Conseil d'Etat

Ordonnance du 12 janvier 2023 n° 469669

12/01/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. B A et Mme E K ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 15 septembre 2022 d'arrêt des soins prodigués à leur fille D A prise par les médecins du service de réanimation néonatale et pédiatrique de l'hôpital Trousseau, d'enjoindre à ces derniers de reprendre et de poursuivre les soins thérapeutiques, et d'ordonner une expertise médicale.

Par une ordonnance avant dire-droit n° 2219449/9 du 23 septembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 15 septembre 2022 et ordonné qu'il soit procédé à une expertise avec pour mission, dans un délai de trois semaines à compter de la désignation des experts, de décrire l'état clinique de l'enfant D A et son évolution depuis son hospitalisation à l'hôpital de la Timone à Marseille le 31 juillet 2022, de déterminer son niveau de souffrance, d'indiquer son niveau de conscience, de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques de l'enfant, sur le pronostic clinique et sur l'intérêt ou non de continuer ou de mettre en œuvre des thérapeutiques actives, ainsi que sur le caractère raisonnable ou non du maintien de l'intubation.

Par une ordonnance n° 2219449/9-11 du 23 septembre 2022, le président du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article R. 621-2 du code de justice administrative, a désigné Mme F L, exerçant à l'hôpital Necker Enfants G, et M. C I, exerçant à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, en qualité d'experts.

Le rapport d'expertise a été déposé au greffe du tribunal le 28 octobre 2022.

Par une ordonnance n° 2219449/9 du 29 novembre 2022, le juge de référés du tribunal administratif de Paris, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de M. A et Mme K.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 décembre 2022 et 2 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A et Mme K demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2219449/9 du 23 septembre 2022, l'ordonnance n° 2219449/11-9 du même jour et l'ordonnance du 29 novembre 2022 ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision du 15 septembre 2022 d'arrêt et de limitation des soins et traitements donnés à leur enfant D A ;

3°) à titre subsidiaire, de préciser que la mise en œuvre de la décision du 15 décembre 2022 ne pourra se faire sans leur accord ;

4°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris les sommes sollicitées en première instance ainsi que la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'ordonnance avant-dire droit du 23 septembre 2022 est entachée d'irrégularité dès lors que la date d'audience n'y figure pas ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à l'intérêt supérieur de leur enfant ;

- les dispositions de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique méconnaissent les dispositions des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du même code dès lors que, en incluant l'enfant mineur ou en bas âge dans la catégorie des patients hors d'état d'exprimer leur volonté, elles élargissent le champ d'application de la loi ;

- les dispositions de l'article R. 4127-37-2 ne sont pas applicables au cas de leur enfant de sorte que, d'une part, la décision du 15 septembre 2022 ne pouvait pas être prise au terme d'une procédure collégiale et, d'autre part, leur consentement, en tant que titulaires de l'autorité parentale, était requis ;

- le corps médical ne les a pas associés au processus décisionnel relatif à la situation médicale de leur enfant, ce qu'illustrent notamment les refus des centres hospitaliers de communiquer le dossier médical de leur fille, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4127-42 du code de la santé publique ;

- l'expertise réalisée en première instance est entachée d'irrégularité dès lors que les experts ont été nommés en nombre insuffisant, qu'ils n'ont pas pu analyser de manière approfondie la situation médicale de leur fille, l'examen ayant duré une vingtaine de minutes, que le personnel médical interrogé n'est pas celui ayant eu la tâche de soigner leur enfant et que l'expertise n'a pas été réalisée au terme d'un délai suffisamment long pour évaluer de manière certaine les conséquences des lésions neurologiques ;

- les résultats de l'expertise sont erronés dès lors qu'ils concluent, à tort, à l'existence de souffrances importantes pour leur enfant, qu'un des experts a utilisé une méthode d'analyse inadaptée à son âge et que certains constats sont erronés au regard de l'évolution positive de son état de santé ;

- la situation ne caractérise pas une obstination déraisonnable de nature à justifier une décision d'arrêt des soins, à laquelle ils sont fortement opposés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 2 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A et Mme K demandent à ce que soit transmise au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions des articles L. 1110-5-1, alinéa 1er, L. 1110-5-2, alinéa 4, et L. 1111-4, alinéa 6, du code de la santé publique, et en particulier la phrase " personne hors d'état d'exprimer sa volonté ", telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat comme pouvant concerner l'enfant mineur, méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit. Ils soutiennent que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question de leur conformité à la Constitution revêt un caractère sérieux dès lors qu'elles portent atteinte au principe de dignité humaine résultant du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et à la liberté individuelle protégée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 janvier 2023, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris conclut au rejet de la requête. Elle soutient que l'ordonnance avant-dire droit du 23 septembre 2022 n'est pas entachée d'irrégularité et qu'il n'est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie D A et à l'intérêt supérieur de l'enfant.

La requête a été communiquée à la Première ministre, qui n'a pas produit de mémoire sur la question prioritaire de constitutionnalité ni d'observations.

La requête a été communiquée au ministre de la santé et de la prévention, qui n'a pas produit de mémoire sur la question prioritaire de constitutionnalité ni d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et Mme K et d'autre part, la Première ministre, le ministre de la santé et de la prévention, ainsi que l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 5 janvier 2023, à 15 heures :

- Me Hourdeaux, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. A et Mme K ;

- le représentant de M. A et Mme K ;

- M. A ;

- les représentants de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. M. B A et Mme E K, père et mère de l'enfant D A, relèvent appel, d'une part, des ordonnances du 23 septembre 2022 par lesquelles le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant en formation collégiale, a ordonné une mission d'expertise et le président de ce tribunal a désigné les experts et, d'autre part, de l'ordonnance du 29 novembre 2022 par laquelle le juge des référés de ce même tribunal a rejeté leur demande de suspension de la décision du 15 septembre 2022 d'arrêt des soins donnés à la petite fille, prise par l'équipe médicale de l'hôpital Trousseau de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP).

Sur l'office du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du même code par des mesures qui présentent un caractère provisoire le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

3. Toutefois, il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou à ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie. Il doit alors prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, qui sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable.

Sur le cadre juridique du litige :

4. Aux termes de l'article L. 1110-1 du code de la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. () ". L'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité ".

5. Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté () ". Aux termes de l'article L. 1110-5-1 du ce code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire () ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 1110-5-2 du même code : " () Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-2, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie. () ". Aux termes du sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du même code : " () Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical () ".

6. Par ailleurs, l'article L. 1111-11 du même code dispose que : " Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux. / À tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu'elle se sait ou non atteinte d'une affection grave au moment où elle les rédige. / Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. / La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches. () ".

7. Enfin, selon l'article R. 4127-37-1 du même code : " I. - Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge du patient est tenu de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas prévus aux II et III du présent article. / II.- En cas d'urgence vitale, l'application des directives anticipées ne s'impose pas pendant le temps nécessaire à l'évaluation complète de la situation médicale. / III.- Si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, le refus de les appliquer ne peut être décidé qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1111-11. Pour ce faire, le médecin recueille l'avis des membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et celui d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant, avec lequel il n'existe aucun lien de nature hiérarchique. Il peut recueillir auprès de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / IV. - En cas de refus d'application des directives anticipées, la décision est motivée. Les témoignages et avis recueillis ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. / La personne de confiance, ou, à défaut, la famille ou l'un des proches du patient est informé de la décision de refus d'application des directives anticipées ". Aux termes de l'article R. 4127-37-2 du même code : " I. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. / II. - Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. () / La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l'un des proches est informé, dès qu'elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale. / III. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile./ Lorsque la décision de limitation ou d'arrêt de traitement concerne un mineur ou une personne faisant l'objet d'une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, le médecin recueille en outre l'avis des titulaires de l'autorité parentale ou de la personne chargée de la mesure, selon les cas, hormis les situations où l'urgence rend impossible cette consultation. / IV. - La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d'arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l'un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient ". Selon l'article R. 4127-42 du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 1111-5, un médecin appelé à donner des soins à un mineur doit s'efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d'obtenir leur consentement. Si le mineur est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision, son consentement doit également être recherché. () ".

8. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement, et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient, ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs.

9. Quand le patient hors d'état d'exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l'âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s'exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l'article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s'efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l'article 371-1 du code civil, de l'autorité parentale. Dans l'hypothèse où le médecin n'est pas parvenu à un tel accord, il lui appartient, s'il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en œuvre la procédure collégiale, de prendre la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Cette dernière décision doit être notifiée aux parents ou au représentant légal du mineur afin notamment de leur permettre d'exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier qu'elle ne peut être mise en œuvre avant la décision de la juridiction compétente le cas échéant saisie.

10. Pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté et dont le maintien en vie dépend de ce mode d'alimentation et d'hydratation, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Dans le cas d'un patient mineur, il incombe en outre à l'équipe médicale de rechercher l'accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, d'agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l'égard de l'enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale.

11. Pour l'application de ces dispositions, la ventilation mécanique ainsi que l'alimentation et l'hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d'être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable. Cependant, la seule circonstance qu'une personne soit dans un état irréversible d'inconscience ou, à plus forte raison, de perte d'autonomie la rendant tributaire d'un tel mode de suppléance des fonctions vitales ne saurait caractériser, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite de ce traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l'obstination déraisonnable.

Sur les circonstances du litige :

12. Il résulte de l'instruction que l'enfant D A, née le 2 mars 2021, a été victime le 31 juillet 2022 d'un accident dans une piscine ayant entraîné un arrêt cardio-respiratoire de longue durée. Réanimée puis transférée au centre hospitalier de la Timone à Marseille dans un état de coma, elle a été intubée et ventilée. De multiples examens neurologiques ont révélé un ralentissement diffus et persistant de l'activité cérébrale ainsi que des lésions graves et irréversibles. Le 9 août 2002, face à l'évolution défavorable de l'état général de la petite fille, l'équipe médicale a conclu à une décision de soins palliatifs en vue d'une future décision d'arrêt des thérapeutiques actives. Les parents de l'enfant ont fait part de leur opposition. Transférée dans l'unité de réanimation pédiatrique du service de réanimation néonatale et pédiatrique de l'hôpital Armand-Trousseau de l'AP-HP pour une poursuite des soins et un rapprochement du domicile des parents, D A a été extubée le 22 août 2022, opération qui a entraîné une aggravation rapide de son état de santé, avec des détresses respiratoires et un arrêt cardio-vasculaire hypoxique. L'équipe médicale a alors décidé, en collégialité, qu'une réintubation serait déraisonnable au vu des lésions cérébrales significatives et irréversibles ainsi que des risques accrus de séquelles neurologiques importantes et des douleurs et inconforts attendus. Les parents D ont exprimé leur opposition à cette décision et leur souhait de poursuite des thérapeutiques actives. Compte tenu de cette position, l'équipe médicale s'est accordée pour ré-intuber l'enfant. Les divers examens complémentaires réalisés ensuite, ainsi que les observations cliniques, ont conduit l'équipe médicale, au terme d'une procédure collégiale qui s'est déroulée le 15 septembre 2022, à décider à l'unanimité l'arrêt des thérapeutiques actives et l'orientation vers une prise en charge palliative. Le 16 septembre 2022, les parents de la petite fille ont été informés de cette décision prise à l'issue de la procédure collégiale, devant être effective le 27 septembre 2022.

13. M. A et Mme K ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris de cette décision sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Par une première ordonnance avant-dire-droit du 23 septembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, réuni en formation collégiale, a suspendu l'exécution de la décision du 15 septembre 2022 et décidé qu'il serait procédé à une expertise confiée à deux médecins disposant des compétences appropriées. Par une seconde ordonnance du 23 septembre 2022, le professeur C I et le docteur F L ont été désignés. Cette dernière a cependant été déchargée de sa mission, à la demande des requérants, par une décision du 11 octobre 2022 du président du tribunal administratif de Paris, qui a chargé le professeur I de procéder seul aux opérations d'expertise conformément à l'ordonnance rendue le 23 septembre 2022. L'expertise a été réalisée le 27 octobre 2022 et le rapport rendu le lendemain. En réponse, les requérants ont versé au contradictoire un " rapport de contre-expertise " réalisée à leur demande par le docteur J, qui conteste les conclusions de l'expertise.

14. Le 15 novembre 2022, une nouvelle réunion collégiale est intervenue au sujet de la réalisation d'une trachéotomie en vue d'une sortie de réanimation, souhaitée par les parents D. L'ensemble des participants ont réitéré leur refus d'une extubation, estimant que la mise en place d'une trachéotomie était assimilable à de l'obstination déraisonnable. Les parents de l'enfant ont été informés de cette décision et reçus dans le cadre d'un entretien le 18 novembre 2022.

15. C'est dans ces circonstances et au regard de l'ensemble des éléments de l'instruction, y compris de quatre enregistrements vidéo de la petite fille produits à l'audience et diffusés lors de celle-ci, que, par une ordonnance du 29 novembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la requête de M. A et Mme K, en estimant que les traitements prodigués à D apparaissent comme inutiles, disproportionnés et n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

16. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ".

17. Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce code. Si le juge des référés ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel. Même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère. Il en va en particulier ainsi lorsque, saisi d'une décision d'arrêt ou de refus de mettre en œuvre un traitement dont l'exécution porterait de manière irréversible une atteinte à la vie, il exerce ses pouvoirs dans les conditions particulières rappelées au point 3 de la présente ordonnance.

18. A l'appui de leur appel, les requérants soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du premier alinéa de l'article L. 1110-5-1, du quatrième alinéa de l'article L. 1110-5-2 et du sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, cités au point 5. Ils estiment que ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par le Conseil d'Etat comme couvrant autant la situation de personnes majeures que mineures, méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté personnelle ainsi que l'article 34 de la Constitution, faute de précision sur l'inclusion des mineurs et de garanties suffisantes dans cette hypothèse particulière, alors que l'accord des parents devrait être obligatoire pour toute décision d'arrêt des traitements prodigués à des enfants.

19. Toutefois, dès lors qu'aucune règle ou principe constitutionnel ne s'oppose à ce que le législateur ait prévu un régime qui s'applique tant aux personnes majeures que mineures et que la procédure qu'il a mise en place présente des garanties suffisantes, la circonstance que les dispositions contestées donnent au corps médical, dans les conditions définies au point 9, la responsabilité de décider de l'arrêt des traitements prodigués à un mineur, en s'efforçant tout particulièrement de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, sans cependant être tenu d'obtenir leur accord, ne méconnaît en tout état de cause pas les droits ou libertés garantis par la Constitution que les requérants invoquent. La question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente donc pas un caractère sérieux.

20. Il suit de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de prioritaire de constitutionnalité invoquée, que le moyen tiré de ce que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 1110-5-1, du quatrième alinéa de l'article L. 1110-5 et du sixième alinéa de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur la régularité des ordonnances du 23 septembre et du 29 novembre 2022 :

21. Si l'ordonnance du 23 septembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Paris, qui a suspendu l'exécution de la décision litigieuse d'arrêt des soins et décidé, avant de statuer sur la requête, de procéder à une expertise, ne mentionne pas la date d'audience, il ressort de ses mentions que les parties ont été régulièrement averties du jour de cette audience et y ont été représentées. Par suite, le défaut de mention critiqué n'est pas susceptible d'entacher la régularité de cette ordonnance. Cet oubli est en tout état de cause sans effet ni sur l'ordonnance du même jour du président du tribunal administratif de Paris désignant les experts, ni sur l'ordonnance du 29 novembre 2022 par laquelle la demande de suspension a été rejetée. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de ces trois ordonnances doit être écarté.

Sur le litige en référé :

En ce qui concerne la régularité de la procédure collégiale et de l'expertise :

22. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la possibilité résultant de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique de passer outre l'accord des parents ne méconnaît ni le sens ou la portée des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique, lesquels ainsi qu'il a été dit au point 19 ne sont pas contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, ni l'article 371-1 du code civil relatif à l'autorité parentale.

23. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, face à la gravité de l'état initial de l'enfant D A, le projet d'extubation en vue d'un sevrage de la ventilation mécanique et la volonté des médecins de limiter les traitements afin de privilégier les soins de confort ont été discutés à plusieurs reprises avec les parents, dès l'hospitalisation au centre hospitalier de la Timone début août 2022. Les parents de la petite fille ont été informés qu'une réunion collégiale aurait lieu au cours de laquelle il serait discuté du pronostic neurologique et vital de leur enfant, ainsi que du projet de soins de façon multidisciplinaire. Cette réunion s'est tenue le 15 septembre 2022, dans des conditions dont il n'est pas contesté qu'elles sont conformes aux exigences mentionnées au point 7, et a conclu à une décision d'arrêt des traitements prodigués à D qui se traduirait soit par une sédation profonde et continue jusqu'au décès, soit par une extubation sans réintubation avec sédation et analgésie en cas de détresse respiratoire asphyxiante. Le lendemain, le médecin référent, le docteur H, a informé les parents des conclusions de cette réunion collégiale, laquelle n'était pas tenue de prendre compte les remarques formulées par le docteur J dont ils avaient souhaité s'adjoindre les conseils. Si les requérants soutiennent que toutes les pièces du dossier médical de leur fille ne leur ont pas été communiqués, ils ne précisent pas lesquelles ni dans quelles circonstances exactes. Enfin, s'ils critiquent le fait qu'aucune pièce médicale ne leur aurait été communiquée postérieurement au 14 septembre 2022, cette circonstance, à la supposer avérée, est en tout état de cause sans effet sur la légalité de la décision litigieuse d'arrêt de soins, qui a été prise le lendemain 15 septembre. Par conséquent, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'ils n'ont pas été consultés ou associés aux décisions prises, que l'équipe médicale n'aurait pas recherché leur accord ou que la procédure ayant conduit à la décision contestée aurait été irrégulière.

24. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'expert, dont il n'est pas contesté qu'il présentait des garanties d'indépendance suffisantes et pouvait conduire l'expertise seul après la décharge de sa collègue, ne se serait pas vu communiquer l'entièreté du dossier médical D et n'aurait pas disposé de l'ensemble des pièces et informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Il résulte également de l'instruction que les requérants et leur conseil, le docteur J, ont été conviés aux opérations d'expertise et ont été en mesure de présenter leurs observations, l'expert désigné par le tribunal n'étant pas tenu d'y répondre dans son rapport. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, il n'est pas établi que l'expertise se soit déroulée hâtivement ou dans des conditions irrégulières.

Sur la caractérisation d'une obstination déraisonnable :

25. Il résulte de l'instruction, notamment des éléments recueillis à l'audience publique, que l'enfant D souffre de séquelles neurologiques très graves avec un polyhandicap irréversible résultant de la durée particulièrement longue de la noyade dont elle a été victime. Outre la sévérité des lésions portées au tronc cérébral mettant en jeu ses fonctions vitales, la petite fille est touchée par une dystonie réfractaire aux traitements entraînant un inconfort permanent, des raideurs croissantes et des souffrances significatives. Elle n'a aucune interaction cliniquement constatée avec son environnement, son corps étant immobile et l'ouvertures des yeux absente. Près de cinq mois après l'accident, son examen neurologique reste inchangé, avec une dysfonction majeure du tronc cérébral, les quelques changements constatés par ses parents, notamment des réactions aux odeurs ou à la musique, n'étant pas de nature à remettre en cause le diagnostic médical sur l'absence de récupération possible à moyen ou long terme. A cet égard, il résulte de l'instruction qu'il n'existe aucune perspective de pouvoir marcher ou parler et de fortes probabilités d'être atteinte d'épilepsie. Les lésions neurologiques sont par ailleurs très étendues, notamment au niveau des fonctions corticales supérieures, de sorte que, malgré la plasticité cérébrale propre aux jeunes enfants, une suppléance progressive des fonctions perdues ne paraît pas possible. La petite fille présente une tétraplégie spastique et dystonique avec une majoration des signes pyramidaux lors de la mobilisation et de la stimulation. Si les requérants ont produit en première instance quatre vidéos, qui ne sont au demeurant accompagnées d'aucune certification ou explication médicale, elles ne permettent pas de remettre en cause les analyses médicales réalisées.

26. Ainsi, les séquelles neurologiques apparaissent comme irréversibles et sans réelle possibilité de récupération. Le diagnostic sur ces points, posé par l'équipe médicale spécialisée du centre hospitalier de la Timone et confirmé par l'équipe du service de l'hôpital Trousseau, n'a pas évolué depuis plusieurs mois, l'évolution ayant été stable, voire péjorative sur certains points. Près de cinq mois après son accident, l'enfant se trouve toujours sous assistance respiratoire, des examens réalisés les 5 et 29 décembre 2022 ayant confirmé la persistance de troubles de la déglutition ne permettant aucune autonomie respiratoire. En raison notamment d'une dysfonction du carrefour, toute extubation risque d'entraîner une asphyxie par inondation à très court terme.

27. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le maintien en vie D, qui est tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et pour laquelle il n'existe aucune perspective raisonnable d'amélioration ni projet de soins de long terme, peut être regardé, à la date de la présente ordonnance, comme artificiel.

28. Cependant, il résulte des éléments recueillis à l'audience que quelques changements, tels la capacité à déclencher spontanément le respirateur ou une moins mauvaise déglutition, ont pu être constatés. De tels changements ne peuvent conduire, à ce jour, à conclure à la possibilité pour l'enfant d'acquérir à terme un degré suffisant d'autonomie respiratoire, permettant d'envisager un projet de soins en dehors d'un service de réanimation pédiatrique ou, si tel était le cas, l'assistance d'une machine tout au long de sa vie. Toutefois, compte tenu de ces évolutions et eu égard à la durée de cinq mois s'étant écoulée depuis l'accident, du très jeune âge de la petite fille ainsi que de la position de ses parents qui estiment qu'une décision d'arrêt de soins serait trop précoce, à laquelle comme il a été dit une attention particulière doit être portée, il apparaît nécessaire, avant de statuer de manière définitive sur le bien-fondé de la décision d'arrêt des traitements au titre du refus de l'obstination déraisonnable, de suspendre l'exécution de cette décision pour un délai d'observation de deux mois afin de constater si d'éventuelles perspectives d'amélioration des capacités respiratoires D pourraient être de nature à permettre à terme une autonomie respiratoire pouvant éviter un recours à une assistance. A l'issue de ce délai, un rapport devra être remis sur ce point par un expert désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat

29. L'exécution de la décision du 15 septembre 2022 d'arrêt des traitements est suspendue jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé, une fois passé le délai et rapportés les constats sur le point mentionné au point précédent. Les autres conclusions en demande et en défense sont réservées.

O R D O N N E :

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Article 1er : La décision du 15 septembre 2022 de limitation des soins apportés à l'enfant D A est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête.

Article 2 : Avant de statuer sur la requête, il sera procédé, à l'issue d'un délai de deux mois à compter de la notification de la présente ordonnance, par un médecin désigné par le président de la section du contentieux à une expertise contradictoire sur les éléments mentionnés au point 28. Il rendra son rapport au plus tard dans un délai de sept jours.

Article 3 : L'expert devra procéder, à l'issue du délai d'observation de deux mois, à l'examen de l'enfant D A, rencontrer l'équipe médicale, le personnel soignant en charge de cette dernière ainsi que ses parents, M. A et Mme K, et prendre connaissance de l'ensemble de son dossier médical. Il pourra consulter tous documents, procéder à tous examens ou vérifications utiles et entendre toute personne compétente. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative et rendra son rapport immédiatement après la fin du délai de deux mois.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et Mme E K ainsi qu'à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre ainsi qu'au ministre la santé et de la prévention.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 janvier 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Anne Egerszegi, M. Damien Botteghi conseillers d'Etat, juges des référés.

Fait à Paris, le 12 janvier 2023

Signé : Christine Maugüé

Code publication

C