Tribunal administratif de Marseille

Ordonnance du 8 octobre 2010 n° 1005044

08/10/2010

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE MARSEILLE

 

 

N° 1005044

___________

 

M. A... B... de BRETTEVILLE

___________

 

Ordonnance du 8 octobre 2010

___________

 

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le président de la 7ème chambre du

Tribunal administratif de Marseille

 

 

 

Vu la requête, enregistrée le 2 août 2010, présentée pour M. A... B... de BRETTEVILLE, élisant domicile 5 avenue Mozart à Martigues (13500), par Me de Fontbressin ; M. B... de BRETTEVILLE demande au Tribunal :

- de condamner l’Etat à lui payer une somme de 3 048 318 euros en réparation de ses préjudices ;

- de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

M. B... de BRETTEVILLE soutient :

- que l’abrogation, par la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001, de l’article L. 131-2 du code du commerce réservant aux courtiers maritimes le privilège de représentation auprès du service des douanes, fait suite à un avis motivé de la Commission européenne qui n’avait pas de caractère contraignant ; qu’en s’estimant lié par cet avis, l’Etat français a donc commis une faute dans l’application du droit communautaire ; que cet avis de la Commission européenne présente un caractère erroné dès lors que l’activité des courtiers maritimes entre dans le champ d’application de la dérogation prévue, par l’article 45 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, au chapitre relatif à la libre circulation des travailleurs, pour les activités participant à l’exercice de l’autorité publique ; que le respect du droit de propriété garanti par l’article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le principe de confiance légitime et le principe de sécurité juridique dans l’application du droit communautaire ont donc été méconnus ; que l’Etat a donc commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- que la faute de l’Etat est la cause déterminante des préjudices subis du fait de la suppression de ce privilège et justifie leur réparation intégrale, alors que seule une réparation partielle a été prévue par les dispositions du décret n° 2003-247 du 13 mars 2003 ;

- que les effets de ce préjudice sont continus dans le temps et doivent être évalués en considération de la valeur vénale de la charge et de la perte d’activité économique actuelles ;

 

Vu la demande préalable ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 6 septembre 2010, présenté pour M. B... de BRETTEVILLE qui saisit le Tribunal, sur le fondement des dispositions de l'article R. 771-3 du code de justice administrative, d'une demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant :

- la méconnaissance, par l’article 1er de la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 portant abrogation de l’article L. 131-2 du code de commerce, de la hiérarchie des normes résultant des dispositions combinées des articles 88-1 et 55 de la Constitution,

- la méconnaissance du principe de sécurité juridique garanti par les dispositions de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,

- la méconnaissance du droit au respect des biens et du droit de disposer et de léguer, garantis par les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par celles de l’article 5 du préambule de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et celles de l’article 17 de ladite charte ;

 

Il soutient :

- que les dispositions litigieuses n’ont pas été déjà déclarées conformes à la Constitution, dès lors que la décision n° 2000-440 DC du 10 janvier 2001 du Conseil constitutionnel ne visait la conformité à la Constitution que de l’article 4 de la loi examinée ;

- que lesdites dispositions ont été prises en application d’un avis motivé de la Commission européenne qui n’avait pourtant pas d’effet contraignant ; que la hiérarchie des normes entre l’ordre juridique interne et l’ordre juridique communautaire résultant des dispositions des articles 55 et 88-1 de la Constitution a donc été méconnue ;

- qu’aucun intérêt général suffisant ne justifie l’atteinte portée à la situation des courtiers maritimes, légalement acquise depuis l’ordonnance de la marine de Colbert de 1681, complétées par les lettres patentes du 10 juillet 1776, et destinée à garantir le Trésor contre les déclarations mensongères et les fraudes ; que le principe de sécurité juridique garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a donc été méconnu ;

- que l’abrogation du monopole des courtiers maritimes porte atteinte à leur droit au respect des biens et méconnaît le droit de disposer et de léguer garantis par les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par celles de l’article 5 du préambule de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et celles de l’article 17 de ladite charte ;

 

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2010, présenté par le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; il conclut au non-lieu à transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par le requérant ;

 

Le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat soutient que les dispositions litigieuses ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; qu’aucun changement de circonstances ne justifie un nouvel examen de ces dispositions ; que les questions soumises sont en outre dépourvues de caractère sérieux ;

 

Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2010, présenté par le premier ministre, qui s’associe aux observations présentées par le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;

 

Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

 

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

 

 

Vu la n° 2001-43 du 16 janvier 2001 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports ;

 

Vu la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, notamment son article 164 ;

 

Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

 

Vu le code du commerce ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

 

 

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution :

« Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ;

 

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du

7 novembre 1958, modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux » ;

 

Considérant, en troisième lieu, que l'article R. 771-3 du code de justice administrative dispose que : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention « question prioritaire de constitutionnalité ». » ; qu'aux termes de l'article R. 771-4 du même code : « L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. » ;

 

Considérant, enfin, que l'article R. 771-7 du même code dispose que : « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effets par le chef de Juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. » ;

 

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des dispositions précitées de l’article 61-1 de la Constitution qu’un moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d’inconstitutionnalité et qu’il n’appartient donc pas au Conseil constitutionnel d’examiner la compatibilité d’une loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; que, par suite, la question de la compatibilité de l’article 1er de la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 avec le droit communautaire, avec les stipulations de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou avec celle de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne rentrent pas dans le champ d’application des dispositions relatives aux questions prioritaires de constitutionnalité ; que, par suite il n’y a pas lieu de transmettre cette question au Conseil d’Etat ;

 

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes des dispositions de l’article 1er de la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports : « I. - L'article L. 131-2 du code de commerce est abrogé. / II. -Le courtage d'affrètement, la constatation du cours du fret ou du nolis, les formalités liées à la conduite en douane, la traduction des déclarations, des chartes-parties, des connaissements, des contrats et de tous actes de commerce, lorsqu'ils concernent les navires, sont effectués librement par l'armateur ou son représentant qui peut être le capitaine. » ; qu’aux termes de l’article L. 131-2 du code de commerce, dans sa version en vigueur jusqu’au 16 janvier 2001 : « Les courtiers interprètes et conducteurs de navires font le courtage des affrètements. Ils ont, en outre, seuls le droit de traduire, en cas de contestations portées devant les tribunaux, les déclarations, chartes-parties, connaissements, contrats, et tous actes de commerce dont la traduction serait nécessaire. Ils constatent le cours du fret ou du nolis. / Dans les affaires contentieuses de commerce, et pour le service des douanes, ils servent seuls de truchement à tous étrangers, maîtres de navires, marchands, équipages de vaisseau et autres personnes de mer. » ;

 

Considérant que, par un mémoire distinct et motivé, M. B... de BRETTEVILLE soutient que l’abrogation de l’article L. 131-2 du code de commerce par l’article 1er de la loi du 16 janvier 2001 méconnaît le principe de sécurité juridique garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dès lors qu’il porte atteinte à une situation légalement acquise, sans qu’un intérêt général suffisant ne le justifie ;

 

Considérant que le requérant met en cause la responsabilité de l’Etat sur le fondement d’une faute résultant de l’adoption de l’article 1er de la loi du 16 janvier 2001 en méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que par suite la disposition en cause est applicable au litige ;que cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ; que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; qu’ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

 

 

O R D O N N E :

 

 

Article ler : La question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de l’article 1er de la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête principale de M. B... de BRETTEVILLE jusqu'à ce qu'il ait été statué par le Conseil d'Etat ou, s'il est saisi, par le Conseil constitutionnel, sur la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : Le surplus de la demande de M. B... de BRETTEVILLE n'est pas transmis au Conseil d'Etat.

 

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... de BRETTEVILLE, au Premier ministre et au ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

 

 

 

Fait à Marseille, le 8 octobre 2010.

 

 

Le président,

 

 

Signé

 

 

J. ANTONETTI

 

La République mande et ordonne au ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N° 1005044