Conseil d'Etat

Décision du 10 février 2023 n° 469715

10/02/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société Lionheart, à l'appui de sa requête d'appel tendant à l'annulation du jugement du 1er juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande de restitution de la taxe sur la cession des terrains nus rendus constructibles acquittée à raison de cessions intervenues en 2017, a produit des mémoires, enregistrés les 13 janvier, 25 février et 29 juin 2022 au greffe de la cour administrative de Lyon, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1605 nonies du code général des impôts.

Par un arrêt n° 21LY02594 du 15 décembre 2022, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Lyon a décidé, avant qu'il soit statué sur la requête d'appel de la société Lionheart, de transmettre au Conseil d'Etat, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, cette question de constitutionnalité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 janvier 2023, présentée par la société Lionheart ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 1605 nonies du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er janvier 2016 : " I. - Il est perçu une taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement, postérieurement au 13 janvier 2010, par un plan local d'urbanisme ou par un autre document d'urbanisme en tenant lieu, en zone urbaine ou à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone où les constructions sont autorisées ou par application de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme. / Le produit de cette taxe est affecté, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, à un fonds inscrit au budget de l'Agence de services et de paiement. Ce fonds finance des mesures en faveur de l'installation et de la transmission en agriculture. Il permet de soutenir notamment des actions facilitant la transmission et l'accès au foncier, des actions d'animation, de communication et d'accompagnement, des projets innovants et des investissements collectifs ou individuels. () / II. - La taxe est assise sur un montant égal au prix de cession défini à l'article 150 VA, diminué du prix d'acquisition stipulé dans les actes ou, à défaut, de la valeur vénale réelle à la date d'entrée dans le patrimoine du cédant d'après une déclaration détaillée et estimative des parties, actualisé en fonction du dernier indice des prix à la consommation hors tabac publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques. / L'assiette de la taxe est réduite d'un dixième par année écoulée à compter de la date à laquelle le terrain a été rendu constructible au-delà de la huitième année. / III. - La taxe ne s'applique pas : 1° Aux cessions de terrains pour lesquels une déclaration d'utilité publique a été prononcée en vue d'une expropriation, ni aux terrains dont le prix de cession défini à l'article 150 VA est inférieur à 15 000 € ; 2° Lorsque le rapport entre le prix de cession et le prix d'acquisition ou la valeur vénale, définis au II, est inférieur à 10. / IV. - Le taux de la taxe est de 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale définis au II est supérieur à 10 et inférieur à 30. Au-delà de cette limite, la part de la plus-value restant à taxer est soumise à un taux de 10 %. La taxe est exigible lors de la première cession à titre onéreux intervenue après que le terrain a été rendu constructible. Elle est due par le cédant. / V. - Une déclaration, conforme à un modèle établi par l'administration, retrace les éléments servant à la liquidation de la taxe. Elle est déposée dans les conditions prévues aux 1° et 4° du I et au II de l'article 150 VG. Lorsque la cession est exonérée en application du III ou par l'effet de l'abattement prévu au second alinéa du II du présent article, aucune déclaration n'est déposée. L'acte de cession soumis à la formalité fusionnée ou présenté à l'enregistrement précise, sous peine de refus de dépôt ou de la formalité d'enregistrement, la nature et le fondement de cette exonération ou de cette absence de taxation. Les deux derniers alinéas du III de l'article 150 VG sont applicables. / VI. - La taxe est versée lors du dépôt de la déclaration prévue au V. Les I et II de l'article 150 VF, le second alinéa du I et les II et III de l'article 150 VH et le IV de l'article 244 bis A sont applicables ".

3. La société Lionheart a cédé, les 17 et 19 octobre 2017, des parcelles de terrains situées à Vénissieux (Rhône) et a consécutivement acquitté, à ce titre, la taxe sur la cession des terrains nus rendus constructibles prévue à l'article 1605 nonies du code général des impôts. Elle soutient, d'une part, que ces dispositions, en ce qu'elles ne prévoient, pour la définition du champ d'application de la taxe et celle de son assiette, ni la prise en compte des frais d'acquisition du terrain, ni celle des frais d'aménagement et de viabilisation exposés par le vendeur avant sa cession, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la même déclaration. Elle soutient, d'autre part, que le législateur, en s'abstenant de définir les modalités de recouvrement de la taxe s'agissant des règles régissant le contrôle, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition, a méconnu l'étendue de sa compétence déterminée par l'article 34 de la Constitution, portant ainsi atteinte à l'effectivité du droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

4. En premier lieu, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

5. En prévoyant la prise en compte, pour la définition du champ d'application de la taxe et celle de son assiette, d'une part, du prix de cession du terrain, d'autre part, de son prix d'acquisition ou, à défaut, de sa valeur vénale réelle à la date d'entrée dans le patrimoine du cédant, sans distinguer le cas dans lequel celui-ci a supporté des frais d'acquisition lorsqu'il a lui-même acquis le terrain, ni celui dans lequel il a exposé des frais d'aménagement et de viabilisation avant la cession du terrain, les dispositions contestées traitent de la même manière tous les contribuables. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, selon l'article 13 de la Déclaration de droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

7. La société requérante fait valoir à cet égard qu'en ne prévoyant, pour la définition du champ d'application de la taxe et celle de son assiette, ni la prise en compte des frais d'acquisition du terrain, ni celle des frais d'aménagement et de viabilisation exposés par le vendeur avant sa cession, le législateur ne se serait pas fondé sur des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi et qu'il aurait conféré à cette taxe un caractère confiscatoire, alors, de surcroît, que les dispositions de l'article 1529 du code général des impôts prévoient la possibilité d'instituer une taxe communale reposant sur la même assiette.

8. Toutefois, en prévoyant que la taxe sur la cession des terrains nus rendus constructibles n'est applicable que si le rapport entre prix de cession et prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10, que l'assiette est diminuée d'un abattement de 10 % par année de détention au-delà de la huitième année suivant la date à laquelle le terrain a été rendu constructible et que le taux de la taxe n'excède pas 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10 et inférieur à 30, et 10 % au-delà de cette limite pour la part d'assiette restant à taxer, le législateur a adopté des modalités d'imposition qui ne revêtent pas un caractère confiscatoire ni ne font peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En outre, il ressort des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de l'article 55 de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dont les dispositions de l'article 1605 nonies du code général des impôts sont issues, que le législateur a entendu lutter contre la disparition des terres agricoles, en freinant notamment leur transformation en terrains à bâtir à des fins spéculatives. En définissant le champ d'application de la taxe et son assiette sans prendre en compte certains frais engagés, le cas échéant, par le vendeur, notamment ceux résultant des travaux d'aménagement et de viabilisation du terrain, lesquels ont pour effet de rendre celui-ci impropre à tout usage agricole, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l'objectif poursuivi. Enfin, le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle, en tout état de cause, à ce qu'un même contribuable soit soumis à plusieurs impositions sur une même assiette. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant () l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ". Il s'ensuit que, lorsqu'il définit une imposition, le législateur doit déterminer ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

10. La société requérante soutient que l'absence de détermination par le législateur des modalités de recouvrement de la taxe prévue à l'article 1605 nonies du code général des impôts, en ce qui concerne les règles régissant le contrôle, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition, affecte le droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, par le renvoi auquel il a procédé, au VI de l'article 1605 nonies, aux dispositions des I et II de l'article 150 VF, du second alinéa du I et des II et III de l'article 150 VH et du IV de l'article

244 bis A du code général des impôts, le législateur a entendu renvoyer, en ce qui concerne les règles régissant le contrôle, le contentieux, les garanties et les sanctions, à celles applicables à l'impôt sur le revenu. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Lionheart.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Lionheart et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et à la cour administrative de Lyon.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 janvier 2023 où siégeaient :

M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 10 février 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Wafak Salem

La République mande et ordonne à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

Code publication

C