'il en résulte une différence de traitement, au regard de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, entre ces organismes et les organismes privés à but lucratif, notamment quand ces derniers fournissent de telles prestations en l'absence de concurrence avec d'autres opérateurs assujettis à cette taxe, celle-ci est justifiée par une différence objective de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.

6. En second lieu, la circonstance que la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée des prestations de soutien scolaire rendues par les organismes privés à but lucratif conduirait à faire supporter aux consommateurs de ces services une charge plus lourde que celle supportée par ceux qui acquièrent ces services auprès d'organismes privés sans but lucratif dont la gestion est désintéressée est, par elle-même, sans incidence sur le respect du principe d'égalité devant les charges publiques entre les redevables légaux de la taxe sur la valeur ajoutée que sont les prestataires.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'applicabilité au litige des dispositions contestées, que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la requérante, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la transmettre au Conseil constitutionnel.

Sur le pourvoi :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

9. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société MCC Axes soutient que la cour administrative d'appel de Paris :

- a commis une erreur de droit, dénaturé et inexactement qualifié les faits en jugeant, d'une part, que les prestations de soutien scolaire qu'elle dispensait ne relevaient pas de l'enseignement scolaire et universitaire au sens du i du 1° de l'article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 et, d'autre part, que cette question ne soulevait pas une difficulté sérieuse justifiant de la renvoyer à titre préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne ;

- a commis une erreur de droit, inexactement qualifié les faits et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que les dispositions du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts étaient compatibles avec l'article 132 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, alors qu'elles n'exonèrent pas de la taxe sur la valeur ajoutée les prestations de soutien scolaire dispensées par les organismes mentionnés à l'article L. 445-1 du code de l'éducation ;

- l'a entaché de contradiction de motifs, a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits en jugeant, d'une part, que les prestations de soutien scolaire qu'elle dispense ne pouvaient être regardées comme relevant de l'éducation de la jeunesse au sens du i du 1° de l'article 132 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajouté et, d'autre part, qu'elle ne pouvait se prévaloir de ces dispositions dès lors que la France a fait usage de la faculté donnée par l'article 133 de la même directive pour soumettre à des conditions plus restrictives l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée prévue par le i du 1° de l'article 132.

10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société MCC Axes.

Article 2 : Le pourvoi de la société MCC Axes n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société MCC Axes et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 février 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 13 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Alexandre Lapierre

La secrétaire :

Signé : Mme Catherine Meneyrol

Code publication

C